À l’occasion de la première édition de l’IA
France Summit, Bercy a mis l’intelligence artificielle à l’honneur, le 19 février dernier. Alors que cette technologie
s’avère de plus en plus incontournable dans le domaine de la santé, Jean-David
Zeitoun, directeur médical de la start-up Inato, est revenu sur les évolutions
permises par le machine learning en la
matière.
En
2019, les Français doivent s’emparer de l’intelligence artificielle. Tel était
en tout cas le vœu des organisateurs de l’AI France Summit, dont la toute
première édition s’est tenue au ministère de l’Économie et des Finances, le 19 février dernier. L’initiative
commune de la Direction générale des entreprises (DGE), du syndicat
professionnel français de l’industrie du numérique TECH IN France et du
Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) affichait un double
objectif clair : faire de l’Hexagone un acteur majeur en la matière, tout
en rationalisant et en dépassionnant le débat autour de cette technologie,
souvent source de buzz, de peurs et de fantasmes. Lors d’une première partie
consacrée au « mieux vivre », l’événement a opéré un focus sur
les applications de l’IA dans le domaine de la santé, où les avancées sont
prometteuses et sources d’espoirs.
Invité à pitcher sur la scène de l’AI France Summit, Jean-David
Zeitoun, cofondateur et directeur médical d’une start-up spécialisée dans
l’optimisation des essais cliniques, Inato, est ainsi revenu sur les tenants et
les aboutissants de l’IA au service de la santé. Le directeur médical l’a
assuré : l’intelligence artificielle, en médecine, « ce n’est pas
nouveau ». Il y a 60 ans, Robert
Ledley (professeur de physiologie, de biophysique et de radiologie, premier à
avoir utilisé les ordinateurs électroniques numériques en biologie et en
médecine, ndlr) écrivait deux articles influents dans le magazine Science :
« Raisonnement des fondements du diagnostic médical » (avec
Lee B. Lusted) et « Ordinateurs électroniques numériques en sciences
biomédicales », qui ont encouragé les chercheurs biomédicaux et les
médecins à adopter la technologie informatique. Quelques années plus tard, ont
lieu les premières spéculations sur les moteurs d’inférences (algorithme de
simulation du raisonnement déductif) en matière de raisonnement médical. En
1981, Robert Califf écrit pour sa part un article intitulé « Le docteur et l’ordinateur », dans lequel ce
cardiologue, également professeur de médecine, tente de dégager les facteurs
prédictifs de risques cardio-vasculaires à partir d’une base de données. En
parallèle, se développent la digitalisation et l’intelligence artificielle en
médecine, en commençant par les ordinateurs posés sur les chariots.
Des systèmes experts au deep
learning
Dans un
premier temps, « des systèmes experts – systèmes d’IA qui fonctionnent
avec des règles que l’on nourrit avec des données pour obtenir une décision –
ont essayé d’automatiser le processus de raisonnement », a relaté
Jean-David Zeitoun. Ces systèmes se comportaient comme des « sortes
d’étudiants en médecine idéales, avec peu d’expérience » et n’avaient
donc pas un niveau de performance suffisamment intéressant pour que cela se
développe davantage. La progression a réellement eu lieu, a affirmé le
directeur médical d’Inato, avec un autre type de technologie d’intelligence
artificielle : le machine learning. Cet « apprentissage
automatique » « fonctionne selon une méthode différente,
voire inverse aux systèmes experts : au lieu d’inférer des conclusions à
partir des règles, la machine part des conclusions pour produire des règles et
laisse les données parler d’elles-mêmes »,
a expliqué Jean-David Zeitoun. L’important étant que le machine learning
nécessite un grand nombre de variables pour nourrir le système. Pour autant, la
délimitation entre le système expert et le machine learning est plutôt
artificielle : Jean-David Zeitoun a estimé qu’il n’y avait en effet pas de
limite claire entre les deux : « Dans les deux cas, on apprend les
choses à la machine, et la machine apprend. C’est donc plus un continuum. »
Cependant,
le machine learning est indéniablement source de progrès ; plus
particulièrement, dans un article de 2012, Geoffrey Hinton, un des « papes » de
l’intelligence artificielle (aujourd’hui chez Google), a développé le deep
learning, sous-type de réseau de neurones artificiel (en référence au
cortex visuel des mammifères), qui apprend en modifiant la force de connexion
synaptique et dispose d’un grand nombre de couches entre les variables d’entrée et
le résultat de sortie. « Plus une
équation est
complexe à comprendre, plus on met de couches entre les neurones artificiels.
Ce qu’a montré cet article est que l’algorithme de ces chercheurs
arrivait, sur un exercice connu de reconnaissance d’image, à réduire le taux
d’erreur de 50 % par
rapport à ce qui avait été fait auparavant. Aujourd’hui, l’intelligence
artificielle en médecine est en train de devenir un sujet normal : on
compte de plus en plus de publications,
d’études cliniques – plus de 100 sont publiées chaque année en la
matière –, d’essais cliniques et d’autorisations réglementaires de produits
d’IA », a énuméré
Jean-David Zeitoun. Depuis plusieurs mois, sont ainsi autorisés régulièrement
des produits d’IA dans le diagnostic, la reconnaissance d’image, la gestion administrative des systèmes de
soin, etc.
Trois
applications majeures de l’IA en médecine
Jean-David
Zeitoun recense trois applications majeures de l’IA en médecine. La prédiction,
tout d’abord. Le pronostic était la première mission du médecin déclinée par
Hippocrate, a rappelé le spécialiste : « Avant, on ne demandait
pas au médecin de traiter, de faire un diagnostic, mais de dire si le patient
allait mourir ou survivre. » Aujourd’hui, le pronostic en IA se fait à
partir de données les plus complètes et diverses possible, en quantités
massives. « Le but est de sortir de la moyenne : quand on dit
qu’il y a 30 % de chances
qu’un traitement marche, c’est frustrant. Quand on est capable de prédire le
résultat d’une maladie ou d’un traitement, c’est mieux », a indiqué le directeur
médical.
Autre
application notable : la reconnaissance d’image, domaine dans lequel l’IA
en médecine est la plus mature, et qui concerne de nombreuses spécialités,
telles que la radiologie. En la matière, la machine dispose d’un niveau de
performance qui « égale ou surpasse celui des meilleurs experts »,
selon le directeur médical, puisqu’elle peut « traiter en 24 heures tous les examens de
radiologie qu’on fait chaque année dans le
monde, et marche 24h/24 ». Ainsi, aux États-Unis, la FDA (Food
and drug administration, agence américaine des produits alimentaires et
médicamenteux) a notamment autorisé l’an dernier OsteoDetect, un outil de
diagnostic développé par la start-up Imagen. L’algorithme est capable de
détecter les fractures du poignet en étudiant des radios pour aider les
médecins dans leur diagnostic. Mais l’un des produits les plus connus en
reconnaissance d’image est développé par Google, a précisé Jean-David Zeitoun. L’outil, dont
la commercialisation est autorisée aux États-Unis depuis avril 2018, permet de
détecter une maladie oculaire liée au diabète. Le géant américain avait en
effet publié en 2016, dans le Journal of American Medical Association (JAMA),
les conclusions d’études menées par ses chercheurs affirmant que l’algorithme
de deep learning qu’ils avaient mis en place était en mesure de
diagnostiquer la rétinopathie diabétique à partir des images de rétine. « Cela
permet de se dispenser au premier abord d’un ophtalmo pour procéder à un
dépistage », a ajouté Jean-David Zeitoun.
Là où l’on
touche au plus complexe, c’est en matière de diagnostic, a estimé le directeur
médical. « Il existe des milliers de maladies, et pour chacune, il faut
développer un ou plusieurs algorithmes. Or, une méthodologie des études d’IA
pour établir des produits de diagnostic est plus difficile. Les experts
anticipent que les produits de diagnostic vont mettre plus de temps avant
d’être matures et de pouvoir collaborer avec un médecin ou le remplacer »,
a jugé Jean-David Zeitoun.
Le spécialiste en est toutefois certain : technologiquement, l’IA
est mature. Pour autant, ce degré de maturation fait l’objet d’un buzz et d’une
certaine exagération, a-t-il constaté. « Il faut tenir compte de la
réalité : la médecine n’est pas parfaite. L’intelligence artificielle
l’améliore, et c’est un énorme progrès, mais cette IA reste perfectible »,
a-t-il nuancé. Toujours est-il que cette dernière fait aujourd’hui « moins
d’erreurs que les médecins », a précisé Jean-David Zeitoun, qui a
déploré un « taux d’erreurs médicales encore trop important ».
Bérengère Margaritelli