La crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus
s’accompagnera vraisemblablement d’une crise économique. Ce n’est un secret
pour personne qu’au cours de périodes troublées, l’art peut constituer une
valeur refuge. En temps normal, l’art représente déjà une composante
essentielle dans le cadre d’une stratégie globale de gestion de fortune. Or, la
crise actuelle, sanitaire et économique, avec la fermeture des frontières,
accroît le risque d’arnaques, les « bonnes affaires » fleurissant sur
la toile. Naturellement, toutes les offres ne sont pas malhonnêtes. Notre
propos consiste simplement à attirer la vigilance de l’acheteur potentiel en
lui conseillant d’adopter une attitude prudente et réfléchie. Rappelons
simplement que, sur le marché international, 10 000 faux Rembrandt,
1 300 fausses sanguines de Watteau semblent être en circulation. Et
que dire du nombre de faux Van Gogh quand on sait qu’il a peint à peu près
1 000 tableaux de son vivant et qu’il doit y avoir plus de 20 000 de
ses toiles aux États-Unis !
Il n’est peut-être pas inutile de faire quelques petits
rappels de base afin d’éviter à l’acheteur d’œuvre d’art certaines déconvenues.
Tous s’articulent autour de la même idée : « l’acheteur se doit
d’être curieux », traduction de l’adage bien connu « Emptor debet esse curiosus ».
Comment ?
Premièrement, en demandant des renseignements
Tout d’abord, comme il n’est pas possible de se rendre
physiquement dans de nombreuses salles des ventes (soit que leur accès est
limité pour cause de confinement, soit que l’accès au pays est lui-même
restreint pour des raisons sanitaires), il importe d’être véritablement
attentif aux sites en ligne. Si les descriptions proposées en ligne se veulent
suffisamment précises, il est parfois difficile de se faire une idée du bien
sans le voir de visu, comme lors d’une exposition préalable. Dans ce cas, nous
recommandons de se rapprocher du vendeur (plateforme, galerie, maison de vente
aux enchères, artiste, particuliers…) par e-mail avant une éventuelle
acquisition, afin de demander des précisions supplémentaires quant à l’état de
l’œuvre, les éventuelles restaurations, les dimensions ou la masse de l’objet
convoité, voire des photos complémentaires. Si vous n’obtenez pas satisfaction,
il peut être souhaitable de renoncer à enchérir.
Le fait de se rapprocher d’une société de ventes
volontaires permet de bénéficier d’un avantage non négligeable, qui consiste en
l’existence d’un catalogue des ventes. Dans certains pays, comme la France, les
indications figurant dans le catalogue engagent la responsabilité de son
auteur, car bien qu’il soit techniquement précontractuel, le catalogue est
considéré par la majorité des auteurs juridiques comme un document contractuel.
Dès lors, les auteurs du catalogue sont responsables des indications portées
sur celui-ci.
Ainsi, les qualités annoncées de l’objet, sa datation,
l’existence de réserves, l’indication de restaurations ou d’accidents,
constituent des indications essentielles qui doivent être portées à la
connaissance de tout acheteur éventuel. À défaut, l’acheteur, qu’il soit un
profane ou un professionnel, peut engager la responsabilité de la société qui a
procédé aux enchères.
Deuxièmement, en maîtrisant le jargon technique
Dans le même ordre d’idées, nous recommandons de
maîtriser un peu le vocabulaire, ce qui évite certains malentendus dès la mise
en relation entre le vendeur et l’acheteur potentiel. Par exemple, en matière
de peintures, il faut comprendre que des termes qui paraissent synonymes pour
l’amateur ne le sont pas. Ainsi, les termes « par » ou
« de » suivis de l’indication du nom de l’artiste présentent une
force équivalente pour attester de l’authenticité de l’œuvre. On dit par
exemple « le portrait de Jan Six
par Rembrandt » ou « Le Christ
d’Emmaüs de Rembrandt », ce qui indique que l’artiste mentionné a bien
peint le bourgmestre d’Amsterdam ou le Christ.
Dans certains cas, le nom du peintre est précédé de la
mention « attribué à », ce qui signifie que l’œuvre a bien été peinte
à l’époque de l’artiste et qu’il existe de sérieuses présomptions qui laissent
penser qu’il en est l’auteur véritable. L’enjeu de l’attribution est capital
sur le marché de l’art : la valeur marchande d’une même peinture peut
ainsi passer de quelques milliers à plusieurs millions d’euros en fonction de
sa seule signature (et inversement, en cas de déclassement).
C’est là tout l’enjeu de la vente du Salvator Mundi de Léonard de Vinci,
affaire qui a défrayé la chronique dans les années passées. Pour faire court,
cette huile sur bois d’environ 65 cm de haut, réalisée vers 1500, est
portée disparue depuis le XVIIe siècle : elle resurgit
dans un état très délabré au début du XXe siècle. Alors que des
doutes sérieux existent sur l’attribution à Léonard, les sommes dépensées pour
acquérir ce tableau prennent des proportions démesurées. Cela n’a plus rien à
voir avec les 45 livres sterling des années 1950 ou les
10 000 dollars US de 2005 ! Pour l’obtenir, le marchand d’art
suisse Yves Bouvier dépense, en 2013, 80 millions de dollars US pour le
revendre au Russe Dmitri Rybolovlev pour 127,5 millions de dollars US. On
est encore loin du record absolu : 400 millions de dollars
US, le 15 novembre 2017 chez Christie’s - New York !
Pour atteindre cette somme astronomique, tout a été fait
pour lever la moindre ambiguïté et attribuer le tableau à Léonard : le
recours à de grands spécialistes du maître italien mais surtout l’exposition de
cette œuvre, après restauration, dans un des plus grand musées du monde, la
National Gallery de Londres, qui l’a présenté comme un authentique Léonard. Ce
qui n’empêche pas certains spécialistes de continuer à penser que le tableau
devait plutôt émaner de l’atelier de Léonard. Pour eux, certains détails comme
les mèches de cheveux du Christ, le doigt levé ou les plis du vêtement trahissent
une certaine raideur, peu habituelle du maître italien. Quant aux épais tracés
de contour sous-jacents, révélés par l’infrarouge, ils seraient typiques d’un
disciple de Léonard, Andrea Salai.
Lorsque l’acheteur voit la mention « atelier
de », il est seulement assuré que l’œuvre a bien été créée dans l’atelier
de l’artiste, sous sa direction. Souvent, seuls les éléments les plus
signifiants comme le visage ou les mains étaient peints par le maître.
Rembrandt était entouré par une cinquantaine d’élèves. Il est de surcroît
nécessaire, lorsque l’atelier est une affaire de famille s’étendant sur
plusieurs générations, comme la dynastie des Brueghel, de vérifier que l’époque
est correctement précisée, afin de lever toute ambiguïté.
Enfin, il faut vraiment se méfier des expressions qui ne
servent qu’à créer l’illusion d’une certaine valeur apportée à l’œuvre
présentée à la vente : c’est seulement du packaging. C’est le cas des
mentions telles que « dans le goût de », « de style », « à
la manière de », « dans le genre de », « d’après » ou
bien encore « à la façon de » : l’acheteur non averti peut
penser que cela donne un surplus de valeur à l’œuvre ou que cela atteste d’une
certaine authenticité, alors qu’il n’en est rien. Un dernier mot en ce qui
concerne les restaurations. Si des restaurations voire des transformations de
l’œuvre ont eu lieu, l’acheteur doit en être informé. La justice est parfois
obligée de faire la balance entre restaurations et transformations, pour
établir le caractère d’authenticité d’une œuvre, notamment en matière de
meuble.
Troisièmement, en faisant le tri entre les différentes
« ventes en ligne »
Il importe en effet de comprendre que l’intitulé de
« ventes en ligne » d’œuvres d’art peut recouvrir des situations
complètement différentes, comportant pour certaines une véritable garantie pour
l’acheteur, à la différence de bien d’autres. Il importe donc d’être vigilant
quant à la nature du site qui propose l’objet à la vente. Car ce qui intéresse
l’acheteur, c’est ce qui fait la valeur de l’œuvre, autrement dit son
authenticité. Certains sites, comme les marketplaces
(tels Artsper ou Artsy), proposent des biens mis en vente par une multitude de
vendeurs indépendants ; dans le domaine de l’art, ils mettent
essentiellement en relation galeries et collectionneurs. Ils doivent être
distingués des sites des galeries en ligne. En fonction de la législation
applicable, ces sites marchands peuvent proposer un délai de rétractation
(quatorze jours en France) : dans ce cas, l’acheteur insatisfait retourne
l’œuvre et se fait rembourser.
Nous invitons les acquéreurs à vérifier avec attention
les conditions générales de vente qui doivent être portées à leur connaissance.
À moins d’être un professionnel ou un particulier averti, il semble encore plus
difficile de contrôler l’authenticité en cas d’achat de gré à gré en ligne. Il
arrive qu’un particulier ou un marchand d’art propose sur des sites de vente en
ligne des œuvres, pour lesquelles l’authenticité est incertaine, ou pire
encore, pour lesquelles l’origine, notamment pour les antiquités, est illégale.
En cas de doute sur le sérieux du vendeur, mieux vaut s’abstenir. Sans entrer
dans la distinction juridique un peu technique existant entre le courtage aux
enchères et la vente aux enchères, il importe d’indiquer qu’en cas de bien
acheté par le biais de véritables enchères en ligne, il n’existe pas de
possibilité de retourner le bien, l’acheteur étant devenu le propriétaire légal
du bien dès l’adjudication. Seule une action en justice permet de faire jouer la
responsabilité du vendeur.
Quatrièmement, en s’intéressant au prix
Pour cela, nous préconisons, d’une part, de faire
attention à tout ce qui peut venir alourdir la facture finale. Il importe donc
de vérifier les dépenses supplémentaires qui pourraient s’ajouter, comme la
commission d’un éventuel intermédiaire, les frais de la maison de ventes, voire
le coût de la livraison.
En outre, lorsque l’achat est effectué à l’étranger, il
arrive qu’il faille ajouter des frais de douane et des taxes. D’autre part, nous
conseillons à l’acheteur de mener une petite recherche sur les prix de vente
passés d’objets similaires, afin de se familiariser avec un marché qu’il ne
maîtrise pas ou peu, ou de voir les fluctuations des prix sur les cinq
dernières années, ce qui peut constituer un indicateur intéressant. Pour cela,
une petite recherche sur la toile donne déjà de bonnes indications, et
l’application gratuite Magnus permet d’accéder à une base de données de
10 millions de références d’œuvres fournies par les galeries et les salles
de ventes, et d’en obtenir une estimation. Décidément, l’acheteur se doit
d’être curieux avant d’acquérir une œuvre d’art, ce qui peut se traduire
librement par « Emptor artis debet
esse curiosus » !
Ces conseils devraient permettre dans de nombreux cas à
l’acheteur suffisamment curieux de réaliser l’acquisition d’une œuvre d’art
dans de bonnes conditions. Si, toutefois, un problème devait survenir, il ne
faut pas hésiter à se rapprocher d’un juriste professionnel, spécialiste en
droit de l’art qui saura lui indiquer le recours, amiable ou judiciaire, le
plus approprié contre un vendeur indélicat.
Dr. Éric Perru,
Avocat à la Cour,
Associé,
Responsable Wildgen 4 Art, Cabinet d’avocats,
Membre de
l’Institut Art & Droit