En vigueur depuis le 1er
novembre 2023, l’audience de règlement amiable doit rapprocher les justiciables
de leur justice et accélérer le temps judiciaire. Mais encore faut-il que les
professionnels du droit en maitrisent les rouages. L'association Les Avocats de la paix
proposait le 22 mars à ses adhérents de se former à ce nouvel outil de
règlement du contentieux.
Ce sera l’empreinte laissée
par Eric Dupond-Moretti après son passage place Vendôme. Le Garde des sceaux
fait de l’amiable le fer de lance de sa politique judiciaire et entend
développer ces modes de résolution des conflits pour « une justice plus
proche, plus rapide, plus humaine ». L’audience de règlement amiable
(ARA) a ainsi vu le jour le 1er novembre dernier, un nouveau dispositif qui
nécessite encore d’être connu et maîtrisé par les praticiens du droit.
C’est le sens de la formation
délivrée par les associations Humanethic et les Avocats de la paix à leurs
adhérents le 22 mars. Si elles ne constituent pas des organismes de formation
agréés, ces structures militent pour le développement des modes amiables et de
la pluridisciplinarité. Elles proposent d’ailleurs leur expertise à tout professionnel du droit désireux d’en
savoir plus sur ces procédures.
Comme beaucoup de méthodes
amiables, l’ARA correspond bien au traitement des affaires familiales, font
valoir les associations. Mais elle est également indiquée pour de nombreuses
autres situations engageant des relations devant durer dans le temps, et pour
lesquelles renouer un lien entre les parties est précieux. Les conflits de
copropriété, de voisinage ou professionnel peuvent ainsi être concernés. Autres
avantages, l’ARA peut laisser espérer une issue rapide au litige, et ses règles
de confidentialité sont de nature à protéger l’image et la réputation des
parties.
« Le but est de renouer
un lien »
Pour l’avocate co-fondatrice
des deux associations organisatrices de la formation, Barbara Régent, l’ARA « participe
du véritable objectif de la justice qui est la paix sociale. Elle permet moins
de stress, des procédures accélérées et surtout des solutions durables ».
Car le cœur de l’amiable est d’engager un dialogue entre les parties pour
rétablir une confiance mutuelle. C’est en revanche pour cette raison que l’ARA
n’est pas envisageable en cas de violences, de menaces ou de pressions. « Le
but est de renouer un lien mais cela ne peut se faire que sereinement, justifie
celle qui est aussi médiatrice. Ce n’est pas possible si une des parties est
trop fragile pour se défendre normalement. »
Ces dimensions de dialogue et
de confiance placent l’avocat dans une position de conseil prépondérante. Il
doit évaluer la pertinence d’un traitement amiable du dossier, l’expliquer à
son client et l’y préparer. A noter que certaines procédures sont pour
l’instant exclues du dispositif d’ARA, telles que celles relatives aux droits
indisponibles (les litiges portant sur les droits extra-patrimoniaux et les
droits protégés par l’ordre public de protection sont inarbitrables), ainsi que
certaines procédures orales, dont par exemple celles portant sur l’autorité
parentale ou les tutelles et curatelles en matière familiale.
Une procédure « en civil »
Une fois ce dispositif choisi
et le renvoi à une ARA acté, la procédure se concentre sur l’audience en
elle-même, qui peut durer de quelques heures à une journée. Toujours dans cette
logique de justice accessible, ni le juge désigné, ni les avocats ne portent
leur robe. L’audience se déroule le plus souvent autour d’une table. Le juge
peut utiliser un tableau pour y transposer l’avancée des discussions, dans le
respect des règles de la communication non-violente et de la confidentialité
des échanges, requise pour tous les participants. Autant de modalités qui
tranchent avec l’audience classique. L’ARA consiste plutôt en un espace
collaboratif de travail destiné à trouver un accord accepté par tous.
Le juge n’est d’ailleurs pas
vraiment là pour dire le droit, mais plutôt pour accompagner les parties à
confronter leurs points de vue, de manière équilibrée et dans l’intérêt commun.
Magistrate honoraire et militante historique de l’amiable, Anne Gongora
reconnaît que l’ARA bouleverse les habitudes. « La dématérialisation et
l’engorgement de la justice ont fait perdre des pouvoirs aux juges, estime
l’ancienne présidente de chambre à la Cour d’appel de Paris. L’ARA leur
redonne un rôle intelligent et humain. »
« Attention, les avocats
ne plaident pas »
En parallèle, les avocats
conseillent leurs clients et participent au bon déroulement de l’audience. « Attention,
les avocats ne plaident pas, met en garde Barbara Régent. Ils peuvent
exposer leur analyse juridique si le juge le demande mais ce ne doit pas être
une plaidoirie. » Dans les débats, le président jouit également d’un
pouvoir d’instruction qui tranche avec d’autres modes amiables. Il peut, par
exemple, requérir la présence d’un tiers. Un outil « précieux », estime Barbara Régent.
« Dans certains
dossiers, l’influence d’un tiers est importante. Un grand-parent ou nouveau
conjoint peuvent être déterminants dans l’atmosphère qui entoure le litige. »
Ces tiers, qui ne sont pas parties à la procédure, et alors surnommés « tiers
fantômes », peuvent faciliter l’élaboration d’un accord. Ce dernier peut
être total ou partiel, voire ne porter que sur la manière de résoudre le
litige. « C’est l’accord des parties, insiste Barbara Régent. Il
est rédigé avec les avocats et non par le juge. » A défaut d’accord,
et après un délai de réflexion pour confirmer cette position, le juge de l’ARA
renvoie devant le juge du fond.
Une corde de plus à l’arc de
l’amiable
Symbole du volontarisme de la
Chancellerie pour pousser les modes amiables, l’ARA est une clé de plus dans la
boîte à outils de la justice et des avocats. « On s’aperçoit que les
professionnels qui utilisent l’amiable sont souvent innovants et utilisent leur
propre méthode en s’appuyant sur les différents MARD [modes amiables et
alternatifs de règlement des différends, ndlr], relève Marie-Laure Bouze, cofondatrice
des Avocats de la paix. L’ARA est donc un outil de plus à s’approprier. »
Reste que pour véritablement booster la justice amiable, il faut une « révolution
culturelle dans le monde judiciaire », selon les mots du ministre de
la Justice.
Réussir à passer d’une
culture du contentieux à une culture de l’amiable risque d’être une tâche
longue et ardue. Pour y parvenir, les professionnels du droit ne pourront pas faire
l’économie de la promotion des MARD, notamment les avocats. « Les juges
sont trop débordés pour prendre le sujet en main, confie Anne Gongora aux
avocats présents dans son auditoire. C’est à vous d’impulser le mouvement. »
« J’ai retrouvé du sens à mon travail », « on donne
une dimension humaine supplémentaire », « les dossiers gérés à
l’amiable sont tellement plus enrichissants »… A en croire l’enthousiasme
des professionnels présents ce 22 mars, la poussée initiale est réussie.
Louis
Faurent