Après avoir remercié la ministre de la
Justice pour sa présence récurrente à cette manifestation annuelle, le
président de la Chambre nationale des commissaires de justice Patrick Sannino a
exprimé le besoin d’écoute au plus haut niveau d’une profession impliquée mais
sachant rester discrète. Implication d’autant plus essentielle qu’à ses yeux,
deux mutations profondes s’opèrent, à savoir : celle du droit et celle des
territoires.
En quelques années, l’environnement économique, numérique, réglementaire
du droit ont changé, ouvrant des questions sur le devenir des métiers qui y
gravitent. Durant cette période, les huissiers, avec du temps et des moyens,
ont fait preuve de leur capacité à se transformer :
• définition de la nouvelle profession de
commissaire de justice ;
• création de plateformes, seuls ou en lien avec
des acteurs connexes ;
• exploration de champs du Droit, tel celui des
smart contracts, valorisant leur rôle de tiers de confiance ;
• acquisition d’outils d’analyse et de
développement de la performance des études ;
• financement de campagnes de publicité ;
• renforcement des compétences juridiques,
avec les Éditions Dalloz ;
• participation aux Chantiers de la Justice,
et à leur mise en œuvre.
Les huissiers font le choix d’accompagner les réformes tout en
conservant leur regard critique. Ainsi, ils déplorent que la réforme de la
procédure civile se soit écartée sur plusieurs lignes tracées par les Chantiers
de la Justice (généralisation de l'assignation, simplification de la procédure
de saisie des rémunérations). En revanche, ils apprécient que le dispositif
présente l'huissier de justice comme un acteur privilégié des « litiges
du quotidien », aux côtés des justiciables. Ils applaudissent
également l’obligation, à l’horizon 2021, de procéder aux saisies-attributions
par voie électronique, pour les établissements bancaires et les huissiers,
ainsi que la mise en place de la juridiction unique des injonctions de payer.
L’évolution majeure reste l’entrée progressive dans la fonction de
commissaire de justice. Sa nouvelle chambre nationale est installée, c’est une
réalité tangible. Huissiers et commissaires-priseurs travaillent ensemble. Ils
sont prêts à s’unir, demain, dans une seule et même profession où chacun aura
gardé la maîtrise de ses sujets. La formation initiale de commissaire de
justice a été imaginée comme une filière d’excellence qui prend le meilleur des
deux professions. Elle se place parmi les formations phares du droit.
La corporation unifiée est attentive aux discussions sur les deux
propositions de loi relatives aux ventes et au marché de l’art. Il ne saurait
être question de « vider » à cette occasion l'activité des ventes
judiciaires d'une grande partie de son contenu, par des déplacements de matière
vers le volontaire : les tutelles, les curatelles, les inventaires
notariés. Patrick Sannino a énoncé clairement :
« La nouvelle profession, c’est la réunion de deux professions, pas
l’achèvement du démantèlement de la profession de commissaire-priseur
judiciaire au profit de quelques opérateurs de vente volontaire. »
Ce dernier a insisté par ailleurs sur la défense des spécificités
françaises au niveau européen. Concernant la signification, des solutions
électroniques sécurisées ont été construites avec la Commission européenne
depuis plusieurs années. Certains pays souhaitent l’abandon de la méthode
actuelle au profit d’une notification low cost, par e-mail. Les
conséquences seraient néfastes pour l’efficacité de la Justice et pour les
droits des justiciables (protection des données personnelles). S’agissant des
directives services et qualifications, il est primordial de défendre la place
des officiers publics et ministériels. Le statut et ses garanties doivent être
maintenus pour les futurs commissaires de justice.
À propos de la réforme des retraites, le président de la chambre
nationale a déclaré : « Nous ne pourrons [donc] en aucun cas
soutenir une réforme qui viendrait à la fois réduire les niveaux de pension,
augmenter les cotisations et nous priver des réserves constituées pour
l’équilibre même de ce régime. Il faudra, a minima, trouver une solution
pour que ces réserves permettent d’une part de limiter les hausses de
cotisations, au moins pour nos consœurs et nos confrères dont les revenus sont
les plus bas, et d’autre part sécuriser les niveaux de pensions à moyen
terme. »
Patrick Sannino
Mutation des territoires
Au plus près
du territoire, de ses habitants, de ses acteurs, de ses difficultés, l’huissier
tient à son assise locale. En contact avec la France périphérique, il exerce
auprès des maires, des élus locaux, pour la prévention des difficultés et la
compréhension des enjeux. Il est très attaché à cette proximité. Localement,
l’huissier est un professionnel libéral à l’équilibre économique aujourd’hui
fragile. Fort heureusement, il peut compter sur son ordre professionnel
solidaire. Officiers public et ministériel, il garantit un service de qualité
accessible partout grâce à un maillage géographique fin.
Aussi, la
libre installation n’est pas sans conséquence. La chambre nationale a donc
fourni des chiffres incontestables à l’Autorité de la concurrence pour
l’éclairer avant ses préconisations. Cependant, il semble que la proposition
d’une centaine de créations d’études, en plus de celles prévues en 2018, ne
tienne pas compte des enseignements de la première vague de créations. Le
président a énuméré : « Premièrement, les candidatures se sont
concentrées sur certaines zones, d’autres restant non pourvues, voire pas
demandées. Or, lorsqu’une offre ne rencontre pas de demande, on peut avoir des
doutes sur la pertinence de l’analyse de marché qui l’a précédée.
Deuxièmement,
l’Autorité de la concurrence s’appuie sur le chiffre d’affaires global moyen
dans un département, sans attention particulière pour les disparités entre
structures. Cela conduit à menacer des structures déjà fragiles au motif que
des structures plus importantes généreraient un chiffre d’affaires qui pourrait
être mieux partagé. Avec un impact que nous ne pouvons que redouter :
lorsqu’on met de nouveaux poissons dans une mare, et qu’il n’y a pas assez à
manger pour tous, les nouveaux cannibalisent d’abord les plus petits, et non
les plus gros.
Troisièmement,
s’il est encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences des nominations –
c’est d’ailleurs un problème en soi par rapport à cette nouvelle carte –, ces
créations n’ont pas toujours conduit à l’installation de nouveaux
professionnels. Il s’agit en effet souvent de succursales d’offices existant
dans d’autres départements, faute de garde fous dans les arrêtés. Si l’objectif
réel est de favoriser la diversité, mieux vaudrait peut-être se concentrer sur
le type de création, plutôt que sur leur nombre. »
La Chambre
produira très prochainement des observations sur cette cartographie qui ne
correspond pas, selon elle, aux besoins réels et ne peut rester telle quelle.
Dans le cas contraire, les huissiers la contesteraient devant le Conseil
d’État.
La Chambre
se montre vigilante quant à la situation économique de la profession. Elle a
dans ce dessein mis en place le service de compensation transport, ou encore la
caisse de prêt et la caisse de restructuration. Elle s’est dotée d’un
observatoire économique qui analyse les tendances, et identifie les difficultés
structurelles.
Cependant, a noté Patrick Sannino, le fonds interprofessionnel, dans
l’esprit du législateur, paraît avoir pour finalité première la solidarité
interprofessionnelle et non le financement de l’accès au droit. S’il devait
changer d’objet, il faudrait alors revoir radicalement son mode de financement
et y intégrer notamment les avocats.
L’huissier
est au service des territoires. De par sa fonction, c’est un juriste de
proximité, au contact des difficultés sociales. Il apporte son aide, son
expertise juridique, là où, souvent, il n’y en pas d’autres. Fort de sa
compétence d’administrateur de bien, il offre, par exemple, de collecter les
revenus locatifs des collectivités. Cette prestation en matière immobilière,
ancrée sur le territoire, mériterait d’ailleurs d’être étendue, au-delà de la
gestion locative, au-delà de l’activité de syndic, pour s’ouvrir à la vente et
au diagnostic immobilier.
Essentiel à
la profession, l’enjeu de développement invite à réfléchir en profondeur sur
son impact territorial, sur sa contribution économique et sociale régionale, et
sur les perspectives locales de la profession.
Lors de sa prise de parole, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a
souligné que l’année écoulée avait été particulièrement dense, voire historique
pour les huissiers de justice. Dans cet intervalle, la profession, a réussi à
se construire, et surtout, à s’inventer une identité. Parallèlement, elle a
accompagné des réformes structurantes pour l’exercice de ses missions.
Construire une nouvelle
profession et forger son identité
Le 1er janvier 2019, la naissance de
la chambre des commissaires de justice a inauguré la première phase de la
réforme. Elle a officialisé le rapprochement des professions d’huissier de
justice et de commissaire-priseur judiciaire. Les deux corporations ont posé
avec succès les bases de la future profession commune. Cette identité inédite
se traduit nécessairement par la formation initiale.
Le décret relatif à cette formation des commissaires
de justice a été publié le 15 novembre dernier. Il s’agit d’un texte
fondateur, de la première pierre angulaire du futur métier. Un esprit ouvert a
accompagné les travaux d’élaboration du projet, une collaboration, entre la
chambre nationale et la Chancellerie, soucieuse de préserver l’excellence des
compétences respectives des deux professions originelles.
Ainsi, la formation initiale pour devenir
commissaire de justice sera accessible aux personnes titulaires d’un
Master 2 en droit ayant passé avec succès un examen d’entrée. D’une durée
de deux ans, elle comprendra un enseignement théorique et un stage
professionnel. Elle sera organisée par la Chambre nationale des commissaires de
justice dans le cadre d’un Institut national placé sous son autorité. À l’issue
de cette formation, les commissaires de justice stagiaires passeront un examen
de sortie valorisant leurs compétences techniques et leurs expériences pratiques.
Nicole Belloubet « atten[d] avec impatience la première promotion de
commissaire de justice formée par l’Institut national ! ».
Le décret porte une attention particulière aux
incidences de la réforme de la formation initiale des commissaires de justice
sur celle des opérateurs de ventes volontaires ainsi que sur l’exercice des
ventes volontaires par les commissaires de justice. Des passerelles ont été
mises en place entre les professions de commissaire de justice et d’opérateurs
de ventes volontaires.
Cette identité professionnelle, une fois créée, doit
être protégée. L’identité commune de la future profession se nourrira des
identités propres antérieures. Il faut les protéger tout en assurant entre
elles une véritable fluidité.
Des inquiétudes s’élèvent s’agissant des
propositions de loi relatives aux opérateurs de ventes volontaires.
Effectivement, deux propositions de loi ont été déposées, l’une devant le
Sénat, l’autre devant l’Assemblée nationale. La première a été adoptée en
première lecture le 23 octobre 2019. La navette parlementaire permettra
d’approfondir certains aspects du texte et d’avoir des débats notamment sur
l’ouverture de certaines activités aux opérateurs de ventes volontaires.
La ministre de la Justice a indiqué qu’elle
soutenait avec force la nécessité d’une réforme des ventes volontaires, et a
commandé un rapport en ce sens. Nicole Belloubet a entendu les inquiétudes et a annoncé qu’elle veillerait
personnellement à ce que cette réforme ne bouleverse pas l’équilibre obtenu.
Elle a affirmé : « je serai attentive à ce que la distinction
entre ventes judiciaires et ventes volontaires demeure une ligne de départage
éclairante pour les professionnels ».
Le rôle du futur commissaire de justice, et son
identité, doivent aussi être préservés au niveau européen.
Tout comme Patrick Sannino, Nicole Belloubet est
attachée à la défense de notre procédure civile. Tout au long des négociations
sur la révision du règlement européen sur la signification dans l’Union
européenne, la France a défendu sans relâche la protection des droits de la
défense. Elle a veillé à écarter toute disposition susceptible de porter
atteinte à ces droits de la défense : sans notification effective et
réelle des actes judiciaires, garantie dans la plupart des cas, en France, par
l'huissier, la procédure judiciaire est en péril. Grâce à sa détermination, la
délégation française a obtenu le retrait des méthodes de notification fictives
lorsque l'adresse du destinataire est connue.
Au demeurant, le droit national ne permet pas l'introduction d'une notification
sans garantie de sécurité, par simple courriel. La France, dans le cadre des
négociations avec le Parlement européen, sensibilise ses partenaires à cette
difficulté. L’huissier de justice d’aujourd’hui, le commissaire de justice de
demain, est un maillon irremplaçable de la procédure, et donc de l’œuvre de
justice.
« Je me suis clairement exprimée en ce sens
lors du Conseil Justice Affaires Intérieures, appelant de mes vœux une
inflexion du règlement, sur ce point spécifique, lors des trilogues à venir »,
a précisé la garde des Sceaux.
Nicole Belloubet
Garantir la place centrale de
l’huissier
S’il est essentiel de construire la nouvelle profession de commissaire
de justice, il est tout aussi crucial d’accompagner des réformes qui garantissent
la place centrale de l’huissier de justice. Cette place centrale de l’huissier,
c’est celle qu’il occupe dans la procédure civile mais aussi au cœur des
territoires.
Le rôle de
l’huissier dans la procédure civile
La mise en œuvre de la loi de programmation pour la justice et la réforme
de la procédure civile, qui en est le corollaire, renforcent la place de
l’huissier dans cette procédure. Certes, le décret de procédure civile n’a pas
généralisé l’assignation comme seul mode de saisine. L’assignation y est
pourtant consacrée en principe, la requête n’étant autorisée que dans certains
cas. En effet, Nicole Belloubet a estimé indispensable de conserver un mode de
saisine gratuit de la juridiction. Cela afin de ne pas décourager le
justiciable de soumettre sa demande à un juge, particulièrement lorsque le
montant de cette demande ou sa situation financière sont modestes. Elle le voit
comme une question de justice sociale.
L’importance de l’intervention de l’huissier est toutefois rappelée, à
travers l’assignation en divorce par exemple, qui interviendra désormais en
amont de la procédure en remplacement de la requête. Le mécanisme de prise de
date valorisera le rôle de conseil de la profession et de rouage essentiel du
procès auprès du justiciable non représenté par un avocat.
Afin de restaurer l’autorité du juge de première instance, le principe
d’une exécution provisoire de droit a été posé, répondant à une attente forte.
Toutes les décisions rendues par les juridictions civiles bénéficieront de
l’exécution provisoire de droit, sauf exception tenant à la matière considérée.
Cette généralisation de l’exécution provisoire permettra d’intervenir dès la
décision rendue pour mettre en œuvre l’exécution forcée des décisions ;
condition essentielle de l’effectivité de la décision de justice.
Autre sujet majeur, la juridiction unique des injonctions de payer.
L’huissier est aujourd’hui un acteur majeur de la procédure d’injonction de
payer, qu’il s’agisse de la transmission des requêtes en injonction de payer ou
de leur exécution. Cette transition ne peut se faire sans ses acteurs. Elle
permettra, à l’horizon 2021, d’adresser la requête en injonction de payer par
voie numérique et d’obtenir rapidement une réponse judiciaire, selon une
jurisprudence unifiée.
Si l’huissier voit sa position centrale dans la procédure civile
réaffirmée, il occupe aussi une place essentielle au cœur de nos territoires.
L’huissier
au cœur des territoires
La ministre de la Justice s’est dit particulièrement attentive à
l’élaboration de la prochaine carte d’installation. L’avis rendu par l’Autorité
de la concurrence (voir JSS n° 94 du 28 décembre 2019) est examiné
avec la plus grande vigilance par les services du ministère. Il convient de
rappeler à ce propos que la loi répond à un objectif de préservation du
maillage territorial et d’aide à l’installation des nouveaux professionnels
tout en garantissant la pérennité des nouvelles structures.
Le fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice a été
institué par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et
l’égalité des chances économiques. L’Assemblée nationale a adopté, en première
lecture, contre l’avis du gouvernement, un amendement instituant une
contribution pour l’accès au droit et à la justice destinée à alimenter ce
fonds. Le Sénat a supprimé cette disposition.
Les initiatives, telles le dispositif de péréquation et de solidarité
mis en place par les huissiers de justice, méritent d’être saluées et
consolidées. L’objectif doit être d’assurer le maintien sur l’ensemble du
territoire, de la présence des commissaires de justice. La Chancellerie œuvre
actuellement avec le Parlement à la construction d’une solution qui soit tout à
la fois fidèle à la loi et qui valorise les efforts entrepris par la profession
pour accompagner la réforme depuis trois ans.
Des retraites
La volonté du gouvernement consiste à créer un régime universel,
c’est-à-dire un régime de justice sociale qui garantira une protection sociale
plus forte et plus durable parce qu’elle ne dépendra plus de la démographie et
de la singularité de chaque profession. Le système sera le même pour tous les
Français et il viendra se substituer aux 42 régimes existants. Il s’agit
de maintenir un régime par répartition dans lequel les cotisations de tous
produisent les mêmes effets et payent les pensions de tous les retraités.
Les préoccupations des huissiers en la matière ont été entendues. Les
discussions menées avec le haut-commissaire ont notamment permis d’avancer sur
trois points :
• la réforme de la CSG et des cotisations
sociales, qui sera mise en œuvre dès le 1er janvier 2022, permettra
de compenser significativement la hausse des cotisations. Très concrètement,
cela signifie moins de CSG mais d’avantage de cotisations d’assurance
vieillesse. Cela neutralisera en grande partie la hausse des cotisations ;
• les
modalités de convergence des cotisations passeront par des transitions longues.
Le Premier ministre a proposé un horizon de 15 ans pour y parvenir, afin
de faire en sorte que ces évolutions soient acceptables à la fois par les
individus et par le tissu économique ; pour les faibles revenus, l’effort à
fournir sera ainsi particulièrement limité ;
• les réserves constituées resteront dans les
caisses des professionnels concernés. Celles-ci pourront être utilisées pour
accompagner la transition des professions vers le nouveau système universel,
par exemple pour prendre en charge une partie des cotisations et aider ainsi
les revenus les plus faibles.
En conclusion, Nicole Belloubet a repris le thème du congrès « Confiance
et performance » : « La performance, c’est celle que vous
avez su démontrer pour accompagner toutes les mutations […].
La confiance, elle évoque bien évidemment celle que vous avez conquise auprès
des justiciables et de nos concitoyens par votre engagement dans les missions
que la loi vous confie. »
C2M