Le tribunal de grande instance de Versailles
a célébré son audience solennelle de rentrée le 22 janvier dernier,
offrant un tour d’horizon chiffré de l’année écoulée. Un constat, positif,
s’est notamment imposé : la réduction générale des délais de procédure.
Pour autant, il reste beaucoup à faire, et à cet effet, Vincent Lesclous,
procureur de la République, et Christophe Mackowiak, président du TGI, n’ont
pas caché leurs craintes ni leurs ambitions à l’égard de l’institution
judiciaire.
Comme chaque année, cette audience solennelle de
rentrée a été l’occasion pour le
Procureur Vincent Lesclous de revenir sur les dernières améliorations en date :
principalement, la réduction de la durée des procédures, au prix d’un gros
investissement des acteurs judiciaires, a-t-il clairement exprimé. « Chaque
jour ouvrable, ce parquet met le tiers environ de son effectif de magistrats
disponibles au service de ses diverses permanences téléphoniques ou
électroniques. Quatre magistrats se partagent les jours non ouvrables, deux
sont de permanence téléphonique chaque nuit. Nous avons dû monter une
organisation très sophistiquée de nos traitements en temps réel, en dernier
lieu en créant un système dérivé de traitement du contentieux routier reposant
sur des greffiers assistants du magistrat, a-t-il salué. Sans doute,
enregistrons-nous là un succès avec un temps d’attente très réduit au téléphone
et un retour très rapide par courriel et, de façon générale une effectivité
reconnue de la réponse pénale », s’est-il félicité. Le président du TGI a,
pour sa part, profité de l’audience pour fournir un bilan chiffré de l’activité
de la juridiction. En matière civile, ce dernier a souligné que l’année écoulée
avait été marquée par la réforme du divorce par consentement mutuel.
Conséquence directe : une baisse importante des affaires nouvelles,
puisque le tribunal a été saisi de 15 079 procédures, soit environ
2 000 affaires en moins par rapport à l’année précédente. Toujours en
matière d’affaires familiales, autre point positif : les délais de
convocation pour les audiences de conciliation et les affaires hors ou après
divorce ont été réduits pour tendre progressivement vers quatre mois. En
revanche, le président du TGI a précisé que le nombre de décisions en matière
de divorce contentieux était en baisse, appelant à une « vigilance
accrue » sur ce point en 2018. Plus globalement au civil, le nombre
d’affaires terminées est resté stable : soit environ
17 000 décisions. Plus de 1 000 décisions se sont
substituées à des jugements d’homologation de divorce par consentement mutuel
« qui nécessitaient un moindre temps de travail », a expliqué
le président, Christophe Mackowiak. Un effort surtout perceptible, a-t-il
ajouté, dans les affaires civiles du gracieux, dans le contentieux du juge aux
affaires familiales et dans le contentieux général. Le contentieux général,
justement, a vu une augmentation importante de la part des décisions au fond
dans les affaires terminées. À l’inverse, le président du TGI a noté une forte
diminution des requêtes en rectification d’erreurs matérielles et en
interprétation, ce qui témoigne, selon lui, d’un « effort qualitatif
important des magistrats et du greffe dans la rédaction des décisions »
qui doit être poursuivi. Les délais de traitement en matière d’aide
juridictionnelle ont été, quant à eux, largement réduits.
En matière pénale, le bilan est apparu un peu plus
mitigé, caractérisé d’abord par une hausse des actes délictueux, entraînant de
fait une progression de l’activité correctionnelle générale. Ainsi, en 2017,
plus de 12 000 décisions ont été rendues par le TGI de Versailles.
Chiffre marquant : en matière de mineurs, plus de 1 000 affaires
nouvelles ont été enregistrées. L’activité pénale est restée soutenue et le
nombre de mineurs déférés a augmenté, a déploré le président du TGI. Ceux
suivis en assistance éducative par les juges des enfants sont légèrement plus
nombreux : toujours au-delà de 3 000. Autre point noir : les
travaux d’intérêt général poursuivent leur baisse régulière, ce qu’a regretté
le président du TGI. « Une mobilisation des acteurs locaux apparaît
indispensable car leur concours pour accueillir les condamnés est une
nécessité. Une journée sera prochainement organisée avec le Service
pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) sur ce sujet »,
a-t-il précisé. Par ailleurs, le nombre de mesures suivies par les juges de
l’application des peines en milieu ouvert a lui aussi diminué, notamment dû au
fait que le service en question n’a « pas bénéficié d’un effectif
complet en fin d’année ». Côté bonnes nouvelles en revanche, les
délais de jugement ont été réduits. En outre, les décisions d’aménagement des
peines se sont maintenues à un haut niveau, particulièrement dans la mise en
œuvre du placement sous bracelet électronique.
Des questions d’indépendance
Au-delà des chiffres, cet après-midi de rentrée
solennelle a également permis au procureur Vincent Lesclous et au
président Christophe Mackowiak de s’appesantir sur les rôles, au sein du
TGI, du ministère public et des magistrats. Sur le rôle du ministère public, le
procureur a tenu à mettre en avant l’équilibre que ce dernier requiert et
applique, selon lui, entre hiérarchie et indépendance, légalité et opportunité,
politiques pénales et individualisation, répression et prévention, garantie et
accusation. Vincent Lesclous a également estimé que ce rôle reposait « sur
un principe de liberté d’action qu’illustrent et organisent des règles comme
l’opportunité des poursuites ou la liberté de parole » et captait,
« dans le cadre nécessaire des politiques pénales, la complexité des êtres
et des circonstances ». Le procureur a néanmoins reconnu que la
question d’une « plus grande indépendance » du ministère
public devait être résolue. « Sur ce plan fondamental comme dans les
règles de procédure, il faut bien sûr réformer sans toutefois fragiliser,
risque majeur et hélas parfois concrétisé des réformes judiciaires »,
a-t-il temporisé.
Sur la problématique de l’indépendance, le président
du TGI a également tenu à réagir. Ce dernier a rappelé que trois syndicats
de magistrats avaient récemment interrogé le Conseil constitutionnel afin de
savoir si l’article 5 de l’ordonnance statutaire prévoyant que les magistrats du parquet sont
placés sous l’autorité du garde des Sceaux était conforme au principe de
l’indépendance de l’autorité judiciaire (article 64 de la Constitution).
« Le Conseil a répondu positivement. Il considère, au regard des
conditions de nomination et de sanction des magistrats du parquet, des instructions
générales de politique pénale que le ministre de la Justice peut leur adresser
notamment afin d’assurer l’égalité des citoyens devant la loi, de
l’interdiction de leur adresser des instructions dans des affaires
individuelles, de la liberté de parole à l’audience du ministère public, de sa
mission de veiller à ce que les investigations de police judiciaire soient
accomplies à charge et à décharge ainsi que du principe d’opportunité des
poursuites, que les dispositions contestées assurent une conciliation
équilibrée entre le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire et les
prérogatives que le gouvernement tient de l’article 20 de la
Constitution pour déterminer et conduire la politique de la nation. (...) Il
affirme enfin que ces dispositions ne méconnaissent par la séparation des
pouvoirs. », a détaillé Christophe Mackowiak, précisant
que le président de la République avait pour sa part indiqué qu’il convenait
d’assurer plus fermement l’indépendance des magistrats du parquet, mais qu’il
fallait néanmoins maintenir la conception du parquet à la française, et donc
son rattachement au garde des Sceaux.
Pour autant, mettant en exergue l’évolution
constatée en Europe dans les rapports entre l’exécutif et la justice, le
président du TGI s’est interrogé : cette question de l’indépendance ne
mériterait-elle pas une nouvelle réflexion ? « Dès lors que l’on
considère qu’un membre de l’autorité judiciaire puisse se situer sous
l’autorité du pouvoir exécutif, il m’apparaît prudent de prévoir les plus
hautes garanties dans le processus de nomination. La consécration de l’unité de
la magistrature par une nomination des magistrats du parquet identique à celle
des magistrats du siège offrirait à mon sens une garantie supplémentaire dans
notre état de droit », a-t-il estimé.
Le président du TGI s’est enfin questionné quant aux
lacunes en matière d’indépendance financière. « L’autorité judiciaire
ne peut bénéficier d’une indépendance totale dès lors qu’elle ne dispose pas de
ressources propres. Elle dépend des moyens qui lui sont accordés », et
a cité à cet effet un rapport de juillet 2017, déposé par un groupe de
travail initié par le Premier président de la Cour de cassation et le
procureur général, qui pointe une absence d’autonomie de décision
financière et une autonomie de gestion financière très limitée.
Réformer et moderniser la
justice : un impératif
Vincent Lesclous a par ailleurs émis le souhait
d’une plus grande unité entre la société et la justice, unité qui, à son sens,
ne peut se construire « qu’au prix d’une unité à l’intérieur qui
implique que les réforme ne se limitent pas au juridique ». Il a
encore appelé à une réforme des modes de gouvernance et de management, par la
mise sur pied de dispositifs permanents de contrôle et d’audit internes, par la
gestion finalisée des carrières et des compétences, ou encore par la réforme
des missions et de l’organisation des greffes. « J’essaie en vain
depuis trois ans de faire créer un site commun parquet-police-gendarmerie
qui permettrait un partage documentaire et un travail collaboratif, sources de
qualité et d’économies », a regretté le procureur. Ce dernier a
également insisté sur la nécessité de réduire l’aléa judiciaire. « À
cet égard, il serait nécessaire que tous les magistrats disposent de normes
concrètes de références, mettent leurs pratiques en commun et intègrent
l’éparpillement de leurs décisions dans des processus généraux d’évaluation.
Des pays étrangers s’y sont lancés. Une informatique adaptée que nous ne devons
pas craindre, serait un levier puissant », a-t-il enfin affirmé.
Le président du TGI lui aussi a fait le vœu d’une
réforme en profondeur du système judiciaire. Ce dernier a cité à l’appui de ses
propos un rapport d’avril 2017 de la commission des lois du Sénat intitulé « Cinq
ans pour sauver la justice », qui, à ses yeux, « montre le
caractère critique de la situation, (...) affirme l’urgence de
moderniser le fonctionnement de la justice et d’adapter ses moyens ».
En outre, le président a rappelé que le gouvernement avait annoncé en
octobre 2017 un
plan d’action – les chantiers de la justice – comprenant cinq thèmes
prioritaires. Particulièrement sensible aux propositions émises dans ce cadre,
Christophe Mackowiak est revenu sur trois propositions qu’il juge
importantes en termes de simplification et de modernisation de la justice. Tout
d’abord, la création d’une juridiction unique et recentrée en
première instance : le tribunal judiciaire. Le président a tenu à
vanter les effets positifs en termes « de gestion administrative et
budgétaire, de lisibilité, d’organisation des services et d’affectation des
ressources humaines » que permettrait ce projet. Un projet qui
donnerait lieu à la création d’une « porte d’entrée unique pour le
justiciable qui souhaite initier une procédure (...), condition préalable à la
simplification de l’organisation judiciaire ». Autre proposition
promue : la saisine numérique de la juridiction par un acte unifié. L’acte
de saisine numérique, normalisé, est censé comprendre les données relatives aux
parties en cause et à la compréhension du litige. Saisi en ligne sur un site
dédié complété par le particulier ou par son conseil dans les procédures avec
représentation obligatoire, « il évitera une nouvelle saisie
informatique par le greffe [et] facilitera le traitement des procédures »,
a estimé Christophe Mackowiak. La troisième proposition mise en avant par
ce dernier consiste en la création d’un dossier judiciaire numérique unique,
civil ou pénal, à son sens le « support indispensable d’une véritable
transformation numérique de la justice ». Le dossier en question
prendrait la forme d’un dossier numérique, unique, alimenté et consulté par les
parties et les acteurs du procès. Outre les actes de procédures, il
comprendrait l’intégralité des pièces versées aux débats. Chaque acteur du
procès y aurait accès par un système sécurisé à tout moment de la procédure.
« Il assurerait le strict respect du contradictoire et permettrait
d’ouvrir la voie à une audience interactive pour une meilleure efficacité »,
a affirmé le président du TGI. Celui-ci a tenu à réaffirmer une dernière fois,
à l’issue de son discours, « l’impérieuse nécessité, pour une justice
qui souhaite réellement opter pour le chemin de la modernité, d’entrer avec
ambition dans l’ère du numérique ». Avant de temporiser : « le
numérique n’est qu’un outil et non un but. La justice comporte une dimension
humaine indispensable qui doit être préservée, voire même renforcée ».
Ainsi, le président a tenu à préciser qu’un justiciable qui ne maîtrise pas le
numérique ou qui ne peut y avoir accès ne doit pas être « l’exclu ou
l’oublié de cette justice modernisée », mais qu’il doit être, au
contraire, accompagné. « Il est grand temps je crois d’agir avec
ambition pour offrir aux citoyens français une justice accessible, moderne et
efficace à laquelle ils pourront sans hésitation accorder leur confiance »,
a-t-il conclu.
Bérengère Margaritelli