L'aléa est
inhérent au milieu montagnard. Les avalanches sont une réelle illustration de
ce fait et viennent nous rappeler chaque année, par leurs conséquences
dramatiques, que la montagne restera toujours indomptable malgré tous les
efforts de l'homme. La saison d'hiver 2018/2019 a emporté 92 personnes dans les avalanches,
dont 13 ont trouvé
la mort, d'après le bilan de l'Association Nationale pour l’Étude de la Neige
et des Avalanches.
Dans le cas
de litiges provenant d'un accident d'avalanche, il faut pouvoir déterminer à
quel moment des erreurs ont pu être commises (préparation de l'itinéraire,
faute durant l’ascension...). Sur la scène judiciaire, ces éléments ont leur
importance pour établir les possibles responsabilités. Cette analyse se
retrouve dans les décisions suivantes.
La
responsabilité contractuelle d'un guide de haute montagne peut se trouver
engagée lorsqu'une personne qu'il encadre décède du fait d'une avalanche :
a-t-il mis en œuvre tous les moyens pour assurer la sécuritéde son
groupe ?
La
problématique des avalanches concerne globalement tout pratiquant d’activité de
haute montagne. Toutefois, les professionnels tels que les guides de haute
montagne, du fait de leurs obligations contractuelles à l’égard de leurs
clients et de leurs meilleures connaissances du milieu montagnard, se trouvent
astreints à une vigilance renforcée. Ainsi, il convient d’analyser les moyens
essentiels qu’ils doivent déployer pour assurer la sécurité de leur groupe du
fait de ce risque particulier d'avalanche. Peuvent-ils se prévaloir du
caractère imprévisible de ce phénomène naturel ? Comment appréhender les
différents impératifs du terrain et du groupe face à ce risque ? Les
guides sont-ils investis d'une obligation de sécurité de résultat ou bien d’une
obligation de moyens ?
La cour
d'appel de Grenoble, dans une décision rendue le 6 février 2018, est venue clarifier certaines
obligations qui incombent aux guides pour éviter les conséquences parfois
dramatiques des phénomènes avalancheux.
En l'espèce,
une femme membre d'un club de sports de montagne participe à un stage de quatre
jours dans les Hautes-Alpes organisé par cet organisme. Le programme est
constitué d'activités telles que le ski de randonnée et l'escalade sur cascades
de glace et ce, avec l’encadrement de guides de haute montagne. Durant
l'escalade d'une cascade de glace, une avalanche se déclenche et emporte trois
participants, dont la personne en question, ce qui entraînera son décès. La
responsabilité du guide ayant encadré la sortie est alors mise en cause par la
famille de la victime.
Il peut paraître inapproprié de mettre en cause la
responsabilité d'un encadrant professionnel, suite à un drame causé par une
avalanche, puisque ce phénomène semble imprévisible et incontrôlable.
Cependant, ce qui reste un aléa peut aujourd'hui, en partie, être anticipé et
évité grâce aux progrès technologiques et météorologiques. De ce fait, les
professionnels ne peuvent se limiter à évoquer le phénomène de l'avalanche
comme étant une cause de force majeure pour s'exonérer de leurs
responsabilités.
En l'espèce, le site des cascades de glace en question
est répertorié comme couloir d'avalanche sur la carte de localisation des
phénomènes d'avalanche. Il est, ce jour-là, classé en alerte avalanche 3 sur 5, avec évolution au
cours de la journée en niveau 4. Il s’avère par ailleurs qu’aucun membre du
groupe ne porte de détecteur de victimes d'avalanches (DVA) et que le guide n'a
sur lui, ni sonde ni pelle. Comme le rappelle le Carnet Juridique du Ski
(7.05, pages 244 et suivantes) et une décision de la cour d'appel de Chambéry du
23 juin 2016, être en possession de ces équipements est une obligation
dont l'omission caractérise, à elle seule, l’existence d'une faute. Outre cette
obligation de port du matériel adéquat par tous les membres du groupe,
l'encadrant se doit également de vérifier la connaissance par les membres de ce
groupe, des modalités d'utilisation du dit matériel pour éviter toute ignorance
ou confusion lors de sa mise en œuvre.
Dans le cas d’espèce, le guide argue tout d’abord
s’être référé aux informations figurant dans un Topoguide, document de portée
générale et dont les indications sont destinées au grand public, pour
déterminer que l'activité n'était soumise à aucun risque avalancheux.
L'argumentaire du guide consiste ensuite à affirmer que le port d'un Appareil
de recherche de victimes d’avalanche (ARVA) n'aurait peut-être pas empêché le
décès de la victime, laquelle est restée ensevelie sous l'avalanche durant
30 minutes.
La cour d'appel est restée insensible aux tentatives
de justification du guide de montagne, en affirmant que ce dernier aurait dû
mettre en œuvre les moyens suffisants pour assurer la sécurité des membres du
groupe dont il avait la charge. L'avis éclairé d'un enquêteur du pelotons de
gendarmerie de haute montagne (PGHM), présent durant le secours de la victime,
vient souligner que le guide avait manqué de vigilance et de discernement eu
égard aux conditions atmosphériques de chutes de neige et avait sous-estimé la
topographie de la cascade.
La juridiction retient donc la responsabilité du
guide, en ce qu'il n'aurait pas satisfait à son obligation contractuelle de
sécurité de moyens.
Cour d'appel de Grenoble,
6 février 2018
Madame
Clozel Truche, présidente
Madame
Lamoine, conseillère
Monsieur
Grava, conseiller
Madame Lock
Koon, greffière
« L'ensemble
de ces éléments (cascade classée comme couloir d'avalanche, risque d'avalanche
au niveau 3 “marqué”
évoluant niveau 4 “fort” en
cours de journée, absence de DVA, de pelle et de sonde...) permet de conclure
que le guide de haute montagne n'a pas mis tous les moyens en œuvre pour
assurer la sécurité de son groupe compte tenu du risque élevé d'avalanche ce
jour-là en conduisant les participants sur une cascade de glace.
En sa
qualité de professionnel, il lui appartenait d'analyser concrètement la
situation dans tous ses aspects sans se limiter aux pratiques habituelles et
aux indications du Topoguide de portée générale comme destiné au grand public.
Enfin, il
est indifférent que la cause de la mort de la victime n'ait pas été déterminée
médicalement avec précision, le fait qu'elle ait été ensevelie sous une
avalanche pendant environ 30 minutes, qu'elle en ait été dégagée
inconsciente et que, malgré des tentatives se poursuivant durant
1 heure 30, elle n'ait pas pu être ranimée, permettant de conclure
que son décès est bien la conséquence directe des fautes commises par le guide
encadrant. »
Le constat d'erreurs d'appréciation de quatre militaires gradés ayant entraîné la mort de
six légionnaires dans une avalanche
La préparation d'un itinéraire en hors-piste doit être minutieuse, afin
d'éviter les risques naturels liés au milieu montagnard. Pouvoir apporter la
preuve de cette nécessaire vigilance est essentiel quand un accident se produit
et que les personnes impliquées doivent comparaître devant les juridictions.
Dans le cadre d'un groupe évoluant en hors-piste, il est important d'avoir une
bonne connaissance topographique du parcours, outre la connaissance et la prise
en compte des prévisions météorologiques pour ne pas s’exposer aux avalanches.
Cependant, d'autres éléments peuvent être retenus, comme le choix du parcours
en fonction du niveau technique des participants et la qualité des
accompagnateurs.
Le 18 janvier 2016, 52 légionnaires sont conduits par
trois militaires gradés sur un itinéraire de ski de randonnée dans le massif de
Valfréjus, dans le cadre d'un stage ayant pour but de leur apprendre les bases
du déplacement en montagne. Quelques mètres avant la fin de l'itinéraire, une
avalanche de 400 mètres de large se déclenche et emporte
18 militaires, dont 6 qui
périront. Ceux-ci étaient âgés de 21 à
33 ans.
La juridiction de première instance de Lyon, en sa chambre
militaire, a rendu une décision le 20 décembre 2019, formulant son avis sur la question de la responsabilité des militaires
gradés ayant organisé cette sortie, avec la mort et les blessures causées aux
membres du groupe de légionnaires.
Les gendarmes de la section de recherche de Chambéry ont souligné,
après enquête, que l'accident était la résultante « d’un enchevêtrement
d'erreurs professionnelles, tant sur le plan de la discipline militaire que sur
la connaissance du milieu montagnard ». In fine, il est retenu que des
manquements se sont révélés dès la préparation de la sortie, car les prévisions
météorologiques n'ont pas été prises en compte, alors même qu'elles étaient
affichées quotidiennement dans les bureaux des personnes concernées. De plus,
aucune information n’a été demandée aux services locaux. Par la suite, durant
la sortie, d'autres problématiques sont apparues, comme le niveau technique
limité de certains légionnaires, l'absence de recommandations sécuritaires de
la part de l'adjudant ainsi que des erreurs d'orientation sur le parcours.
La question de la prise en compte du niveau technique et du nombre de
participants à la sortie est pourtant essentielle pour mesurer la bonne gestion
de la sortie par l'encadrant, qu'il soit professionnel ou non.
Le déroulement de l'audience va venir confirmer que la hiérarchie
n'était pas bien établie ce jour-là, les prévenus n'étant pas en accord sur les
dires des uns et des autres, alors même que pendant une telle sortie, l'attente
des membres du groupe encadré repose sur la confiance dans le leader, lequel,
ici, n'était pas clairement déterminé.
L'expert nivologue, appelé à exposer son rapport devant la juridiction,
ajoutera que la présence d’un important nombre de skieurs avait constitué une
surcharge et des sollicitations trop prononcées du manteau neigeux qui, lui,
était trop instable. Il en a conclu que l'avalanche a été déclenchée par les
légionnaires eux-mêmes et qu'une simple approche spatio-temporelle de la
situation aurait dû empêcher de s'engager sur ce parcours.
En l'espèce, le tribunal a retenu la culpabilité des encadrants.
Les prévenus
ont interjeté appel, ainsi que le ministère public et les parties civiles.
Tribunal de Lyon dans sa
formation militaire, 20 décembre 2019
Madame
Vernay, Première vice-présidente
Madame Lareal, vice-présidente
Monsieur Antoine, procureur
Madame Amalric, greffière militaire
« C'est
alors qu'une avalanche de grande ampleur se déclenchait, emportant une partie
importante du détachement. Vingt hommes étaient ensevelis.
Le bulletin
d'estimation des risques d'avalanches édité par Météo France la veille,
annonçait un risque de 3 sur une échelle de 5 avec un risque marqué.
Ce secteur
où évoluaient les militaires était un domaine de montagne, et ne faisait pas
partie du domaine skiable de la station. Il ressortait des auditions que les
responsables du groupe de militaires ne contactaient pas les pisteurs de la
station sur les conditions nivo-météorologiques locales.
Les arrêts
pratiqués par les militaires sur le cheminement de la montée provoquaient une
accumulation d'hommes, les exposant à se trouver bloqués groupés au milieu de
la pente.
L'enquête
soulignait cependant que le taux d'encadrement était largement suffisant, et
que des précautions étaient prises, notamment la reconnaissance effectuée la
veille qui n'était pas obligatoire. »
L'absence de responsabilité du
guide et du club sportif
Malgré les
avancées scientifiques permettant de prévoir les phénomènes naturels tels que
les avalanches, certaines catastrophes qui peuvent avoir des conséquences
dramatiques échappent aux prévisions. La violence des événements entraîne les
familles des victimes à se poser la question de la responsabilité du guide ou
du club et à évoquer d’éventuelles fautes commises par l'un ou l'autre.
En l'espèce,
un groupe de quatre personnes qui participent à un stage d'alpinisme proposé
par le club sportif est encadré par un guide de haute montagne. Une avalanche
se déclenche et emporte la cordée. Les quatre participants décèdent et seul le
guide survit.
La famille
de l’une des victimes argue que le guide a commis une faute d'imprudence et de
négligence au regard des conditions météorologiques et du choix du parcours. En
outre, les victimes n'auraient pas été informées par le guide des circonstances
dans lesquelles se déroulerait la sortie. Selon un expert sollicité par la
famille, l'avalanche était prévisible. Cette affirmation contredit l'avis d’un
autre expert missionné par le guide selon lequel « seules des
avalanches de faible ampleur étaient possibles dans le pire des cas, sans
conséquences pour l'intégrité des grimpeurs ». La cour d'appel rejette
les arguments de la famille. Elle retient que les quatre participants à la
sortie étaient des alpinistes chevronnés et expérimentés, que le club avait averti,
sur la fiche du stage, que le niveau des participants devait être élevé et
qu’il n’appartenait pas audit club de délivrer des informations plus précises.
De plus, la juridiction souligne que le guide s’était montré attentif à son
environnement durant l’ascension et qu’il avait indiqué aux enquêteurs qu’il
n’avait perçu aucun signe pouvant le mettre en alerte sur la survenance d’une
avalanche.
La cour
d’appel a conclu qu'il n'était pas démontré avec certitude que le guide ait
commis une faute d'imprudence ou de négligence à l'origine du décès des
victimes, le désaccord des deux experts sur l'analyse de l'avalanche étant
d'ailleurs révélateur du fait que le guide n'aurait pu, par lui-même, prédire
l'avalanche et son ampleur.
La cour
d’appel confirme le jugement rendu le 29 juin 2017 par le
tribunal de grande instance de Nanterre, en ce qu’il a écarté la responsabilité
du guide et du club sportif qui n’a pas de lien direct avec le guide lequel
n’est pas son préposé. Elle écarte par ailleurs, toute autre responsabilité du
club.
Cour d'appel de
Versailles, 11 avril 2019
Madame
Boisselet, présidente
Madame
Bazet, conseillère
Madame
Derniaux, conseillère
Madame
Besson, greffière
« Le
guide de montagne était soumis à une obligation de sécurité de moyens et, en aucun
cas à une obligation de résultat, ce qui s'explique par le danger inhérent à
l'activité d'alpinisme ou d'escalade en hiver en haute montagne.
Les
enquêteurs ont exclu que le guide ait commis une infraction, à savoir qu'il
ait, par imprudence, maladresse, inattention, négligence ou manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, causé
la mort de quatre personnes.
Il apparaît donc que le guide a pris en compte son environnement tout
au long de l'ascension, témoignant ainsi de son souci d'assurer le maximum de
sécurité aux membres du groupe et de sa capacité à renoncer à poursuivre en cas
de signe inquiétant. »
« C’est à raison que la demande formée sur (le) devoir
d’information a également été rejetée par le tribunal.
Aucune faute n’étant retenue à l’encontre de Monsieur D, la mise
en cause de la responsabilité du club sur le fondement d’un prétendu lien de
préposition est sans objet. »
« Il n’appartenait pas au club de délivrer des informations plus
précises ou des avertissements qui relevaient de la compétence du guide…
Les appelants ne démontrent donc pas que le club ait commis la
moindre faute. »
Maurice Bodecher,
Bâtonnier 2019/2020 du Barreau d’Albertville,
Avocat (Avocatcimes), Albertville,
Membre du réseau GESICA
Élisabeth Arnaud-Bodecher,
Avocat honoraire,
Co-auteur de « Carnet Juridique du Ski »
Margot Mondon,
étudiante en Master 2
droit de la montagne
(Université Chambéry-Grenoble).
Morgane Mari,
étudiante en Master
droit de la montagne
(Université Chambéry – Grenoble).