Cette nouvelle
méthode de stockage, de sécurisation et d’authentification des transactions basée
sur l’intermédiation révolutionne la distribution numérique. Véritable
technologie de rupture (comparable à Internet), la blockchain inquiète autant
qu’elle interpelle les professionnels du droit et du chiffre.
Un virage majeur est amorcé.
Bitcoin, Ethereum, les premières blockchains sont déjà largement utilisées.
L’exécutif lui-même en consacre l’usage le 28 avril dernier au travers d’une
ordonnance où elle est appelée « dispositif d’enregistrement électronique
partagé » (cf. encadré). La plupart des régulateurs ou des autorités de
contrôle se positionnent déjà sur cette technologue et ses conséquences en
matière bancaire et financière.
La fameuse technologie
blockchain permet l’inscription des cryptomonnaies de type bitcoin sur un
registre infalsifiable partagé entre tous les utilisateurs qui assure leur
traçabilité permanente. Une économie 4.0 qui permet la création d’une
infrastructure d’échanges et de stockage décentralisée, transparente, sécurisée
et à coût réduit. Des sortes de registres qui prennent acte de transactions en
monnaie électronique, sans intermédiaire (comme une banque), pour un groupe
d’utilisateurs. Mis bout à bout (« chaîne de blocs »), des groupes de
transactions (les « blocks ») garantissent par la chronologie
l’authenticité des précédentes. La blockchain permet une plus grande
transparence et la mise en place d’une chaîne de confiance.
Quel impact pour les acteurs du
droit et du chiffre ?
Les relations de pair à pair
pourront dorénavant s’appuyer sur un outil de confiance. Chaque secteur
impliquant un échange, une sauvegarde ou même une preuve pourrait être donc
être impacté. En effet, en validant des transactions, en exécutant des contrats
(smart contracts), en certifiant des documents, le tout en temps réel,
la blockchain court-circuite les intermédiaires (plateformes de paiements,
banques, assurances, cabinets d’avocats, notaires). Pour certains, cette
révolution 4.0 place le numérique au service du droit en démocratisant la
réalisation d’actes juridiques courants.
Pour d’autres, le fait que la
blockchain soit inamovible, fiable a priori à 100 %, incorruptible,
économique (pas de salarié, pas de frais de fonctionnement), transparente etc.
revient à la présenter comme une vraie arme de destruction massive pour les
tiers de confiance. La blockchain inquiète les acteurs du droit et du chiffre
parce qu’elle peut valider les contrats, les horodater, dire quels sont les
protagonistes etc. Les progrès de la blockchain et de l’intelligence
artificielle tueront notamment le métier d’auditeur tel qu’il existe
aujourd’hui. La blockchain remplacera les acteurs qui contrôlaient jusqu’ici
les comptes en effectuant les vérifications à leur place.
La blockchain serait-elle l’ubérisation
puissance mille ? Avec des transactions blockchain infalsifiables et un système
qui s’auto-administre lui même, les notaires pourraient à terme perdre la
preuve des actes (le premier cadastre blockchain est en cours de développement)
tout comme peut être oublier à terme leur activité d’enregistrement des titres
de propriété.
Mais qu’ils se rassurent, le
passage des actes authentiques à la blockchain n’est pas pour demain vu les
enjeux à la fois techniques (modification de l’architecture des systèmes
d’information) et législatifs. Sans oublier l’essentiel : la blockchain ne peut
vérifier que le contrat est juridiquement correct ou honnête tout comme elle ne
peut s’assurer du consentement libre et éclairé des parties. L’expertise
juridique d’un notaire ne peut être remplacé par la blockchain qui n’offre
aucun conseil à ses clients que ce soit en matière de successions compliquées
ou d’union matrimoniale. Les professionnels du droit et du chiffre ont un
devoir de conseil qu’on ne peut confier à une machine.
Les blockchains constituent
donc en réalité un nouveau protocole d’échange de valeur ne nécessitant pas de
faire confiance a priori à autrui. Par conséquent, les tiers de
confiance seront toujours nécessaires en périphérie du réseau pour faire le lien
entre monde réel et blockchain. Même les experts-comptables s’intéressent de
plus en plus à cette technologie (thème de plus en plus de conférences,
universités d’été de la profession comptable, journées du numérique…) qui
imaginent déjà une blockchain privée pour la comptabilité de leurs clients et
des méthodes de travail repensées (automatisation des informations financières,
développement des états prédictifs, audit du respect des normes de sécurité de
la Blockchain), voire de nouvelles voies de développement comme l’explosion du
conseil pour les nouvelles normes et procédures d’audit.
Car l’utilisation de blockchain
pour gérer les comptes des entreprises nécessitera de nouveaux types de
vérification plus techniques, auxquelles les auditeurs vont devoir se former.
Une nouvelle forme d’audit pourrait ainsi voir le jour avec une profession
réinventée capable de vérifier le code et l’infrastructure de la blockchain et
des contrats intelligents.
À condition d’asseoir
réellement sa stratégie sur l’innovation, notamment avec à moyen terme des
recrutements diversifiés (ingénieurs, spécialistes data analyst/data
scientist, experts en blockchain…).
Cette technologie 4.0 suscite
quoiqu’il en soit de nombreuses questions juridiques (mode de preuve,
conception de smart-contracts, transferts de titres de propriété…) que
l’association Open Law tente d’analyser via son projet « Smart Contract
Academy » en cherchant à créer un premier référentiel de « smart
contracts open source ». L’objectif ? Illustrer le potentiel de la
technologie en présentant en décembre 2017 lors du Paris Open Source Summit
trois cas d’usages industriels de la blockchain que sont les titres financiers,
l’enregistrement d’oeuvre d’art et les ICO (Initial Coin Offering), des
équivalents de « levée de fonds ». L’initiative permettra l’analyse des
cas d’usage retenus, notamment leur modèle économique et le cadre juridique
associé, et alimentera un premier référentiel de smart contracts open source
« favorisant le déploiement de nouveaux produits et services ».
Une opportunité d’innover
Si le droit applicable à la blockchain est un chantier qui
commence seulement, si la technologie est encore trop immature, il appartient
en revanche aux acteurs du droit et du chiffre de prendre rapidement le train
en marche et d’innover pour survivre. Le business change de jour en jour pour
les cabinets mais aussi pour les juristes, sous l’effet de plusieurs facteurs.
Le mouvement est en marche : que ce soit l’intelligence artificielle, la
justice prédictive, la digitalisation, les robots, des modes d’organisation,
des façons de travailler (de plus en plus en réseaux), des nouveaux outils et
des modèles de développement qui évoluent très vite … Il faut donc anticiper
les bouleversements inéluctables du marché à venir et de proposer des services
digitaux qui répondent aux nouvelles attentes des clients. La technologie 4.0
comme la blockchain et les smart contracts font partie d’un virage à 180
degrés que les professionnels doivent prendre pour faire nécessairement évoluer
leurs relations avec leurs clients.
Clémence
Thévenot