Dominique Chagnollaud de
Sabouret, président du Cercle des Constitutionnalistes a accueilli Bernard
Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’État. L’invité a
rappelé aux membres présents que nos Constitutions successives ont toujours
mentionné le Conseil d’État avant d’évoquer trois points : la question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) ; la publicité des avis sur les projets
de loi ; la garantie et la protection des droits fondamentaux.
L’engouement pour la QPC ne faiblit pas, il s’accroît même. Le succès
des débuts en 2010, 2011 (deux cents questions par an) a été suivi d’une légère
baisse (cent soixante à cent quatre-vingt questions par an). Depuis deux ans,
les demandes sont reparties à la hausse, jusqu’à atteindre un record (deux cent
cinquante-huit questions en 2017). De même, les tribunaux administratifs ont
reçu six cent quarante-sept QPC, record absolu. En plus de la quantité, la
portée des questions s’élargit. Certes, les réponses ne font plus tomber des
pans entiers de la législation, comme aux premiers jours (garde à vue,
cristallisation des pensions…) Aujourd’hui, les interrogations ciblent avec
précision des domaines pointus : fiscalité, rapports de l’État et des
collectivités locales, droit de l’environnement, droits fondamentaux, etc.
Pendant l’état d’urgence, toutes les QPC soulevées à propos de la loi 1955 ont été déférées au Conseil constitutionnel ; idem, depuis novembre
2017, avec l’application de la nouvelle loi sur la sécurité intérieure et la
lutte contre le terrorisme. La vie des juridictions, le système juridictionnel
font l’objet de QPC partagées avec la Cour de cassation. La réforme de 2008 a replacé la Constitution au cœur de la protection des droits
fondamentaux. Elle a développé la culture constitutionnelle. Les barreaux se
sont complètement appropriés la QPC.
Depuis 2015, les avis sur les projets de lois adoptés par le Conseil
des ministres sont rendus publics. Pour Bernard Stirn, c’est une bonne réforme,
une règle claire qui accentue la prise en compte des avis du Conseil d’État.
Auparavant, l’avis était essentiellement un projet de texte renvoyé au
gouvernement, muni d’une brève note en langage technique stipulant les
désaccords persistants du Conseil d’État. Aujourd’hui, l’avis est quérable par
quiconque sur Internet. Tous les parlementaires, les syndicats, les
particuliers peuvent en prendre connaissance. Les avis du Conseil d’État sur
les projets de lois impressionnent par leur longueur, mais il faut dire qu’ils
reprennent le contenu du texte. Ils indiquent les points d’accord et de
désaccord du Conseil avec les propositions. Une formulation lisible informe le
citoyen néophyte. L’autorité des avis du Conseil d’État s’est accrue en raison
de ce pragmatisme. Le gouvernement procède maintenant à bien plus de saisines
rectificatives. Les remarques du Conseil sur la procédure, l’étude d’impact, le
fond, la réflexion, reçoivent un écho dans l’opinion publique.
Les conseillers partagent avec les juridictions
judiciaires des sujets tels que la procréation assistée, la gestation pour
autrui, la nationalité des enfants nés de GPA. L’administration rend des
décisions sur ces sujets très intimes, le garde des Sceaux prend des
circulaires, mais c’est probablement sur les thèmes de la vie collective que la
jurisprudence s’est le plus prononcée. Elle a traité de laïcité, de la place de
la religion (crèche, burkini, port du foulard), de l’aide des collectivités
locales aux lieux de culte. Dans le contexte actuel, ces débats occupent beaucoup
d’espace médiatique, ainsi que ceux sur la place des étrangers (entrée, séjour,
asile). L’état d’urgence a généré des discussions sur l’assignation à
résidence, les perquisitions administratives, etc. Il n’existait quasiment pas
de droit jurisprudentiel de l’état d’urgence avant 2015. Ces interrogations
entièrement inédites connaissent un prolongement avec l’application de la loi
sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ainsi que dans le
contentieux du renseignement. La loi de 2015 en a attribué au Conseil d’État le premier et le
dernier ressort. Cela a abouti à la création, au sein de la section du
contentieux, d’une formation spécialisée qui suit des règles procédurales
originales.
Les questions abordées touchent les libertés essentielles et la
jurisprudence empreinte des chemins peu explorés. La procédure d’amicus
curiae, créée en 2008?permet de solliciter des avis de personnalités
extérieurs. La première utilisation s’est produite pour l’épineuse affaire
Vincent Lambert. Le Conseil d’État a alors consulté l’Académie de médecine, le
Conseil national de l’ordre des médecins, le Comité national d’éthique et
l’auteur de la loi, Jean Léonetti. L’amicus curiae autorise des
collaborations de haute qualité et nourrit une pensée plus ouverte.
C2M