Un vent de liberté a soufflé sur Caen en ce
dernier week-end de janvier, grâce à la vague de robes noires présente du 25 au
27 janvier derniers dans la ville portuaire de Normandie. Le cap à
suivre : la défense des droits de l’homme. En effet, chaque année sont
organisés au Mémorial de Caen trois concours – le Concours des lycéens, le
Concours des élèves-avocats et le Concours des avocats –, durant lesquels
chacun exprime son « indignation face à
l’inacceptable ». Toutes voiles dehors, ils étaient nombreux
à déclamer avec ardeur leur plaidoirie, face à des présidents de jury
prestigieux.
« Nous sommes les avocats. Ceux qui parlent.
À des murs ou dans le désert, mais écoutez-nous bien, car nous rappelons la
base essentielle, le leitmotiv incessant pour crier toujours que la liberté
n’est pas négociable. Nous parlons pour tous ceux qui sont menacés. » C’est
ainsi que s’est exprimée la présidente du Conseil national des barreaux (CNB),
Christiane Féral-Schuhl, le 27 janvier dernier, en introduction du concours de
plaidoiries des avocats qu’elle présidait cette année, lequel fêtait son
trentième anniversaire. Pour l’occasion, les trois représentants des
institutions des avocats étaient réunis au mémorial de Caen, une première
depuis sa création.
22e édition du concours
de plaidoiries des lycéens
Débutant par les plus « novices »,
ce sont les lycéens qui ont ouvert le concours, le vendredi 25 janvier. 14 équipes
ont participé à la 22e édition de ce concours, sélectionnées
sur les 1 200 vidéos de présentation envoyées aux organisateurs.
Devant près de 3 000 personnes, les candidats avaient
huit minutes pour convaincre le jury, un exercice qui aura peut-être fait
naître chez certains une vocation. Présidé par le dessinateur Philippe Geluck –
auteur notamment du Chat –, le jury, composé de personnalités juridiques
et médiatiques, a décerné le 1er prix, Prix de la Région
Normandie et du Mémorial de Caen, à Valérie Tete, élève au lycée Chateaubriand
à Rennes, pour sa plaidoirie « Nos enfants ne sont pas des
sorciers ! », laquelle a également reçu le Prix du jury lycéen.
Le Prix de l’engagement citoyen (offert par la MGEN) a distingué les travaux
d’Abdallah Charki, « Pleure en silence », lycéen à
Pithiviers ; le Prix Amnesty International a récompensé Amélie Cassagne,
d’Avignon, pour sa plaidoirie « L’Art d’être censuré » ;
et enfin, le Prix Reporters sans frontière reconnaît la qualité de la
plaidoirie d’Elena Hourdin Solovieff (Vincennes) intitulée « Les femmes
invincibles ».
9e édition du Concours
de plaidoiries des élèves-avocats
Le samedi 26, c’était au tour des élèves-avocats de défendre des cas
réels d’atteinte aux droits de l’homme. Devant près de
2 000 personnes, les 11 candidats – venus des 11 écoles
d’avocats de France – ont abordé avec ferveur les injustices qui les ont
sensibilisés. Le jury, présidé par Maître Henri Leclerc, avocat au barreau
de Paris, a remis le Grand prix du Mémorial de Caen, décerné par l’Association
des écoles d’avocats ( et une dotation de 2 500 euros), à Sarah
Nabet, élève à l’École des avocats de Toulouse, pour sa plaidoirie
« Liberté oubliée », un texte consacré à la défense de Michel
Cardon, condamné à perpétuité sans période de sûreté après un cambriolage.
« La plaidoirie aura pour but de porter sa voix et de défendre
l’automaticité du réexamen régulier de la situation pénitentiaire de chaque
détenu, l’abolition de la perpétuité et l’évolution vers des peines plus
justes, plus proportionnées et plus sensées » avait signalé son
auteure, pour qui les mots de Maître Leclerc prononcés ce jour font
échos : « J’ai toujours cru que la défense des droits de l’homme
était essentielle. Mais je crois aussi que la défense de l’homme est
essentielle. Nous sommes celui qui reste. Nous disons et avons à dire que tout
homme aussi bas qu’il soit est un frère humain »
a-t-il déclaré.
Les deux
autres prix (le Prix des Libertés et de la Paix, décerné par le conseil
d’administration des écoles d’avocats – 1 500 euros, et le Prix des
droits de l’homme, remis par les présidents des écoles d’avocats –
750 euros) – ont respectivement été
décernés à Tristan Deslogis, de l’École des avocats de Montpellier pour « Pas
d’arc-en-ciel sur Tunis », une plaidoirie consacrée à Hedi Sahly,
Tunisien persécuté en raison de son orientation sexuelle, et à Thibault
Campagne, élève-avocat à l’École des avocats de Lille, pour sa plaidoirie « Le
viol pour toute Justice », défendant Azra, une jeune pakistanaise de
16 ans, condamnée par la justice de son village à subir le viol, « en
répression du viol commis par son frère ».
Le lendemain, c’était enfin au tour de leurs aînés de prendre la parole.
30e édition du
concours international de plaidoiries des avocats
« Il
y a 30 ans, trois avocats du barreau de Caen ont eu l’idée géniale de
créer un concours de plaidoirie dédié aux droits de l’homme. 30 ans après
nous sommes encore tous là pour le célébrer » a expliqué la présidente
du Conseil national des barreaux, Maître Christiane Féral-Schuhl, en
préambule de son discours. Celle qui n’a pas manqué de « saluer le
courage des avocats qui n’ont pas hésité à prendre la parole pour défendre,
affronter cette folie du monde à laquelle on a très souvent le sentiment d’être
confrontés » a rappelé, à cette occasion, l’importance de la liberté,
notamment au sein du processus de paix : « La paix sans la liberté
est une illusion. La paix à tout prix, contre la liberté, c’est la paix
aujourd’hui, mais la guerre assurée demain. » Le concours – qui a
attiré pas moins de 290 avocats depuis sa création – était cette
année consacré aux libertés fondamentales, en référence à la prochaine
exposition proposée par le Mémorial de Caen, « Rockwell, Roosevelt
& The four Freedoms », dédiée au peintre et illustrateur américain
Norman Rockwell, visible en juin prochain.
« Oui je me sens libre. Un sentiment que
peuvent ressentir peu de gens aujourd’hui dans le monde. Nous avons tous oublié
le goût de la liberté. La joie enivrante d’être libre. Parce que nous
consommons plus nos libertés que nous ne les vivons » a clamé la présidente du CNB et présidente du jury, avant de laisser la
parole aux 10 finalistes, sélectionnés sur les 80 plaidoiries reçues,
en provenance de 27 pays. Devant un public de
3 000 personnes, les candidats avocats ont défendu des cas réels
d’atteinte aux droits de l’homme. Étienne Mangeot, avocat au barreau de Metz,
a, à cette occasion, remporté pas moins de trois prix !
" J’ai choisi de défendre un homme que nous avons toutes les raisons de profondément détester. "
Le Mémorial et la ville de Caen lui ont décerné le prix éponyme (8 000
euros), le barreau de Caen, de Paris, la Conférence des Bâtonniers et le
Conseil national des barreaux lui ont décerné le Prix du public (4 00
euros), puis il a reçu le Prix du 30e anniversaire – Prix du barreau de Caen
(1 500 euros, lequel donne accès au concours de plaidoirie Louis
Delamare, au Liban), décerné par le jury jeune Barreau – un jury de 30 avocats
âgés de 30 ans – pour la défense d’Adrien Guihal, terroriste qui a
revendiqué les attentats de Nice et de Magnanville en 2016 : « J’ai choisi de défendre un homme que nous avons toutes les raisons
de profondément détester. En somme, j’ai choisi de défendre un homme pour
lequel la tentation de renoncer à l’universalisme des libertés fondamentales
est immense » explique son auteur. « Peut-on envisager des
libertés fondamentales à géométrie variable ? » questionne-t-il à
travers sa plaidoirie, que nous choisissons de publier ici.
Le Prix du
Barreau, décerné par le barreau de Caen, le barreau de Paris, la Conférence des
Bâtonniers et le Conseil national des barreaux (4 000 euros), a, quant à lui, été remis
à Alexandra Staritzky, avocate au barreau de Paris, pour sa plaidoirie
intitulée « Les viols de Fatéma, arme de destruction massive du peuple
Rohingya ». « Fatéma appartient à l’ethnie des Rohingyas. Cette
population vivait en Birmanie où elle a toujours été persécutée, avant de faire
l’objet de massacres au cours de l’été 2017, la conduisant à fuir au
Bangladesh » explique son auteure, qui a choisi de traiter ce sujet,
alertée par « le traitement des femmes durant ce conflit, et plus
largement, sur la notion de "viol de guerre" ». En
parallèle, à l’occasion des 30 ans
du Concours des avocats, une exposition gratuite prêtée par le Conseil national
des barreaux, « Robe around the world », donnait à voir des
robes d’avocats du monde entier. Une belle image illustrant l’universalité de
la profession, de la défense et des libertés fondamentales.
Constance Périn