Question abstruse à
laquelle Didier Tabuteau, président de la section sociale du Conseil d’État,
n’a pas de réponse instantanée. Santé publique, utilisation des finances
sociales, accès à l’offre de soin, il nous fournit néanmoins un tour d’horizon
du sujet en réunissant une pléiade d’intervenants qui expliquent chacun la
mission ou la vision de leur organisme de tutelle.
Le système français présente la particularité d’être totalement resté en-dehors
de la régulation par l’État jusqu’au milieu du XXe siècle.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics sont omniprésents dans l’organisation du
système de santé français après une succession d’événements fondateurs :
1958, les ordonnances Debré ; 1970, la réforme hospitalière ; 1980,
la maîtrise de la dépense de la médecine de ville ; 1992, la création de
la sécurité sanitaire ; etc. Notre système de santé est maintenant un
vaste kaléidoscope de régulateurs publics et privés.
Ministère des solidarités et de
la santé
Pour Cécile Courrèges, directrice générale de l’offre de soins, les
responsabilités ont changé ses dernières années entre le niveau national et le
niveau régional. La régulation dans le champ de l’offre est assez récente. La
première loi d’importance date de 1970, de la carte sanitaire et de son
déploiement. La liberté est un principe fort du modèle : installation,
prescription, choix du référent, on la sent partout. La base de 1970 s’est renforcée peu à peu.
L’accès aux soins pour tous sur l’ensemble du territoire, le soutien à
l’innovation, un système largement solvable sur le principe d’un financement
solidaire, l’évolution de la dépense de santé, le bon emploi des deniers
publics et de l’assurance maladie sont autant d’éléments dans le périmètre de
la politique publique.
Le système français, certes tardif, compte aujourd’hui de multiples acteurs et
quelques instruments majeurs, parmi lesquels financement, autorisation,
planification, recommandation pratique, démographie des professionnels de santé
et présence territoriale. Depuis quelques années, la plupart de ces outils de
régulation étatique ont été transférés au niveau régional. Le champ de la santé
est un des plus décentralisés grâce à la création des agences régionales
d’hospitalisation (ARH) dans un premier temps, puis avec celle des agences
régionales de santé (ARS) après 2010. Structure intégrant en moyenne 500 personnes, les ARS assument aujourd’hui les responsabilités en matière
médico-sociale, hospitalière, sanitaire, ou encore de contrôle de l’eau et de
l’air. C’est l’instance à consulter pour un financement, une autorisation, une
ouverture ou une fermeture d’activité. Le paradigme s’est transformé. Les
décisions sont prises avec les acteurs de terrain dans un esprit
d’accompagnement.
Haute autorité de santé (HAS)
La HAS, pour sa part, émet des avis indépendants. Son objectif est
l’amélioration de la qualité. Malheureusement, il existe peu d’indicateurs. En-dehors
des soins, souligne Dominique Le Guludec, présidente de l’institution, il faut
se concentrer sur le secteur social et médico-social qui ont un impact énorme
sur l’état de santé des citoyens. La gestion de la qualité touche les
activités, les tarifs, les pratiques. La haute autorité de santé participe à la
réforme des autorisations mise en place par le ministère.
Elle évalue les actes et les produits de santé en vue de leur
remboursement. Sont alors appréciés l’efficacité, le service médical rendu, le
progrès apporté par rapport aux éléments préexistants. Le rythme d’innovation
en France est soutenu. Les nouveautés et leur prix sont disruptifs, d’où
l’importance de leur évaluation scientifique (partagée au niveau européen) et
de leur considération à l’intérieur d’un ensemble national. À l’efficacité,
s’ajoute maintenant la notion d’efficience, qui occupe une place toujours plus
prégnante dans les estimations.
La régulation des pratiques englobe une foule d’acteurs. Elle se
concrétise par des référentiels de recommandations. Construits en coopération
par la HAS, les sociétés savantes, les professionnels et les usagers, ils
concernent les soins, les organismes sociaux et médico-sociaux. Basés sur les
résultats, ils se veulent pertinents et intègrent la prévention de façon
croissante. Indicateurs, mesures, audit externe, les outils ne manquent pas
pour réguler la qualité. S’agissant des audits externes, on peut citer la
certification des établissements de santé publics ou privés, l’accréditation
des professionnels à risque qui gravitent autour de la sécurité des soins,
l’évaluation des services sociaux et médico-sociaux. Cependant, tous ces
dispositifs manquent d’harmonisation, de diffusion et de transparence.
Confédération des syndicats médicaux
français (CSMF)
En 1928,
émerge la charte de la médecine libérale et la CSMF est créée. La charte
énonçait le principe de libre choix du patient, de la liberté d’installation,
l’entente directe de paiement, le secret médical, le droit à honoraire pour
tout malade traité, le contrôle des patients par les caisses et des médecins
par des structures syndicales.
En 1971, le concept d’une convention nationale prend forme. Ce sera le
premier fondement de la régulation de la médecine libérale en France. Les
médecins acceptent un tarif opposable national. En contrepartie, l’assurance
maladie leur fournit un statut social. Cet acte initial a construit une
médecine libérale avec un maillage territorial fin.
De 1971 à 2016, dix conventions
ont été signées. Le système a essentiellement évolué sur trois points, selon
Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.
D’abord, l’aspect financier et tarifaire passe de plus en plus sous la
main de l’État. Il échappe à l’assurance maladie et aux professionnels de santé
qui restent attachés à un mécanisme conventionnel. Ensuite, la place de la
qualité et de la pertinence de l’avis médical n’est pas incluse dans le système
de régulation actuel.
La rémunération sur objectif de santé publique existe bien, mais c’est
insuffisant. Enfin, l’accès aux soins rencontre des difficultés en raison de la
diversité de positionnement des ARS.
Deux tendances s’affrontent dans les services de l’État : celle de
la co-construction en confiance avec les acteurs et celle normative. 17 régions, 101 départements, 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour couvrir
le pays, le point de vue comptable ne fait pas tout.
Les médecins se veulent impliqués dans le territoire, mais aussi
responsables de s’organiser par eux-mêmes.
Caisse nationale d’assurance
maladie (CNAM)
La
régulation économique, la maîtrise de l’évolution des dépenses intéressent tout
le monde. La CNAM joue sur les prix des produits de santé, les tarifs des
établissements et des professions de ville. Efficace, la régulation des prix
permet de ramener en partie la tendance de la dépense de santé qui augmente de 4?% chaque année, au rythme
d’évolution des ressources consacrées à leur couverture.
À l’avenir, la régulation devrait moins s’appuyer sur les prix et agir sur le
volume des soins, la pertinence des actions, et l’efficience des orientations.
Cinq leviers vont être actionnés :
• performance
des pratiques ;
•
exploitation des données de santé ;
• procédure
des prises en charge ;
• évolution
des rémunérations ;
•
organisation des soins sur le territoire.
Les
implications concernent les pouvoirs publics, mais également les fédérations
professionnelles. Il faut investir sur une construction commune et se tourner
vers des négociations conventionnelles. Cette transformation s’opérera sur un
long délai de plus d’un an, d’après Nicolas Revel, directeur général de la
CNAM.
Fédération hospitalière de France
(FHF)
Notre système est trop centralisé et souffre de
réelles contraintes bureautiques. La sphère publique fait des efforts de
simplification dans de nombreux domaines, mais jusqu’à présent,
l’administration de la santé y échappe, estime Frédéric Valletoux, président de
la FHF. On se penche davantage sur le contrôle de la conformité des processus
que sur les résultats obtenus. Il faut pousser les hôpitaux publics à se saisir
des opportunités d’expérimentation ouvertes par la CNAM.
Malgré un schéma centralisé, le système de régulation
est éclaté. Il mène parfois à un ballotement entre plusieurs autorités
(ministères, CNAM, Haute autorité de santé…) et il arrive que l’économique
prenne le pas sur l’organisationnel. Médecine de ville ou hospitalière, filière
sanitaire, sociale, l’ensemble est fragmenté. Cela complique l’efficacité de la
régulation dont la cible doit rester le patient.
Au sein de la gouvernance clinique, les personnes au contact des patients et
les gestionnaires d’organisation s’accordent. Leur objectif vise à améliorer la
prise en charge de la population au coût le plus acceptable pour la société. La
gouvernance clinique tient une place centrale dans la notion de responsabilité
organisationnelle portée par les acteurs de santé et la FHF.
L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de l’an passé a permis de
lancer des expérimentations pionnière sur plusieurs territoires. Autour de deux
pathologies (insuffisance cardiaque et diabète), les opérationnels vont
construire des parcours cliniques. Les solutions viendront du terrain et ne
seront pas nécessairement les mêmes d’une région à l’autre. Les agences
régionales de santé pourraient s’investir dans l’animation, l’analyse sur
mesure de ce type de projet plutôt que dans des contrôles uniformes. Elles
pourraient accompagner les innovations et se faire les relais de l’État
stratège. Le secteur de la santé obéit à une légitimité politique, administrative
et médicale. Le médecin décide ce qui est juste pour son patient et cela en
harmonie avec le Code de déontologie.
Autorité de la concurrence (AC)
L’AC est une structure compétente sur l’ensemble du
champ économique dont la santé. Ni ministériel, ni financier, ni sectoriel,
elle porte un autre regard. Elle dispose d’une palette étendue de moyens et de
pouvoirs. Elle délivre les autorisations en matière de concentration, elle émet
des avis et peut éventuellement s’autosaisir. Mais l’autorité de la concurrence
est surtout réputée pour la répression des pratiques anticoncurrentielles.
Comme dans tout secteur, l’entente ou l’abus de position dominante entraîne des
dommages graves. L’AC nourrit de nombreux échanges au niveau mondial et
européen.
Parfois perçu comme illégitime pour le domaine de la
santé, l’autorité de la concurrence s’inscrit en faux contre l’idée que sa
vision serait exclusivement économique et financière ; thèmes majeurs qui
ne sont pas à négliger pour autant. Un patient est un consommateur et
réciproquement. Les rivalités entre fournisseurs existent là comme ailleurs.
Les laboratoires étudient de nouvelles formules parce qu’ils visent le même
marché. Ils se regroupent, entre autres, pour diminuer les frais de recherche
et développement. De même, la concurrence entre cliniques participe à
l’amélioration de la qualité des prestations.
Pour Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de
la concurrence, ses services jouissent de l’avantage de suivre tous les
secteurs économiques. Ils ont par exemple déjà l’expérience des plateformes ou
des nouvelles technologies qui investissent aujourd’hui le marché de la santé.
Concernant le contrôle des concentrations, certains
territoires ont peu de cliniques. Celles-ci
désirent parfois se rapprocher. L’institution intervient si cette réunion mène
à une position trop forte sur le marché. En effet, lorsque le nombre de
prestataires diminue, le patient, le médecin indépendant a moins de choix, et
on constate épisodiquement des conséquences négatives sur la qualité des soins.
L’Autorité appréhende chaque cas pour en comprendre les mécanismes et impose
les conditions utiles au maintien d’un marché concurrentiel et d’un service de
bon niveau.
L’organisme exerce également une fonction
consultative, par exemple sur la vente de médicaments en ligne. La France a
pris cette réforme avec beaucoup de résistance sous la contrainte européenne.
L’autorité de la concurrence a alors indiqué au gouvernement que les textes
envisagés étaient trop restrictifs, mais son avis n’a pas été suivi. Les textes
ont été annulés par le Conseil d’État. Par la suite, le secteur s’est peu
développé en France par rapport aux autres pays européens. Aujourd’hui, les
patients français achètent leurs médicaments sur des sites belges. L’AC émet
aussi des avis auprès des ordres professionnels et du gouvernement pour
assouplir les règles déontologiques des professions médicales. Beaucoup d’entre
elles limitent fortement la concurrence.
Concernant les pratiques anticoncurrentielles, des
amendes importantes sont infligées.
Le dénigrement des médicaments génériques, en particulier, a donné lieu à
plusieurs sanctions à l’encontre de sociétés qui essayaient d’empêcher leur
mise en circulation pour préserver la vente de leur produit.
L’institution relaie ses décisions vers les acteurs
de santé pour qu’ils prennent conscience de ces aspects. La dimension du droit
de la concurrence ne saurait être ignorée. Sa considération doit au contraire
devenir un réflexe participant à la politique de santé.
C2M