Christophe Steiner,
ambassadeur de la principauté de Monaco auprès de la France, Andorre,
l’organisation mondiale de la francophonie et le bureau international des
expositions, a répondu présent, le 11 décembre 2019, à l’invitation de
Dominique Chagnollaud de Sabouret, président du Cercle des
constitutionnalistes. Son Excellence nous parle d’histoire et de Constitution.
Le lien entre Monaco et la France est très
particulier. Le prince Albert revient de temps en temps sur les terres de ses
ancêtres pour partie Français. Il perpétue une politique soucieuse du maintien
de l’aura populaire du rocher parfois liée à des régions éloignée. En effet, la
famille Grimaldi, de noblesse ancienne et très titrée, est riche d’une histoire
aux connexions géographiques multiples. Au XIXe siècle, Monaco était
une terre enclavée et pauvre. Le chemin de fer a résolu le premier problème et
François Blanc, instigateur du casino de Monte-Carlo (à une époque où ils sont
interdits partout en Europe) a résolu le second. Un article du traité de
Versailles concernait Monaco : si la famille souveraine n’avait pas de
descendance, son territoire serait rattaché à la France et deviendrait un de
ses départements. Cette précision a été demandée par les Français qui ne
voulaient surtout pas, au sortir de la guerre, que la branche allemande de la
famille Grimaldi puisse accéder à la tête de la principauté.
En 1998, Michel Lévêque, ministre d’État (Premier
ministre) de la principauté, propose au président du Conseil national
(Assemblée nationale) l’adhésion de Monaco au Conseil de l’Europe. Le rapport
qui statue sur la candidature demande alors que le pays soit divisé en quatre
circonscriptions, et qu’un régime parlementaire soit instauré parmi d’autres
requêtes inacceptables pour le pouvoir en place. Avec une population de 38 000
habitants et 50 000 travailleurs frontaliers sur un espace de 2 km², les
attentes du Conseil de l’Europe ont poussé les Monégasques à prendre du recul :
leur territoire est beau, propre, les nationaux heureux, le chômage
anecdotique, est-il bien utile d’intégrer ce groupe de nations ? Finalement
oui, car c’est un passage obligatoire pour rejoindre l’Union européenne (UE).
En conséquence, les négociations pour l’adhésion, les modifications
constitutionnelles, celles de la loi électorale ont été menées pour aboutir in
fine à l’accueil de Monaco comme 46e État membre du conseil le 5
octobre 2004.
Plus récemment, l’Union européenne et Saint-Marin,
Andorre ainsi que Monaco se sont rapprochés pour engager des négociations, non
pas pour rejoindre l’UE, mais en vue de définir des accords de branche, plutôt
désignés comme des partenariats. Le même processus est en cours avec la Suisse.
La Constitution monégasque garantit des priorités à ses ressortissants comme
par exemple l’emploi. La principauté accueille une alliance historique entre
son peuple et la famille régnante. Les pourparlers avec l’UE entamés depuis
plus de quatre ans impliquaient initialement les trois petits états. Saint-Marin, aujourd’hui dans
une situation économique délicate est prêt à signer sans délai.
Les choses sont différentes pour Andorre et Monaco.
Leurs marchés sont ouverts à toute l’Europe, mais la
réciproque est fausse. Les industries pharmaceutiques de la principauté, par
exemple, vendaient leurs produits sans problème en Europe tant que l’Agence de
contrôle du médicament se situait en France. Du moment où cette agence s’est
installée à Londres, la porte s’est fermée aux laboratoires monégasques.
Faut-il y voir un lien avec un désir européen d’ingérence dans une politique
fiscale souveraine indépendante ? Le problème est le même pour l’exportation de
nourriture, les transports, les services financiers, etc. Pour Christophe
Steiner, l’Europe abolit des frontières extérieures mais en crée à l’intérieur.
En conséquence, une proportion importante de la population monégasque ne
souhaite pas rejoindre l’UE. Toutes les professions réglementées (architecte,
avocat, dentiste…) sont réservées aux Monégasques sur leur territoire du fait
qu’ils sont minoritaires dans leur propre pays. Ils bénéficient également
d’aides sociales car, avec un prix du m² pouvant aller jusqu’à 120 000 euros, beaucoup
ont du mal à se loger. De plus, les ressortissants de la principauté peuvent
contracter un bail emphytéotique avantageux. Malheureusement, la population
croît plus vite que le parc d’habitations.
Les conseillers du gouvernement (ministres) assistent
le ministre d’État. Comme le directeur des services judiciaires (garde des
Sceaux), le directeur de la sûreté publique, ils sont nommés par le prince. Les
traités bilatéraux de 1930 entre la France et Monaco réservent certains emplois
publics de la principauté à des Français, notamment celui de ministre d’État.
Il n’y a ainsi jamais eu de ministre d’État monégasque à Monaco. Le principe
est le même pour le directeur des services judiciaires, le directeur de la
police, les conseillers du gouvernement. Aucune de ces personnes n’émanent du
Conseil national. Elles n’ont pas de mise en responsabilité ni de motion de
censure. Le Conseil national est élu au suffrage universel par tous les
électeurs monégasques, il est constitutionnellement co-législateur avec le
prince. Une proposition de loi peut être rédigée par le Conseil national,
débattue, amenée en séance publique. Votée, elle est soumise au gouvernement
qui dispose de six mois pour l’accepter ou la refuser. Le gouvernement doit
motiver en séance publique les cas de refus. Le système est monocaméral, mais
le gouvernement exerce une fonction de seconde chambre. Il peut amender le
texte et le redéposer pour un nouveau cycle.
C2M