Pascal Chassaing, président de la chambre
interdépartementale des notaires de Paris, a réuni le 28 novembre dernier ses confrères
pour une soirée de discussion autour de la révolution sociétale, digitale et
entrepreneuriale. La tribune rassemblait Bénédicte le Chatelier, journaliste,
Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF, Brice Teinturier, DGD
d’Ipsos France, ainsi que Hélène Moussay, Bertrand Savouré et Sébastien Wolk,
tous trois notaires parisiens.
Vingt
millions de personnes fréquentent les études notariales qui, de fait, observent
les problèmes sociétaux et économiques. Les (r)évolutions en cours portent leur
quota de défis. Les notaires disposent d’atouts pour les affronter et se
repositionner.
Une révolution sociétale
Tout va vite. Le visage de la cellule parentale change, se décompose,
se recompose, monoparentale, homoparentale. Les parcours fragmentés
d’aujourd’hui ne sont pas sans conséquences. La famille, inquiète et défiante
face à un monde extérieur perçu comme agressif, reste un lieu reposant,
pacifié. Au fil de l’évolution de notre civilisation, les liens affectifs y ont
peu à peu pris une place prédominante. Parallèlement, le processus
d’individualisation de ces trente dernières années a imposé l’idée que chacun
peut choisir son groupe et le recomposer, opter pour un mode d’union dans une
offre étendue.
La mobilité n’impressionne plus, des ensembles familiaux de tranches
d’âges diverses s’installent à travers toute la planète. Cette migration crée
de nouveaux besoins et une demande de conseil associée. Ainsi, un candidat au
départ, propriétaire de sa résidence en France, s’interroge : faut-il
vendre ? Louer ? De même, dans un testament, l’expatriation soulève
des interrogations à propos du lieu de rédaction de l’acte, de l’emplacement
des biens, etc.
Par ailleurs, la population vieillit. Les individus actifs peuvent
avoir à leur charge parents et grands-parents. Ils projettent en conséquence
leur avenir capitalistique et trésorier. Et les transmissions n’obéissent plus
systématiquement à une chronologie identique à celle connue par nos aïeux.
Pour répondre aux attentes des clients, il existe des outils
législatifs actuels, mais pas toujours. L’évolution rapide, complexe des
familles appelle des réponses techniques de la part des notaires. Il leur faut
faire preuve de créativité et imaginer des solutions pour les cas où le cadre
légal ne suffit pas. En effet, la législation peine souvent à fournir, dans les
temps, les instruments adéquats. À ce propos, les notaires ont un devoir
d’alerte des pouvoirs publics sur la nécessité de créer ou modifier les lois. Ils
ont ainsi impulsé l’apparition de la donation-partage transgénérationnelle, ou
du mandat de protection future, aujourd’hui tout deux très utilisés.
Vie professionnelle et vie personnelle se mélangent sur le plan des
horaires et de l’implication. La durée d’engagement dans l’une et l’autre
raccourcit. Les employeurs ont clairement un enjeu de fidélisation de leurs
salariés volages. Dans la loi sur la formation (en gestation), l’employabilité
individuelle occupe une position centrale.
L’État n’assure plus toutes les missions, auxquelles il prétendait par
le passé, parce que, d’une part, il est trop dispendieux et n’en a plus les
moyens, et d’autre part, la mentalité des gens a changé. Autonome, critique,
indépendant, le citoyen contemporain se soumet difficilement à un carcan
administratif ou législatif rigide. En guise d’illustration, on peut même
constater qu’une formation politique se qualifie d’insoumise. L’acceptation des
règles est contestée. C’est un problème vif pour le pouvoir qui, en réponse,
esquive en déléguant de plus en plus ses fonctions à des organismes privés.
Le Français se montre particulièrement suspicieux. Quand on lui demande
s’il se fie à une personne qu’il ne connaît pas, il répond de manière négative
à 80 %. C’est une singularité unique au monde. Elle nous
différencie de la confiance spontanée observée aux États-Unis, ou du taux de
confiance élevé, mesuré dans les autres pays d’Europe.
L’Hexagone fait partie des leaders en matière de prélèvements d’impôts.
Le pays dispose d’un financement extraordinaire mais se montre inefficace dans
ses dépenses. Énorme, centralisé, il prend du retard face à une économie svelte
qui court vite. Pourtant, les Maîtres mots de la réforme de l’État s’appellent
efficacité et agilité.
Les notaires sont des délégués de confiance du pays depuis longtemps,
diligents, collecteurs de taxes (assimilées à leurs honoraires par les
ignares), des PACS signés, ou plus récemment du divorce par consentement
mutuel. La confiance qu’ils inspirent aux usagers et à la puissance publique se
cultive à force de résultat.
Une révolution digitale
Elle concerne les modèles économiques, mais aussi les comportements,
les attentes, la consommation. La révolution digitale est majeure, elle redonne
de l’efficience aux gens. Depuis vingt-cinq ans, notre société se sentait
impuissante, résignée, morose. Durant cette période, les alternances politiques
n’aboutissaient qu’à un sentiment d’échec permanent. Au cours de la dernière
décennie, cette perception a changé. Les particuliers ne considèrent plus que
la sphère dirigeante est impuissante, mais, pire, que, figée et inopérante,
elle bloque les solutions. La sensation a glissé de la résignation vers la
colère, exprimée dans les urnes. Le numérique redistribue les cartes entre
électeurs et élus, il désacralise les experts et les situations acquises pour
mettre tout utilisateur informé au même rang.
Le statut de conseil s’acquiert à force d’écoute, d’accessibilité, et
d’intelligence. La technologie absorbe des tâches, et les applications informatiques
font vieillir beaucoup de métiers. Pour les notaires, comme pour tout
entrepreneur, on peut se demander s’il n’y a pas quelqu’un, quelque part, en
train de chercher à présenter, à leur place, des actes meilleurs, moins chers.
Le notariat veut automatiser des productions simples afin de se libérer du
temps pour se focaliser sur sa valeur ajoutée, c’est-à-dire ses conseils qui ne
sont pas encore modélisés en machine. Une plateforme s’affranchit très bien de
toute conception standard préenregistrée, en revanche, pour l’invention
sur-mesure, l’humain ne se remplace pas.
En termes de sécurité, le recours à un tiers de confiance restera
incontournable tant que les applications ne passeront pas toutes par une
technologie inviolable type blockchain. L’internaute exigeant note ses
prestataires. Cela engendre un univers particulier où le producteur connaît une
pression permanente. Depuis toujours, les notaires répondent à une obligation
de résultat pour sécuriser et conserver les données de leurs clients dans leurs
minutes. Si les moyens changent, la mission fondamentale demeure. Signature
électronique, échanges de bases de données, Extranet de communication sécurisé,
coffre-fort numérique, les notaires se veulent des pionniers exemplaires qui
développent des projets avec la blockchain et l’intelligence artificielle.
Révolution entrepreneuriale
Les fractures territoriales économiques s’intensifient. On constate
dans les mégalopoles une concentration de richesses, de capacités, d’accès à la
mondialisation, autant d’atouts qui facilitent le développement et l’innovation
des entrepreneurs. À Paris, l’Autorité de la concurrence a défini le besoin
quantitatif en notaire au niveau du bassin d’emplois. La zone métropolitaine
connaît une mobilité permanente des populations, les enjeux fonciers y ont plus
de poids qu’ailleurs, de même que les risques d’investissement pris. Le
notariat propose des services adaptés, rentables. La structure des études a la
capacité d’accueillir la demande d’une clientèle pointue, exigeante.
Les grandes
métropoles internationales se trouvent en concurrence et le droit fait partie
des facteurs décisionnels d’un choix d’implantation. Dans cette lutte
d’influence, le droit continental a remporté quelques belles victoires et
notamment avec l’inspiration qu’il suggère en Chine.
Compétitivité,
productivité, risque sont entrés dans le monde du notariat. Le marché juridique
mute rapidement. Les opportunités se déchiffrent difficilement. Cet ensemble
d’aléas plonge le praticien dans l’angoissante ignorance de l’avenir de son
activité et bouleverse les relations. D’un côté, cet univers vertigineux sans
cadre fait peur, de l’autre, la liberté qu’il laisse, passionne.
Pour le
président de la chambre des notaires de Paris, les exigences du futur métier
amèneront un changement de culture parsemé de ruptures. Il propose trois
orientations préparatoires :
• les notaires doivent prendre des
engagements pour simplifier et rationnaliser la gestion leurs dossiers ;
• les études
se posent comme les acteurs du mariage public-privé. Elles doivent développer
un conseil à forte valeur ajoutée et également participer au recentrage de
l’action de l’état et de la justice ;
• les
instances du notariat doivent fédérer les innovations.
Pascal
Chassaing invite chacun à s’investir dans un large plan de formation du XXIe
siècle ouvert sur des partenariats de disciplines variées.
C2M