À l’occasion de l’examen du projet de loi asile et immigration, présenté
en Conseil des ministres le 21 février 2018, l’ordre des avocats du barreau
de Paris a organisé un colloque intitulé « Le droit d’asile, un droit en
danger ? », lors duquel experts, avocats, parlementaires,
représentants du monde associatif et de la société civile, etc., ont débattu
ensemble sur les enjeux majeurs de ce projet de loi et les questions liées aux
migrations en France et en Europe.
La France a
enregistré plus de cent mille demandes d’asile l’an dernier, soit 15 %
de plus qu’en 2016. Quant aux recours à la CNDA (Cour nationale du droit
d’asile) contre les décisions de rejet du droit d’asile par l’OFPRA (Office
français de protection des réfugiés et apatrides), elles ont explosé passant de
39 986 à 53581 entre 2016 et 2017. Face cette situation, le gouvernement a jugé
nécessaire d’endiguer le flux des candidats à l’immigration pour éviter que les
choses deviennent ingérables. Ainsi, le 21 février dernier, le projet de loi
asile et immigration, porté par Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, a
été examiné en Conseil des ministres. Dans un communiqué du même jour, le ministère
de l’Intérieur explique : « ce
texte s’inscrit dans la continuité des engagements pris par le président de la
République durant la campagne électorale ainsi que dans celle du plan "Garantir
le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires" présenté par le Premier
ministre le 12 juillet ». Plus loin : « car si c’est l’honneur de la France que
d’accorder une protection à celles et ceux qui fuient la guerre ou les
persécutions, atteindre ce but suppose que notre pays se montre plus efficace
dans l’éloignement de celles et ceux qui, déboutés du droit d’asile, n’ont pas
vocation à demeurer sur notre sol ». Renforcer l’effectivité des procédures
de demandes d’asile, simplifier le séjour et l’intégration, tout en luttant
contre l’immigration irrégulière, telle est la vocation de ce texte, selon ses
défenseurs. À la lecture des mesures contenues dans le texte, on devine que l’objectif
prioritaire du gouvernement est en réalité de réduire de manière radicale les
délais d’examen des demandes d’asile.
Les principales mesures
Le projet de loi
entend trancher en six mois le délai d’instruction de la demande d’asile,
recours compris. Ce qui impacterait toutes les phases de la procédure de
demande d’asile. Ainsi, une réduction de 120 à 90 jours du délai pour
déposer une demande d’asile après l’entrée dans l’Hexagone est prévue par la
loi. Le texte instaure aussi une réduction d’un mois à 15 jours du délai
de recours à la CNDA d’une décision de l’OFPRA. Pour certaines catégories de
déboutés (demandeurs des pays sûrs comme l’Albanie et le Kosovo, ou ceux
considérés comme dangereux), l’éloignement sera facilité puisque la décision
prendra effet avant que le CNDA ne donne son avis. De plus, les demandes
d’asile effectuées par cette catégorie de personnes n’empêcheront plus les
préfectures de délivrer des obligations de quitter le territoire.
Pour les personnes
devant être expulsées, la durée maximale de rétention administrative passerait
de 45 jours actuellement à 90 jours, renouvelables trois fois. Les
pouvoirs publics disposeraient ainsi de plus de temps pour organiser les
renvois (notamment obtenir les laisser-passer consulaires).
Au cours de la
procédure de recours à la CNDA, la loi prévoit également, pour aller plus vite,
le développement des audiences par vidéoconférence, donc à distance.
Enfin, le texte
prévoit deux autres dispositions, lesquelles ont été très controversées en
amont du projet de loi : le recensement des migrants (cf. circulaire dite
Collomb du 12 décembre 2017 qui permet de recenser les migrants dans
les centres d’accueil) et le placement en détention des dublinés (cf. procédure
Dublin III), c’est-à-dire des étrangers qui rejoignent l’UE et qui doivent en
théorie déposer une demande d’asile dans le premier pays où ils atterrissent.
Des avocats en colère
L’ensemble de ces
mesures fait l’objet depuis quelques mois de contestations de toute part. Associations,
avocats, experts et même certains membres de la majorité voient en ce texte l’instauration
d’un système répressif. Ainsi, le barreau de Paris a estimé dans un communiqué
du 21 février 2018 que « le texte ne respecte pas les principes
fondamentaux encadrant le droit d’asile, la Convention européenne des droits de
l’homme et notre Constitution ». Ce qui suscite notamment la colère des avocats,
ce sont les délais jugés beaucoup trop courts, mais aussi l’usage quasi imposé de
la vidéoconférence, qui permet certes d’aller plus vite, mais qui pourrait
également, selon eux, déstabiliser les étrangers les plus fragiles. Pour le conseil
de l’Ordre, à cause de ces mesures, « les
réfugiés se trouvent ainsi exclus de la procédure de droit commun ».
Le barreau de Paris s’est aussi indigné du fait que « les avocats ne puissent plus exercer [dans ces conditions] leur profession
sereinement et dignement ».
Le barreau a donc
décidé d’organiser le 6 mars dernier un grand colloque réunissant toutes
les parties prenantes spécialisées sur ce sujet afin de débattre sur les enjeux
à venir de ce projet de loi et sur la situation des migrants en France et en Europe.
On notamment participé à cette journée d’ échanges : Ralf Grunert,
représentant du Haut-commissariat pour les réfugiés en France ; Vanina
Rochiccioli, présidente de Gisti, avocate au barreau de Paris ; Christine
Lazerges, présidente de la CNCDH ; Catherine Delanoë-Daoud, avocate au
barreau de Paris et coresponsable du « pôle MiE » de l’antenne des
mineurs ; Jacques Toubon, Défenseur des droits ; le frère David de la
communauté de Taizé ; Michel Agier, directeur d’étude de l’École des
hautes études en sciences sociales, etc.
Critiques et inquiétudes
Les travaux de ce
colloque ont été ouverts par Basile Ader, vice-bâtonnier de l’ordre des avocats
du barreau de Paris, puis trois tables rondes ont ensuite été
orchestrées : « Les garanties procédurales : quelle
effectivité », « Enfermement et restriction de la liberté de
circulation : quelles conditions », « L’accueil : quelle
politique ? » L’occasion pour les intervenants, qu’ils soient
avocats, parlementaires, représentants du monde associatif et de la société
civile de faire part de leurs critiques et inquiétudes quant à ce projet de
loi.
Vanina
Rochiccioli, présidente de Gisti, avocate au barreau de Paris, s’est ainsi demandé
si le droit d’asile et la procédure Dublin étaient compatibles. Pour rappel,
selon le règlement Dublin III, un seul État est responsable de l’examen
d’une demande d’asile dans l’Union européenne. C’est soit le pays par lequel le
demandeur est entré et dans lequel il a été contrôlé, soit l’État qui lui a
accordé un visa ou un titre de séjour. Ainsi, s’il est prouvé qu’un demandeur
est passé dans un autre pays européen avant d’atteindre la France, il doit être
placé en procédure Dublin. Lorsque l’État responsable a donné son accord, une
décision de transfert vers ce pays est notifiée.
Pour Madame Rochiccioli,
depuis de nombreuses années, ce système et la manière dont il est appliqué font
l’objet de nombreuses critiques, « car
il s’agit d’un dispositif inéquitable qui fait peser et de loin la plus lourde charge
d’accueil sur les États situés aux frontières extérieures de l’Europe, et ce,
malgré des modifications apportées en 2013 ». De plus, certaines
personnes ont des raisons légitimes de ne pas souhaiter déposer leur demande
d’asile dans le premier État responsable (langue, risque de maltraitance
dans ce pays…), et celles-ci sont rarement prises en compte. Résultat : aujourd’hui
de nombreuses personnes renoncent à demander l’asile pour ne pas prendre le
risque d’être refoulées vers un pays où elles ne souhaitent pas aller.
Le règlement Dublin III est également
contesté dans la manière dont les préfectures l’appliquent : « Les préfectures ont recours à différentes
pratiques visant à augmenter le nombre de transferts Dublin et à dissuader les
personnes à déposer leur demande dans un autre pays, par exemple en France ».
Pour la présidente de Gisti, la procédure Dublin est devenue une « machine folle » qui ne prend pas en
compte le bien-être des demandeurs. Elle est systématiquement appliquée alors
que selon l’article 53-1 de la Constitution et l’article 17 du
règlement de Dublin, la France n’est jamais obligée de mettre en place cette
procédure.
Certains abus ont également été perpétués par
certaines préfectures. Les associations présentes en zone de rétention
administrative ont ainsi constaté, qu’en toute illégalité, certaines d’entre
elles continuent à placer en rétention et à éloigner des personnes en procédure
Dublin. Par exemple, l’association CIMADE a été témoin du placement abusif en
rétention de vingt Soudanais, qui ont été refoulés en Italie, en toute
illégalité sans avoir le temps de voir un juge. L’intervenante a conclu son
propos de manière très sévère : « Le
règlement Dublin et son application ne sont pas compatibles avec le droit
d’asile. Cet instrument n’est utilisé par l’administration française que pour
entraver le droit d’asile, dissuader les personnes de déposer une demande
d’asile et les exposer soit à un refoulement injustifié vers un pays où leur
demande a de très grandes chances d’être rejetée, soit à une période d’une
année de précarité et de vie suspendue ». Et selon elle, cette situation
perdurera tant qu’« à l’échelle
européenne il ne sera pas envisagé une politique d’asile basée sur la
solidarité, l’accueil, l’humanité, mais aussi, mais avant tout sur le respect
des textes dont nous sommes signataires ».
Puis Catherine Delanoë-Daoud, coresponsable
du pôle MiE de l’antenne des mineurs, avocate au barreau de Paris, et Christine
Lazerges, présidente de la CNCDH, se sont interrogées : pour les mineurs
étrangers non accompagnés, la protection existe-t-elle encore ?
Madame Delanoë-Daoud a d’abord rappelé
que seulement 0,5 % des demandes d’asile en France concernent les enfants
mineurs. Ce chiffre assez bas s’explique par le fait que la plupart d’entre eux
ne demandent pas l’asile. Quelles en sont les raisons ?
D’abord, pour pouvoir entamer la procédure,
ces derniers doivent absolument avoir un administrateur ad hoc, a rappelé
l’intervenante, or pour en obtenir un, c’est très compliqué, voire impossible,
quand on n’est pas accompagné par un avocat.
Le mineur doit d’abord se rendre au PADA,
boulevard de la Villette. Mais arrivé à l’accueil, bien souvent on lui dit
qu’il doit d’abord prouver qu’il est mineur avant de demander l’asile, et donc demander
la protection de l’aide sociale à l’enfance. Il s’agit pourtant de deux démarches
très différentes, l’une n’excluant pas l’autre, a expliqué l’experte.
Autre difficulté, dans certains organismes
spécialisés dans le traitement des demandes d’asile, les logiciels ne
permettent pas de rentrer une date de naissance mineure. Au PADA, on oblige
donc les jeunes à donner une date de naissance majeure, sinon ils ne peuvent
obtenir un rendez-vous au guichet de la préfecture. Toutefois, une fois là-bas,
on s’étonne que leur date de naissance soit celle d’un majeur alors qu’ils
demandent l’asile en tant que mineur… Une fois les choses clarifiées, la
préfecture doit ensuite saisir le procureur de la République afin qu’il désigne
un administrateur ad hoc au jeune. Or, elle oublie souvent de le faire, et le
jeune n’a d’autre choix que de revenir plusieurs fois.
Autre solution : appeler au parquet
mineur la greffière spécialisée dans la désignation des administrateurs ad hoc.
Cependant, là aussi, l’enfant est tenu de prouver qu’il est mineur et doit
demander la protection de l’aide sociale à l’enfance. En effet, pour le
parquet, tant que le mineur n’a pas prouvé son âge, on ne peut lui désigner un administrateur
ad hoc. « C’est une erreur, ce n’est
pas la même chose ! », a martelé l’avocate. En tant que coresponsable
du pôle MiE de l’antenne des mineurs, elle a dû se battre pour que les enfants
n’aient plus à prouver leur minorité et puissent obtenir rapidement un
administrateur ad hoc - ce qui leur permet de pouvoir retirer le dossier de
demande d’asile.
En
conclusion, pour l’experte, ce parcours du combattant que les enfants doivent
accomplir pour faire une demande d’asile en France explique pourquoi la plupart
d’entre eux ne la font pas. Et de ce fait, ils se voient condamnés à une vie
d’errance et de précarité.
Ce fut ensuite à Madame Christine
Lazerges, présidente de la CNCDH, de s’exprimer sur la situation des enfants
immigrés mineurs isolés en France. Très remontée, elle a déclaré
d’emblée : « La Convention
internationale des droits de l’enfance est bafouée tous les jours en France ».
Rebondissant sur les propos de l’intervenante
précédente, elle a expliqué qu’en raison de l’accueil « totalement kafkaïen » subit par ces
enfants lorsqu’ils demandent l’asile, beaucoup sont en prison, « car leur survie ne peut résulter que de la
délinquance ». Selon elle, c’est une des raisons qui explique le
nombre élevé de mineurs détenus dans les régions d’Île-de-France et des Bouches-du-Rhône.
« Nous avons affaire à un réel
abandonnisme de ces enfants ».
Concernant, le projet de loi asile et
immigration, la position de la présidente de la CNCDH est claire, « je trouve tout à fait inadmissible ce projet
de loi d’affichage, dont la fonction est déclarative, tranquillisante, qui
n’exprime rien du tout des valeurs essentielles de notre société. Au contraire
il les bafoue ». Avec cette loi, selon elle, « les choses sont rendues plus difficiles pour les
demandeurs d’asile ». Elle a donc prévenu : « L’avis que nous préparons sur le projet de
loi va être sévère ».
Le projet de loi asile-immigration, qui sera
débattu à l’Assemblée nationale en avril prochain, est donc loin de faire
l’unanimité et l’ensemble des intervenants de ce jour ont fait part d’une même
voix de leur mécontentement, et de leur désir que soit modifié en profondeur ce
texte qui ne prend pas en compte les besoins réels des migrants et de ceux qui
tous les jours œuvrent sur le terrain.
Maria-Angélica
Bailly