Thierry Bernard, président du Cercle des
stratèges disparus a accueilli Roger Genet, directeur général de l’Agence
nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du
travail (ANSES). L’occasion de découvrir les missions de celle-ci et la façon
dont elle élabore ses recommandations à partir d’une expertise scientifique en
appui à la décision publique.
L’ANSES s’intéresse à tout ce qui concerne les risques
liés aux expositions (chimique, biologique, physique) de l’Homme dans sa vie
quotidienne (eau, air, alimentation, environnement , travail). Son spectre
d’activités englobe la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être animal,
ou encore celle des plantes, la santé environnementale et la santé au travail.
La structure est suivie par cinq ministères de tutelle : santé, agriculture,
environnement, travail, économie (DGCCRF).
Il s’agit d’une agence d’expertise scientifique. Elle
regroupe toutes les spécialités : chimie, biochimie, biologie, pharmacie,
médecine, etc. Ses laboratoires travaillent sur les maladies animales, les
affections du troupeau, la sécurité des aliments (listériose, salmonelle, …).
Ses panels d’experts réunissent 900 experts indépendants extérieurs à l’agence
qui, sur la base de l’ensemble de la littérature scientifique, produisent des
analyses et recommandations à l’usage des pouvoirs publics. Hormis le
médicament et le dispositif médical supervisés par l’agence du médicament,
l’ANSES évalue tous les produits qui nécessitent une autorisation de mise sur
le marché : produits phytosanitaires, biocides, médicaments vétérinaires.
Aujourd’hui, la démarche scientifique impacte les
décisions de toutes nos politiques. Les agences d’expertise scientifique ont
été créées et se sont développées récemment. L’AFSSA nait en 1998, suite à la
crise de la vache folle. Elle précède la réglementation européenne dite food
law qui engendre l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Les
offices sanitaires ont organisé une expertise scientifique indépendante pour
appuyer les politiques publiques. Pourtant, aujourd’hui, cette expertise est
parfois contestée.
Les agences d’expertise ont vu le jour pour
rationaliser le débat, pour délivrer des recommandations fiables au décideur
public. Mais, au fil des crises sanitaires successives, une défiance s’est
installée. La France a été confrontée à Tchernobyl, l’hormone de croissance, le
sang contaminé, etc. et les lanceurs d’alerte, les ONG exercent maintenant un
contre-pouvoir permanent.
Le principe de précaution s’applique : « dans
des domaines de grande incertitude quant à leur impact environnemental, on doit
conduire une évaluation de risque et, à partir de là, prendre des mesures
proportionnées ». Les experts scientifiques produisent, dans un cadre
scientifique et réglementaire précis, des évaluations de risque. C’est-à-dire
une graduation de l’incertitude s’appuyant sur des faisceaux d’arguments qui
peuvent amener à préciser un sur-risque dans un domaine où l’on est incapable
de démontrer directement le lien de cause à effet. Plusieurs exemples récents
montrent des situations dans lesquelles un sur-risque (accroissement du nombre
de leucémies de l’enfant aux alentours des vignobles par exemple) est suspecté.
Dans ce type d’étude sans lien de causalité apparent, l’évaluation du niveau
d’incertitude fournit un argument probabiliste au décideur.
Le décideur est en général confronté à un choix
binaire, oui ou non ! Le principe de précaution, inscrit dans la constitution,
nous différencie de l’approche des pays anglo-saxons. Il nous conduit à
autoriser dans les situations où l’on peut écarter le risque, au contraire des
anglo-saxons qui n’écartent le risque que lorsqu’il est démontré. Le principe
de précaution est-il générateur de surrèglementation européenne engendrant une
distorsion de concurrence ? Est-ce un frein à l’économie ou un stimulant des
politiques publiques à longs termes ?
On ne parle pas ici d’une expertise judiciaire qui
s’appuie sur des faits. L’expertise, telle que l’ANSES la pratique se déroule
de façon pluraliste, collective, contradictoire. Le conflit ou le lien
d’intérêt fait l’objet d’une analyse scrupuleuse. Le travail collectif assoit
l’indépendance de l’organisme qui est renforcée par une transparence totale :
méthodes d’évaluation, débats, recommandations, rapports, tout est
immédiatement publié. L’ANSES essaie de produire des expertises incontestables,
et pour ce faire entretien, un dialogue permanent avec toutes les parties
prenantes.
L’ANSES suit un modèle original d’établissement
public depuis sa création, puisque son conseil d’administration comprend des
organisations représentant les cinq collèges du Grenelle de l’environnement,
organisations qui désignent elles-mêmes leur représentants. Industriels, ONG,
associations de consommateurs, syndicats, … chacun est représenté. Des comités
d’orientation thématique qui regroupent un panel plus large de parties
prenantes ont été mis en place. Ils interviennent sur la programmation annuelle
de l’agence en faisant état de leurs propres attentes. Par ailleurs, des
comités de dialogue s’interrogent sur des questions qui font polémique dans la
société et que le gouvernement peine à arbitrer parce qu’il se heurte à des
postures (nanomatériaux, radiofréquences, pesticides).
Seules une quinzaine d’agences en Europe et dans le
Monde produisent des avis et des évaluations de risque aussi influents que ceux
de l’ANSES. Lorsqu’une de ces institutions se penche sur un sujet, toute
l’économie connexe attend impatiemment les résultats. Cependant, le choix se
fait souvent individuellement entre risque subi et risque choisi. La santé
publique devrait objectivement commander d’interdire l’alcool et la cigarette,
car le sinistre sanitaire et économique est pachydermique pour la collectivité.
Mais concrètement, chaque individu fait librement comme bon lui semble, malgré
des milliers de morts annuellement.