Le programme national Action cœur de ville (ACV), imaginé, conçu
et piloté par le ministère de la Cohésion des territoires, est destiné à
conforter le rôle de centralité irremplaçable, pour tout leur territoire
environnant, des villes dites « moyennes », en investissant
massivement dans la revitalisation de leur centre. Ce plan interministériel et
partenarial (État, Caisse des Dépôts, Action
logement, Anah) de 5 milliards d’euros
est mis en œuvre de manière totalement décentralisée et déconcentrée, à rebours
de nombre de politiques publiques trop souvent cloisonnées et verticales.
L’enjeu étant de traiter simultanément tout ce qui concourt à un centre-ville
attractif (logement, commerce, mobilité, stationnement, services, aménagement
urbain, patrimoine, transition écologique…) sans oublier l’association
précieuse des habitants.
Au-delà des moyens, c’est à un changement du
logiciel de l’aménagement urbain que ce programme appelle. Pendant des
décennies, on n’a cessé d’éloigner les habitants des emplois, des services et
des commerces, aboutissant à vider et paupériser les centres-villes ; en
parallèle, beaucoup d’entrées de nos villes et agglomérations ont été
banalisées, voire défigurées par la prolifération excessive de zones sans âme,
avec l’artificialisation inconsidérée de terrains agricoles ou d’espaces
naturels. Ce modèle est aujourd’hui économiquement, socialement et
écologiquement insoutenable, et le repenser est un enjeu sociétal urgent.
Ce programme ACV est une marque de reconnaissance
pour les 222 villes
de métropole et d’outre-mer sélectionnées. De 8 000 à 134 000 habitants, ces villes sont des atouts
pour la cohésion sociale et territoriale de notre pays. Elles regorgent à cet
égard de richesses patrimoniales remarquables, issues tout à la fois de leur
construction urbaine au fil des siècles que de créations plus contemporaines.
Ce patrimoine constitue la « carte de visite » de la ville,
participe de son identité singulière à laquelle ses habitants sont très
attachés et contribue à son attractivité durable.
Concrètement, la question qui est posée aux élus et
acteurs locaux, ainsi qu’aux professionnels de l’aménagement, est la suivante :
souhaitons-nous faire de ces centres-villes des musées à ciel ouvert, témoins
d’un passé révolu et figé ou des lieux vivants, créatifs et inclusifs, où le patrimoine a toute sa place ? C’est bien évidemment cette deuxième option qui préside à la
philosophie du programme ACV dans le cadre d’une approche
globale et transversale de ce sujet.
Il est à cet égard notable de constater que la quasi-totalité des 222 conventions-cadre qui ont
été signées par les collectivités avec l’État, les partenaires financiers,
voire avec les Régions, Départements, opérateurs divers, etc. prévoient un
volet substantiel de valorisation du patrimoine dans l’axe thématique de
l’aménagement urbain et paysager de leur projet (plus de 750 actions déjà recensées).
De nombreux exemples l’illustrent, comme la ville
d’Albi, qui a mis en place un programme de restaurations intérieures de
l’église collégiale Saint-Salvi (située dans le périmètre UNESCO), la ville
d’Arles, qui a entrepris la piétonnisation et la mise en valeur du centre
ancien, ou la ville de Montluçon, qui met en place un Site Patrimonial
Remarquable pour protéger et valoriser le centre historique médiéval après
avoir engagé la requalification paysagère et fonctionnelle des berges de
l’Allier. On pourrait également citer la ville d’Auxerre, qui est en train de
restaurer la Tour de l’Horloge, la longue réhabilitation d’un édifice religieux
à Guebwiller, la maison Loti à Rochefort, ou la ville de Châteaubriant, qui a
entrepris de grands travaux urbains dans son centre-ville historique. Et il y
aurait plein d’autres exemples à citer, tant la dimension patrimoniale est
centrale dans les projets de revitalisation des centres-villes.
Certains d’entre eux avaient été initiés ou
réfléchis antérieurement, mais il est incontestable que le programme ACV donne
un coup d’accélérateur aux actions de valorisation du patrimoine, intégrées
dans une stratégie globale de requalification urbaine et de développement
économique. Les défis à surmonter sont pourtant considérables
pour les nombreuses villes disposant d’un centre très ancien, avec plusieurs
problématiques à résoudre :
• l’insalubrité : l’enchevêtrement des structures, l’encombrement des
espaces et le défaut d’entretien parfois amplifié par la multiplicité des
propriétaires ;
• l’habitabilité des logements sans ouvertures sur l’extérieur ne
répondent pas aux exigences du Code de la santé publique ;
• la sécurité, notamment la sécurité incendie : les pompiers sont dans
l’incapacité d’accéder aux immeubles situés en arrière-cour et de procéder à
l’évacuation des personnes.
Pour que les centres anciens répondent aux
fonctionnalités urbaines attendues, notamment en matière d’habitat et de
commerce, des solutions existent pour restructurer et transformer les îlots du
centre-ville ; concrètement :
• la démolition des constructions parasites permet la ventilation naturelle
des logements, l’ouverture de baies, l’accès à la lumière et la création de
jardins ; les exemples de Manosque ou Sisteron sont remarquables à cet
égard ;
• la reconstruction de volumes plus homogènes évite les problèmes
structurels et sanitaires et facilite l’entretien ; elle permet
l’extension des commerces ou la mise en place de locaux communs ;
• le regroupement de parcelles, qui peut bénéficier aux logements comme aux
commerces, permet de créer des surfaces plus habitables, mieux éclairées ;
• la mutualisation de passages entre immeubles ou d’escaliers extérieurs
facilite l’évacuation en cas d’incendie, la mutualisation de dessertes
verticales permet la création d’ascenseurs.
Naturellement, toutes ces opérations nécessitent de
dégager un consensus en amont pour trouver la meilleure solution conciliant
tous les enjeux d’aménagement et de protection. Leur complexité a conduit à
renforcer les moyens d’intervention à la disposition des élus et acteurs
locaux, sous trois plans.
Un cadre
législatif innovant avec la création de l’ORT (Opération de revitalisation des
territoires) pour permettre des projets de restructuration en centre ancien
(Loi Élan)
L’ORT, portée par l’intercommunalité et sa ville principale, vise une
requalification d’ensemble du centre-ville dont elle facilite la rénovation du
parc de logements, de locaux commerciaux et artisanaux et, plus globalement, du
tissu urbain pour créer un cadre de vie attractif propice au développement à
long terme de l’ensemble de l’agglomération.
Matérialisée par un périmètre défini (« secteur(s) d’intervention »), l’ORT emporte un certain nombre de
mesures, notamment une mesure de défiscalisation « Denormandie »
pour les travaux d’acquisition-réhabilitation des logements anciens afin
d’améliorer la qualité de l’offre de logements locatifs.
Ces opérations permettent également l’intervention, à titre
expérimental, de l’établissement public d’aménagement et de restructuration des
espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) en vertu de l’article 174 de la loi élan
ou encore le droit de préemption urbain renforcé.
Enfin, l’ORT permet de mieux réguler l’urbanisme commercial en
favorisant les implantations en centre-ville et en conférant aux préfets, sur
saisine ou après concertation des élus locaux, un pouvoir suspensif pour
l’instruction de projets périphériques, dans certaines circonstances qu’un
décret en Conseil d’État vient de préciser.
C’est donc une approche globale de consolidation des centralités que
permet l’ORT.
Le dispositif fiscal « Malraux »
Sur les 871 Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR) approuvés sur la
France entière, 105 existent aujourd’hui au sein des 222 villes du programme Action cœur de ville.
Le « Malraux » existe depuis 1962. Il s’agit d’un
outil fiscal qui contribue à la requalification des centres dégradés par une
réduction d’impôt sur le revenu en fonction des dépenses effectuées.
Il couvre uniquement des travaux puisqu’il a pour objet la restauration complète
d’un immeuble bâti dont la préservation et la mise en valeur présente un
intérêt patrimonial. Mais ses avantages ont malheureusement été réduits au fil
des années, concentrés au demeurant dans les grandes villes.
C’est pourquoi un rapport inter-inspection IGF-CGEDD-IGAC
sur l’évaluation et l’adaptation du dispositif « Malraux »
aux enjeux des petites et moyennes villes a été remis au gouvernement en
décembre 2018 (cf. page suivante). Il formule des recommandations pour rendre
plus attractif et donc faciliter le développement de ce dispositif. Il
préconise notamment une simplification des dispositions applicables et leur
déploie ment à certains secteurs d’interventions des ORT qui est
l’outil de mise en œuvre du programme Action cœur de ville. On ne peut
préjuger à ce stade les arbitrages à venir, mais il est clair qu’un dispositif plus
incitatif est très attendu par les élus et investisseurs locaux, car c’est dans
les petites et moyennes villes, là où le marché immobilier est « détendu »,
que son apport est décisif pour sortir des opérations de rénovation à
l’équilibre.
Réinventer
nos cœurs de ville
Le ministère de la Cohésion des territoires et les partenaires
financiers du programme, en liaison avec le ministère de la Culture et en
partenariat avec la Cité de l’architecture et du patrimoine, ont lancé un appel
à manifestation d’intérêt auprès des 222 villes
d’ « Action cœur de ville » pour leur proposer de les
aider à lancer un appel à projets local pour une opération
immobilière emblématique en cœur de ville.
À travers « Réinventons nos cœurs de ville », les villes
font appel à l’excellence professionnelle pour réaliser des opérations mixtes
et innovantes afin de répondre plus particulièrement aux enjeux d’habitat et de
développement économique et commercial des centres-villes.
S ur les 112 villes accompagnées dans le dispositif,
nombreuses sont celles à avoir proposé un site ou un bâtiment à haute valeur
patrimoniale, comme à Autun, Cahors, Châteauroux ou Louviers, recherchant à
leur redonner une nouvelle vie en développant de nouveaux usages.
Ces villes à taille humaine sont un laboratoire pour
imaginer et construire des solutions innovantes et durables, favorisant la
transition écologique et l’inclusion sociale. Ainsi, Châteauroux propose aux
équipes pluridisciplinaires de penser la transformation de l’ancienne usine
Balsan dans le cadre de la création de la cité du numérique.
À Bourges, il s’agit d’imaginer les nouveaux usages du
couvent des Augustins, inscrit à l’inventaire des monuments historiques, afin
de l’ouvrir aux touristes, aux étudiants et aux artistes.
Intervenir sur des sites patrimoniaux ne signifie pas
pour autant que le recours à la création et à l’inventivité de nouvelles formes
urbaines et architecturales n’est pas possible. Par exemple, Lunéville a
entrepris la construction d’un cinéma à l’architecture contemporaine en centre
ancien. Afin que le projet puisse s’intégrer dans des espaces
protégés (SPR, abords…), différents points ont retenu l’attention des porteurs
du projet : respecter les voisins, apprivoiser l’héritage, se mouler dans
le règlement, obéir aux normes ou encore conquérir l’opinion. Ces « contraintes »
initiales permettent de concevoir une architecture d’excellence entrant en
résonnance avec l’existant et répondant aux nouveaux besoins et usages les plus
contemporains.
Le programme ACV contribue, par sa méthode, ses
outils, son ingénierie et ses moyens, à mobiliser non seulement les élus et les
services de l’État, mais tous les milieux professionnels autour d’un même
objectif : repenser le logiciel de l’aménagement urbain en retrouvant
notamment l’importance de la dimension patrimoniale de nos villes.
Dans un monde de plus en plus virtuel qui aboutit
paradoxalement à isoler les individus, il nous faut assurément reconcevoir la
ville, au profit de toutes les générations et catégories, en nous appuyant sur
les richesses architecturales et paysagères que nous ont transmises les
anciennes générations.
En consolidant ce réseau remarquable de villes qui ont façonné l’identité
patrimoniale et paysagère de notre pays, Action cœur de ville se veut
résolument au cœur de la modernité.
Rollon Mouchel-Blaisot,
Préfet,
Directeur du programme national Action
cœur de ville