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Blockchain : quels enjeux pour le marché du droit ?

Blockchain : quels enjeux pour le marché du droit ?
Publié le 08/04/2018 à 09:00

Cette nouvelle méthode de stockage, de sécurisation et d’authentification des transactions basée sur l’intermédiation révolutionne la distribution numérique. Véritable technologie de rupture (comparable à Internet), la blockchain inquiète autant qu’elle interpelle les professionnels du droit et du chiffre.



Un virage majeur est amorcé. Bitcoin, Ethereum, les premières blockchains sont déjà largement utilisées. L’exécutif lui-même en consacre l’usage le 28 avril dernier au travers d’une ordonnance où elle est appelée « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (cf. encadré). La plupart des régulateurs ou des autorités de contrôle se positionnent déjà sur cette technologue et ses conséquences en matière bancaire et financière.


La fameuse technologie blockchain permet l’inscription des cryptomonnaies de type bitcoin sur un registre infalsifiable partagé entre tous les utilisateurs qui assure leur traçabilité permanente. Une économie 4.0 qui permet la création d’une infrastructure d’échanges et de stockage décentralisée, transparente, sécurisée et à coût réduit. Des sortes de registres qui prennent acte de transactions en monnaie électronique, sans intermédiaire (comme une banque), pour un groupe d’utilisateurs. Mis bout à bout (« chaîne de blocs »), des groupes de transactions (les « blocks ») garantissent par la chronologie l’authenticité des précédentes. La blockchain permet une plus grande transparence et la mise en place d’une chaîne de confiance.


 


Quel impact pour les acteurs du droit et du chiffre ?


Les relations de pair à pair pourront dorénavant s’appuyer sur un outil de confiance. Chaque secteur impliquant un échange, une sauvegarde ou même une preuve pourrait être donc être impacté. En effet, en validant des transactions, en exécutant des contrats (smart contracts), en certifiant des documents, le tout en temps réel, la blockchain court-circuite les intermédiaires (plateformes de paiements, banques, assurances, cabinets d’avocats, notaires). Pour certains, cette révolution 4.0 place le numérique au service du droit en démocratisant la réalisation d’actes juridiques courants.


Pour d’autres, le fait que la blockchain soit inamovible, fiable a priori à 100 %, incorruptible, économique (pas de salarié, pas de frais de fonctionnement), transparente etc. revient à la présenter comme une vraie arme de destruction massive pour les tiers de confiance. La blockchain inquiète les acteurs du droit et du chiffre parce qu’elle peut valider les contrats, les horodater, dire quels sont les protagonistes etc. Les progrès de la blockchain et de l’intelligence artificielle tueront notamment le métier d’auditeur tel qu’il existe aujourd’hui. La blockchain remplacera les acteurs qui contrôlaient jusqu’ici les comptes en effectuant les vérifications à leur place.


La blockchain serait-elle l’ubérisation puissance mille ? Avec des transactions blockchain infalsifiables et un système qui s’auto-administre lui même, les notaires pourraient à terme perdre la preuve des actes (le premier cadastre blockchain est en cours de développement) tout comme peut être oublier à terme leur activité d’enregistrement des titres de propriété.


Mais qu’ils se rassurent, le passage des actes authentiques à la blockchain n’est pas pour demain vu les enjeux à la fois techniques (modification de l’architecture des systèmes d’information) et législatifs. Sans oublier l’essentiel : la blockchain ne peut vérifier que le contrat est juridiquement correct ou honnête tout comme elle ne peut s’assurer du consentement libre et éclairé des parties. L’expertise juridique d’un notaire ne peut être remplacé par la blockchain qui n’offre aucun conseil à ses clients que ce soit en matière de successions compliquées ou d’union matrimoniale. Les professionnels du droit et du chiffre ont un devoir de conseil qu’on ne peut confier à une machine.


Les blockchains constituent donc en réalité un nouveau protocole d’échange de valeur ne nécessitant pas de faire confiance a priori à autrui. Par conséquent, les tiers de confiance seront toujours nécessaires en périphérie du réseau pour faire le lien entre monde réel et blockchain. Même les experts-comptables s’intéressent de plus en plus à cette technologie (thème de plus en plus de conférences, universités d’été de la profession comptable, journées du numérique…) qui imaginent déjà une blockchain privée pour la comptabilité de leurs clients et des méthodes de travail repensées (automatisation des informations financières, développement des états prédictifs, audit du respect des normes de sécurité de la Blockchain), voire de nouvelles voies de développement comme l’explosion du conseil pour les nouvelles normes et procédures d’audit.


Car l’utilisation de blockchain pour gérer les comptes des entreprises nécessitera de nouveaux types de vérification plus techniques, auxquelles les auditeurs vont devoir se former. Une nouvelle forme d’audit pourrait ainsi voir le jour avec une profession réinventée capable de vérifier le code et l’infrastructure de la blockchain et des contrats intelligents.


À condition d’asseoir réellement sa stratégie sur l’innovation, notamment avec à moyen terme des recrutements diversifiés (ingénieurs, spécialistes data analyst/data scientist, experts en blockchain…).


Cette technologie 4.0 suscite quoiqu’il en soit de nombreuses questions juridiques (mode de preuve, conception de smart-contracts, transferts de titres de propriété…) que l’association Open Law tente d’analyser via son projet « Smart Contract Academy » en cherchant à créer un premier référentiel de « smart contracts open source ». L’objectif ? Illustrer le potentiel de la technologie en présentant en décembre 2017 lors du Paris Open Source Summit trois cas d’usages industriels de la blockchain que sont les titres financiers, l’enregistrement d’oeuvre d’art et les ICO (Initial Coin Offering), des équivalents de « levée de fonds ». L’initiative permettra l’analyse des cas d’usage retenus, notamment leur modèle économique et le cadre juridique associé, et alimentera un premier référentiel de smart contracts open source « favorisant le déploiement de nouveaux produits et services ».


 


Une opportunité d’innover


Si le droit applicable à la blockchain est un chantier qui commence seulement, si la technologie est encore trop immature, il appartient en revanche aux acteurs du droit et du chiffre de prendre rapidement le train en marche et d’innover pour survivre. Le business change de jour en jour pour les cabinets mais aussi pour les juristes, sous l’effet de plusieurs facteurs. Le mouvement est en marche : que ce soit l’intelligence artificielle, la justice prédictive, la digitalisation, les robots, des modes d’organisation, des façons de travailler (de plus en plus en réseaux), des nouveaux outils et des modèles de développement qui évoluent très vite … Il faut donc anticiper les bouleversements inéluctables du marché à venir et de proposer des services digitaux qui répondent aux nouvelles attentes des clients. La technologie 4.0 comme la blockchain et les smart contracts font partie d’un virage à 180 degrés que les professionnels doivent prendre pour faire nécessairement évoluer leurs relations avec leurs clients.


 


 Clémence Thévenot


1 commentaire
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FredericBaud
- il y a 6 ans
Pour découvrir l’initiative d’un « smart-contract » open-source sur blockchain publique pour la tenue de registre d’actions d’entreprises ou parts de fonds de placement conformément à l’ordonnance du 8 décembre 2018 :

https://www.slideshare.net/fbaud/blockchain-et-contrats-open-source

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