Il s’auto-intitule « povre escolier », se dit «
de petite extrace » et écrit dans son « Testament » (strophe XXXV) : « sachiez
qu’en grant povreté Ne gist pas grande loyauté ». Villon est tout à la fois son
nom et son surnom de fripon, si l’on se réfère au dictionnaire de Furetière,
pour qui « villonner » c’est tromper quelqu’un, le friponner.
Trompeur, fripon, meurtrier, poète, François
Corbeuil (pour le même Furetière), en réalité François de Montcorbier (pour les
historiens), fils d’une « povrette » et d’un père inconnu, naît en 1431. Entre
un massacre et un sacre. Le massacre de la Pucelle et le sacre de Henri VI. Le
corps de Jeanne d’Arc s’embrase et le zéphyr se transformant en bourrasques
emporte ses cendres. Tandis que son âme se répand sur la nation qui balbutie sa
construction, le roi d’Angleterre est sacré roi de France à Notre-Dame de
Paris. Qui s’embrasera 588 ans plus tard.
Il est adopté par un chapelain, Guillaume de
Villon, qui lui laisse son nom, et fait quelques études qui en font un clerc de
l’université de Paris, maître ès arts, et qui vont l’amener à écrire et à
participer à des spectacles. Vole-t-il lors d’une farce avec d’autres «
escholiers » le « Pet-au-diable », une pierre bornant une rue de Paris ? On le
suppose. Lors d’une rixe, en 1455, il tue un prêtre. Soutenu par des amis, il
échappe à la justice.
En 1456, il vole 500 écus contenus dans le
coffre du Collège de Navarre et fréquente des criminels aguerris, les
Coquillards. Peu après, en 1457, ce poète au comportement parfois très laid nous
laisse le bien joli Lais, dans lequel il se décrit comme « amant martir, du
nombre des amoureux sains », et donne des conseils pleins de sous-entendus à
ses amis de débauche.
Il s’y amuse beaucoup mais on y devine aussi sa
grande culture, puisqu’outre Aristote, il y évoque le droit canon :
« Item, je
laisse a Sainct Amant
Le Cheval blanc avec la Mule,
Et a Blaru mon dÿamant
Et l’Asne royé qui reculle.
Et le decret qui articulle
Omnis utriusque sexus
Contre la Carmeliste bulle
Laisse aux curez, pour mettre sus. »
Or, le décret « Omnis utriusque sexus
» dont il confie aux curés le soin de le mettre en application, est un canon
édicté par le Concile de Latran en 1215 imposant aux fidèles la confession
annuelle auprès du seul curé de paroisse. Villon est très au fait des règles
religieuses !
Ses méfaits le conduisent au cachot,
dans les geôles du château de Meung-sur-Loire, où il connaît la torture,
probablement la « question » lors de laquelle il ingurgite sans soif quelques
pintes d’eau ! Une panse solide sauve le penseur. Louis XI le fait libérer.
Revenu à Paris, il blesse un notable lors d’une rixe. Ses deux compères sont
condamnés à mort. Pendant qu’il attend sa condamnation, il compose « Les frères
humains », texte qui sera renommé plus tard « La Ballade des pendus ». On y trouve les vers suivants :
« Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille
absoudre ! »
La peine de mort qui le frappe à son tour est commuée
le 5 janvier 1463 en
bannissement par le Parlement de Paris. Agé de 32 ans, Villon disparaît totalement et on ignore tout de
la fin de sa vie et de sa mort. Celui qui avait connu les oubliettes
ligériennes se fait oublier des autorités parisiennes. L’auteur des ballades
part définitivement en balade.
Il laisse à la postérité une poésie somptueuse, dont
l’empan en fait une œuvre majeure du Moyen âge.
Une littéraire et éclectique balade à travers ses poétiques et vernaculaires
ballades le fait parfois qualifier de père fondateur de la poésie réaliste.
Il dénonce le comportement des écornifleurs,
sangsues, parasites, resquilleurs et autres pique-assiettes dans son « Recueil des Repues franches » décrivant la façon de vivre
aux dépens des autres.
S’il admet que les Florentines et les
Vénitiennes sont « belles langagières
», que les Napolitaines sont « très
bonnes caquetières », il met à l’honneur la verve et le visage des
parisiennes en concluant chaque strophe de sa « Ballade des femmes de Paris »
par : « il n’est bon bec que de Paris
» !
Chaque strophe de sa « ballade en vieil langage françois » se
termine par « Autant en emporte ly vens
»… Villon ne peut se douter qu'un jour, on traduira le roman de l’américaine
Margaret Mitchell, « Gone with the wind », mettant en scène la Guerre de Sécession
et l’héroïne Scarlett O’Hara, par « Autant en emporte le vent », titre qui sera
aussi celui du film adapté du roman. Amateur de rixes à la
verve prolixe, batailleur meurtrier et versificateur très doué, incarcéré et
torturé par des juges indignés mais libéré par un roi sachant pardonner,
Villon, orphelin adopté, auteur encanaillé et décortiqué, utilisant l’argot
sans pour autant mépriser l’atticisme éclairé, séduit ses lecteurs pour
l’éternité !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire