La prise en charge financière des victimes du
terrorisme s’avère large et rapide, mais la question de la soutenabilité
du Fonds d’indemnisation « à moyen
terme » se pose, pointe la Cour des comptes.
La Cour des comptes livre un bilan plutôt positif de
la prise en charge financière des victimes de terrorisme. En effet, les
dispositifs mis en œuvre « fonctionnent de façon efficace »,
assure le palais Cambon. En-dehors des aides fiscales et des droits liés à
l’attribution du statut de victime civile de guerre, l’indemnisation est en
grande partie permise par le Fonds de garantie des actes de terrorisme et
autres infractions (FGTI), qui a succédé en 1990 au Fonds de garantie contre les actes
de terrorisme, créé en 1986.
Suite aux attentats de Paris et de Nice en 2015 et 2016, le FGTI a ainsi
pris en charge, entre 2015 et 2017, 5 623 personnes, soit plus que l’ensemble des dossiers
traités les 28 années précédentes, et les indemnités versées aux victimes
et les frais pris en charge par le FGTI ont évolué en conséquence, passant de
6,5 millions d’euros en 2014 à 23,4 en 2015, 56,3 en 2016 et 48,4 en 2017.
Par ailleurs, la Cour fait état d’un système
d’avance qui « fonctionne convenablement ». L’offre
d’indemnisation du FGTI devant intervenir dans les trois mois suivant la
justification des préjudices invoqués, le Fonds est tenu de verser des avances
pour permettre à la victime et ses proches de faire face aux dépenses ou au
manque à gagner : en 2017, le délai de versement de la première avance a
été respecté pour 83 % des victimes.
Le dispositif de prise en charge compte en outre
« parmi les plus larges au monde ». Le niveau des indemnités
versées n’est ainsi pas plafonné – ces dernières ont donc parfois atteint un
million d’euros –, et le dispositif s’adresse aussi bien aux ressortissants
français (victimes en France ou à l’étranger) qu’aux ressortissants étrangers
victimes sur le territoire national ; ce qui est « très peu
fréquent dans les systèmes étrangers », souligne la juridiction
financière. Peu de contestations sur le montant de l’indemnisation sont
d’ailleurs portées devant le juge : 36 en 2015, quatre en 2016 et aucune en 2017, ce qui
atteste selon la Cour d’un « niveau de réparation acceptable ».
Plus de
vigilance sur le périmètre de l’indemnisation
Pour autant, la Cour des comptes suggère au FGTI de
se montrer « plus vigilant » sur le périmètre de
l’indemnisation.
Le conseil d’administration du Fonds a en effet
reconnu en 2017 deux
nouveaux chefs de préjudice : le préjudice d’angoisse de mort imminente et
le préjudice d’attente et d’inquiétude. Or, « la création de ces
dispositifs modifie la nature de la réparation, qui ne porte plus seulement sur
les séquelles mais sur le préjudice situationnel ». De plus, le FGTI
attribue une aide financière particulière : le préjudice exceptionnel
spécifique des victimes du terrorisme (PESVT), dont les montants versés ne
reposent pas sur une évaluation individualisée mais sur une grille forfaitaire.
Du goût de la Cour des comptes, le dispositif, qui représente environ un tiers
du montant des indemnisations versées aux victimes du terrorisme par le FGTI,
n’est pas judicieux, d’une part car le recours à la grille Dintilhac serait
suffisant, d’autre part car l’indemnisation du fait générateur ainsi que le
caractère forfaitaire du PESVT « dérogent » au FGTI. La Cour
demande donc de mettre fin à sa prise en charge par le FGTI : « Si
les pouvoirs publics jugeaient nécessaire d’accorder aux victimes une
compensation financière, en sus de la réparation intégrale du préjudice, elle
devrait être financée par la solidarité nationale et prise en charge par le
budget de l’État », estime-t-elle.
Autre difficulté : le champ des personnes relevant
d’une prise en charge par le FGTI. Les pouvoirs publics ont d’abord cherché à
élaborer une liste unique des victimes, qui était, dans les faits, complétée
par les personnes prises en charge par le FGTI. La « liste partagée »
adoptée en 2017 met
fin à cette ambiguïté, mais ne clarifie pas la notion de victime, et renvoie au
conseil d’administration du FGTI le soin de le faire. Par ailleurs, ce dernier
« a utilisé une notion de périmètre géographique et l’a progressivement
élargie », pointe la juridiction financière. Au 31 août 2018, le
Fonds avait ainsi reçu 3 416 demandes, dont 2 207 ont donné lieu à une
première indemnisation, pour un attentat qui a fait 86 morts et
102 blessés. « Cette méthode, qui peut conduire à retenir dans le
périmètre de la réparation intégrale des personnes non directement visées par
le terroriste, pose d’autant plus question qu’une indemnisation peut
aujourd’hui être versée avec le PESVT – hors de toute expertise. Il importe,
pour ne pas créer de doute sur le système existant, que la notion de victime ne
soit pas diluée par une interprétation extensive des critères d’éligibilité à
une indemnisation », a recommandé la juridiction financière.
« La
question de sa soutenabilité se posera à moyen terme »
Entre mars 2012 et décembre 2018, 27 attentats se sont produits
sur le territoire et 49 ont
affecté la France de manière plus ou moins directe. Les attentats commis depuis
2015 ont
fait plus de victimes que l’ensemble des actes terroristes dont la France a été
victime au cours des trente années précédentes.
Si les dépenses liées au terrorisme – près de 650 millions d’euros depuis 1986 – ne représentent qu’une part réduite de l’ensemble des charges du FGTI
(2 % par an avant 2015, 12 % en 2017), les dépenses totales de ce
dernier augmentent très rapidement, « portées par la hausse constante
du coût moyen de l’indemnisation des préjudices corporels graves »,
pointe la Cour des comptes : « À court terme, le Fonds n’a pas de
difficultés pour faire face à ses échéances. La question de sa soutenabilité se
posera à moyen terme. »
Selon Julien Rencki, directeur général du FGTI, le
Fonds pourrait en effet se trouver en situation de « trésorerie
d’exploitation négative » à l’horizon 2027-2028, ce qui impliquerait
une vente des actifs pour faire face à des indemnisations à verser dans
l’année. Actuellement, « le déficit du Fonds de garantie des victimes
s’élève à 4,5 milliards d’euros », a-t-il révélé lors d’une
audition organisée au Sénat par la commission des finances. L’homme a donc
appelé à augmenter la contribution des assurés et assureurs pour revenir à
l’équilibre. « Sans attendre, il convient de procéder à un réexamen de
l’assiette de la contribution et d’assurer le contrôle de son recouvrement »,
a pour sa part considéré la Cour.
Bérengère Margaritelli