Au plafond de la salle des gardes, une ourse et
deux singes, un âne qui chante la messe, le bélier, premier signe zodiacal, une
anguipède, être hybride avec un corps d’homme et une queue de poisson, une
licorne domptée, un phénix, une sirène, une laie musicienne, une chicheface, un
barbier bavard qui entaille la joue de son client, nous enseignant ainsi qu’il
ne faut pas faire deux choses en même temps. Et aussi une jeune fille qui
chevauche une tortue. Cette tortue qui accompagne parfois dans la mythologie,
outre le coq, le dieu Mercure dont la lyre était une carapace de tortue percée
afin d’y attacher des roseaux étirant des cordes en boyau de brebis.
La sirène peut-elle représenter Louis XI, roi
d’une réelle laideur mais fascinant et charmeur ? Le phénix, parfois associé à
l’aigle, peut-il symboliser la pierre philosophale prolongeant la vie (dans la
Bible, le psaume 103 énonce que «
l’Éternel… fait rajeunir comme l’aigle »).La chicheface, animal fantastique
qui a donc une bien vilaine mine, est une sorte de louve efflanquée. Parfois
associée au monstre bigorne, sorte de loup-garou pansu qui, pas vraiment
pignocheur, dévore goulument les maris, elle gobichonne les femmes qui refusent
de contredire leur mari, s’en rassasiant avec joie.
Tel est le décor du château de Le Plessis-Bourré (Maine-et-Loire). On le prétend d’inspiration
alchimique. Il contient incontestablement des rébus, des symboles, parfois des
énigmes. Il interpelle et suscite l’interrogation, il amuse, nous sourit et
nous fait sourire. Un décor qui nous aimante et qui nous conte
incontestablement une histoire cryptique, d’un hermétisme mesuré. Qui distille
intelligence, malice, travail, effort, maîtrise de soi, domination et soumission.
Connaissance et ignorance en gnose peinte. Pour orner de façon magique un
splendide édifice médiéval construit en cinq ans par Jean Bourré. Avec, autour
du bâtiment au décor à la louve, des douves d’une largeur impressionnante de
42 mètres, traversées par un pont de pierre servant d’acrostole à la
somptueuse gentilhommière, presque citadelle, entourée d’eau.
Jean Bourré, né en 1424, fils d’un drapier, « gens de moyen estat », obtient sa licence ès loi en 1445,
travaille chez un procureur puis se met au service du dauphin, le futur
Louis XI, devenant contrôleur de la Chancellerie du Dauphiné. À la mort de
Charles VII, nommé clerc-notaire, il devient le secrétaire de
Louis XI qui succède à son père. Il assure les fonctions de Contrôleur de
la Chancellerie royale et de Conseiller maître en la chambre des comptes de
Paris, à l’origine camera computorum créée par Philippe le Bel, qui
contrôle les finances de l’État, ancêtre de la Cour des comptes.
Il aime les arts, la fauconnerie, les
prouesses militaires. Il apprécie le raffinement et donc probablement les
coussins joliment rembourrés. Il est fidèle au monarque et le sert avec
dévouement, loyauté et constance.
Outre Le Plessis-Bourré, l’argentier
du roi, grand bâtisseur, fait construire à Miré (49) le château de Vaux,
l’église Saint-Martin-de-Vertou à Bourg (Soulaire-et-Bourg, 49), un manoir à
Longué-Jumelles, une partie du château de Langeais et agrandit l’église de
Notre-Dame-de-Cléry destinée à accueillir le tombeau du roi.
En 1465, il doit faire face aux
conséquences de la Guerre du Bien Public, révolte féodale contre le roi de
princes menés par le comte de Charolais qui reproche au souverain sa piètre
façon de gouverner et sa volonté de diminuer leur pouvoir. Jean Bourré est
alors nommé greffier-audiencier du Conseil du roi et s’acharne à mettre fin à
cette guerre, qui cesse après la bataille de Montlhéry. Anobli, nommé capitaine
du château de Langeais, Jean Bourré se blasonne « d’argent à la bande fuselée de gueule, à la bordure de sable chargé
de huit besants d’or ou d’argent ».
Peut-être participe-t-il à la création
de la Poste aux chevaux et à la mise en place des premiers relais de poste,
développés par la suite par Charles VIII et Louis XII.
Diplomate, bâtisseur, serviteur d’un roi, homme des
missions spéciales… Intensément mystérieux et secret sans doute, modérément
grivois quand il nous narre comment il faut coudre le croupion de la pie trop
bavarde ou qu’il nous invite à deviner le sens de la fontaine indécente
(illustration). Philosophe ? Fin connaisseur des contes populaires en tout
cas. Et créateur inspiré.
Mais alchimiste comme d’aucuns le prétendent ?
Expert en théurgie ? Adepte des sciences occultes ? Faut-il chercher
à travers les rébus des caissons du célèbre plafond de son château, ou devant
une serrure énigmatique ornée d’un petit singe, un symbolisme fort nous
révélant les secrets du soufre, élément mâle, du mercure, élément femelle, et
du sel qu’on leur associe, ces trois principes matériels à vocation trinitaire comme
le corps, l’esprit et l’âme ? Sur place, des spécialistes en avancent
l’hypothèse avec force. Nous le pensons avec eux.
Il existe un circuit touristique Jean Bourré en Val
de Loire. En le parcourant, on n’y souffre vraiment pas. Que le mercure baisse
ou monte, les découvertes n’y manquent pas de sel !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire