Dominique Sénéquier,
présidente d’Ardian (anciennement Axa Private Equity), invitée par Danielle
Monteaux, déléguée générale du Cercle, et Jean Castelain, président, a décrit à
l’auditoire sa perception de l’univers, des investissements et sa conception
d’un management attentif.
Beaucoup de réglementations s’appuient sur des textes
anciens, souligne Dominique Sénéquier. Ainsi, les préconisations sur le contenu
du rapport de gestion de sociétés cotées en bourse se référencent aux droits de
l’homme, plus précisément à la charte des droits de l’homme établie par l’ONU
en 1948. Une révision de ce type d’obligation présenterait au moins l’avantage
intrinsèque de proposer quelque chose de contemporain. Premier fonds
d’investissement européen avec beaucoup d’actifs placés aux États-Unis, Ardian
exerce une activité internationale d’origine américaine. Les précurseurs,
Blackstone (550 milliards de dollars) ou KKR (234 milliards de dollards)
ont commencé dans les années 75. Ils sont bien plus imposants qu’Ardian (96 milliards de dollards)
parce qu’ils profitent de 20 ans d’avance. Dans sa première période (1996-2013), l’entreprise était
captive, filiale du groupe AXA, et pâtissait d’une part, des lourdeurs d’une
grande structure, et d’autre part de la méfiance de quelques prospects qui
voient dans l’affiliation un risque de conflit d’intérêt. En prenant sa
liberté, le fonds n’a plus été considéré comme proche d’AXA, concurrent
historique d’Allianz outre-Rhin. Cette indépendance a engendré en quelques
années un engouement important de la clientèle allemande auparavant distante,
tandis que la percée aux États-Unis s’accentuait. En six ans, Ardian est passé de 36 milliards de dollars
à 96. C’est éloquent, mais les concurrents ont connu la même croissance. En
effet, avec des taux d’intérêt négatifs ou très bas, les fonds représentent une
classe d’actifs très demandée, proche des actifs réels. Les clients recherchent
des infrastructures, de l’immobilier, des entreprises avec un modèle
économique. Les marchés sont hauts et chers, soit, mais les meilleurs
rendements qui oscillent entre 13 et 20 % dopent la performance
globale. De là découlent certains appétits. La faiblesse actuelle des taux
d’intérêts crée cet environnement propice au développement de volumes
conséquents pour les private equity. Ardian est le numéro 1 européen
dans le secteur des infrastructures (route, éolienne, ferme solaire, aéroport,
pipeline…) pour 17 milliards de dollars. La politique d’investissement de cette branche est
exclusivement dédiée aux infrastructures loin de toute société très
opérationnelle.
Gérer un tel portefeuille représente une immense
responsabilité pour les 650 membres de la société qui a acquis un statut d’institution. La
présidente Dominique Sénéquier estime
que ce rang exige une attitude éthique permanente. D’ailleurs, les
investissements éthiques et responsables sont dans la charte de l’entreprise
depuis plusieurs années. Tout investissement est précédé d’un audit ESG
(environnement, social, gouvernance) sous forme de questionnaire. Ardian, de la
même façon, se plie à ce type d’audit diligenté par ses clients, en signe
notamment de transparence quant à sa politique. Dans ce registre, on peut
pointer des subtilités : ainsi, si l’investissement auprès de
fabricants d’armes est totalement proscrit, cela concerne le produit fini. En
revanche, si vous ne vous occupez que d’un composant de l’ensemble, vous n’êtes
pas nécessairement censuré. Pour résumer, les contraintes viennent des clients et
génèrent des audits. Si le résultat est satisfaisant, un plan d’action est mis
au point avec les managers de l’entreprise pour améliorer le rating
(notation) périodiquement. Évidemment, il est préférable de
respecter les listes d’exclusions américaine ou européenne pour éviter de
mettre en danger la société. L’activité de gestion est drastiquement
réglementée, de telle sorte qu’Ardian se conforme aux obligations de cinq
pays : France, États-Unis, Grande-Bretagne, Suisse, Singapour, et bientôt
Allemagne.
Dominique Sénéquier est très attachée au partage de
la plus-value. Elle considère que dans la revente d’une société, une partie de
la plus-value provient du travail de ses salariés. Il paraît pour elle normal
de leur en rétrocéder un pourcentage sans toutefois pénaliser les clients
investisseurs. 5 %
de la plus-value, quand un rendement correct est atteint, représentent un taux
raisonnable. Ce principe a soulevé deux hostilités à l’origine, celle des
confrères et celle d’un assureur anglais. Mais l’idée s’est répandue en
dix ans. « La vie est difficile. Il faut rester attentif à
l’humeur de ses collaborateurs, leur accorder du temps, écouter leurs demandes
et se montrer accommodant pour qu’ils soient heureux de venir travailler »,
souligne la présidente. Aujourd’hui chez Ardian, l’intéressement est le même
pour tous les employés, soit 1/600e de l’enveloppe globale allouée,
indépendamment du salaire ou de la fonction. Partie de Paris, la méthode a été
étendue aux bureaux sur tout le globe, sous forme de bonus au mois de juillet.
C’est un motif de satisfaction pour la présidente qui considère également que
l’actionnariat salarié est une force, voire peut-être un bon moyen d’améliorer
la retraite des employés. C’est un outil exceptionnel de redistribution de la richesse créée. Le plus souvent, les
représentants des actionnaires (proxy) votent contre les plans d’AGA
(attribution gratuite d’actions) trop généreux qui malheureusement ne
différencient pas petits et grands salaires.
Didier Kling,
Danielle Monteaux, Jean Castelain, Dominique Sénéquier, Bernard Esambert et
Jean-Luc A. Chartier
En ce moment, le marché est incertain. De grands
clients d’Ardian ont vendu ou allégé des portefeuilles d’actions depuis
deux ans. C’était une mauvaise décision, mais il est toujours ardu de
trouver le bon tempo. La véritable question est de connaître le réemploi des
liquidités. Pour caricaturer, le bruit court que les obligations ont été
remplacées par les actions elles-mêmes, supplantées par la finance alternative.
Les capitalisations américaines majeures sont encore achetables. Les cours sont
hauts, certes, mais de là à pronostiquer un chute de 60 % comme en
avril 2010, il n’y a rien de tangible. Dominique Sénéquier en est convaincue,
la crise et la bulle de crédit justifient des corrections, mais pas un crack
des deux tiers. Les taux d’intérêt négatifs ne dureront pas des décennies. Des
événements comme les élections américaines vont interférer. Les banques
centrales et les États veilleront à ce que la remontée se fasse doucement.
Le Français n’aime pas parler d’argent. Il considère
celui qui en a comme malhonnête. Cette culture est caractéristique de
l’Hexagone et ne se rencontre pas beaucoup ailleurs sur la planète. Il paraît
impossible d’en sortir.
C2M
Agenda :
Prochain
dîner-débat du Cercle le 19 décembre 2019 en compagnie de Jérôme
Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies
d’entreprise » de l’IFOP.
Renseignements
auprès de Danielle Monteaux : danielle.monteaux@wanadoo.fr