DROIT

A l'offensive, les bâtonniers franciliens estiment que « la manière dont nous traitons les détenus n'est plus admissible »

A l'offensive, les bâtonniers franciliens estiment que « la manière dont nous traitons les détenus n'est plus admissible »
Pour le président de la Conférence des bâtonniers, "on a passé le stade du cri d'alarme"
Publié le 12/04/2024 à 17:58
Excédés par l’urgence grandissante au sein des prisons françaises, plusieurs bâtonniers et représentants des barreaux d’Ile-de-France se sont réunis à Nanterre, le 12 avril, afin de dénoncer la surpopulation carcérale et les conditions de détention « indignes ». Ils ont proposé des mesures alternatives à la création de places supplémentaires afin d'améliorer la situation à l’aube des Jeux olympiques.

« Voici le cloisonnement des toilettes… Je vous laisse imaginer », montre Fabien Arakelian, vice-bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine, en désignant une photo projetée sur le mur blanc. Réunis dans l’une des salles de l’Ordre des avocats de Nanterre ce 12 avril, plusieurs bâtonniers et représentants des barreaux franciliens sont invités à regarder le cliché d’un drap faisant office de porte. Au sol, au milieu d’une chambre exiguë déjà dotée de deux lits superposés, un matelas. « Lorsqu’un détenu veut aller aux toilettes, il passe au-dessus de son codétenu, qui essaie de dormir », détaille l’avocat. 

S’ensuivent des images de moisissure, de fenêtres qui ne ferment pas, de branchements électriques découverts et de rats. « Il y en a partout, dans la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine », assure le vice-bâtonnier. Ces clichés y ont été pris le 12 mars dernier. Objectif : mettre en lumière « l'insalubrité, l'indignité, et le danger permanent » dans lesquels vivent les détenus à Nanterre. Une situation « surréaliste » qui illustre un problème national déjà dénoncé à de multiples reprises et pour lequel la France a été condamnée deux fois par la Cour européenne des droits de l’homme : la surpopulation carcérale.

C’est pour le régler que le barreau des Hauts-de-Seine a organisé cette rencontre. Cette initiative fait suite à la lettre ouverte que l'organisation a publiée le 8 avril, soutenue par les barreaux de Melun, de Seine-Saint-Denis, du Val-d’Oise, d’Auxerre, de Meaux, de Fontainebleau et de Chartres. « On n’est plus sur la sonnette d'alarme, affirme Jean-Raphaël Fernandez, le président de la Conférence des bâtonniers. On a passé le stade du cri d’alarme pour dire que la manière dont nous traitons les détenus n’est plus admissible. »

« Il faut agir, et vite »

Outre l’état « déplorable » des prisons, Laurent Caruso, le président de la Conférence régionale des bâtonniers d'Île-de-France, évoque la taille des cellules : « Des gens peuvent être détenus sans aucune intimité, à deux, trois, ou quatre dans un espace de 9 m², poursuit-il. Comment peut-on parler du pays des droits de l’Homme ? Il faut agir, et vite. » Pourtant,  les recommandations en urgence de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté ne cessent de pleuvoir, de même que celles des juridictions européennes et françaises. 

Sur la seule année 2023, cinq établissements pénitentiaires – Bois-d'Arcy, Nanterre, Perpignan, Grenoble et Saint-Etienne – ont fait l'objet de condamnations par les juridictions administratives. Du jamais vu en France. « Les avertissements viennent de toutes parts : début mars, le comité des ministres du Conseil de l’Europe invitait encore notre pays à changer de stratégie dans sa lutte contre la surpopulation carcérale en s’attaquant aux causes profondes », relate Matthieu Quinquis, président de l'Observatoire international des prisons (OIP).

Un usage « immodéré » de la détention provisoire

Le responsable associatif dénonce « des politiques pénales et des mises en mouvement de l'action publique déraisonnables et déraisonnées ». Les principaux problèmes sont tout désignés : la multiplication des orientations en comparution immédiate, et surtout, l’usage « immodéré » de la détention provisoire. « Plus de 25 % des personnes incarcérées le sont dans ce cadre, ce qui est extrêmement alarmant, signale l’avocat. On doit rappeler que la détention provisoire est l’exception : la liberté est le principe. »

La maison d'arrêt de Villepinte en est le triste exemple : au 8 avril dernier, 1 050 personnes étaient détenues alors que l’établissement dispose de 582 places. En parallèle, le nombre de matelas au sol qui s’y trouvaient est passé de 4 à 40 en un an. En d’autres termes, 40 cellules ont été triplées, c’est-à-dire occupées par trois personnes au lieu de deux. « 65% de la population [de la maison d’arrêt de Villepinte] est en détention provisoire, contre 35% en exécution de peine, annonce Guillaume Arnaud, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis. Vous vous rendez compte ? Si on revenait sur les critères de détention provisoire, peut-être que deux tiers des personnes qui peuplent la prison n'auraient rien à y faire. » 

Les 15 000 places supplémentaires de prison : un « gouffre financier »

Selon l’avocat, il faudrait mener une lutte contre la politique pénale d'incarcération provisoire afin de faire diminuer les taux d’occupation des prisons. Les professionnels du droit présents dans l’audience opinent du chef. Si plusieurs pistes sont évoquées, une chose est sûre : pour eux, la solution ne réside pas dans les 15 000 places supplémentaires de prison promises – mais pas livrées – par Emmanuel Macron en 2017.

« C’est un gouffre financier absolu : la France s'endette à hauteur de 5 milliards d’euros pour les construire, affirme Matthieu Quinquis, président de l’OIP. D’autant qu’elles seront insuffisantes pour répondre à cet enjeu de surpopulation carcérale. » Selon l’avocat, il faut s’orienter vers l'instauration « rapide et urgente » d’un mécanisme de régulation carcéral contraignant. « Cela forcerait les magistrats à tenir compte de la capacité des établissements pénitentiaire de leur ressort et à organiser une politique sensée pour assurer des conditions de vie dignes en détention », estime-t-il.

Un besoin de déflation carcérale

Ce que demandent Matthieu Quinquis et ses confrères ? Un mouvement de déflation carcérale. « En juillet 2020, la France comptait 58 000 personnes détenues [contre 76 000 aujourd’hui, ndlr], rappelle l’avocat. On sortait d'une période de confinement, des politiques pénales audacieuses et volontaristes avaient été mises en place : on avait évité d'incarcérer des personnes détenues et on en avait libéré d'autres de manière anticipée. On avait bien vu que ça n'avait pas généré de désordre ni de troubles dans la société. »

Maxime Cessieux, président de la commission pénale du barreau des Hauts-de-Seine, acquiesce. « Le parlement pourrait donner des pouvoirs par ordonnance au gouvernement pour vider les prisons dans la perspective des Jeux olympiques », avance-t-il. Un événement qui ajoute à la situation d’urgence dans laquelle se trouve la France. 

L’avocat prend l’exemple d’un hooligan anglais qui frapperait un supporter italien. « Il passerait en comparution immédiate et serait potentiellement incarcéré temporairement pour un ou deux mois, voire plus. Où est-ce qu’on le mettrait ? », interroge-t-il. Ensemble, les professionnels du droit vont déposer un « énième » recours devant le tribunal administratif. « Il nous reste trois mois, donc on peut encore faire quelque chose. », conclut Maxime Cessieux.

Floriane Valdayron

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