ENTREPRISE

DÉCRYPTAGE. Congés payés et arrêts maladie : comment le gouvernement compte-t-il aligner le droit français sur le droit européen ?

DÉCRYPTAGE. Congés payés et arrêts maladie : comment le gouvernement compte-t-il aligner le droit français sur le droit européen ?
Publié le 02/04/2024 à 14:30

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 18 mars, un amendement modifiant le Code du travail. Quelles règles pourraient être appliquées dans les prochains mois ? Ida Christelle Makanda, juriste en droit du travail, nous apporte son éclairage.

Appliquant directement le droit communautaire en matière d'acquisition de congés payés durant les arrêts maladie, et destinés à « garantir une meilleure effectivité des droits des salariés », les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 avaient fait grand bruit, s’attirant les foudres des entreprises.

Au grand dam de ces dernières, alors que bien du chemin ait été parcouru depuis, ultime actualité en date : l’Assemblée nationale a validé à vitesse grand V, le 18 mars dernier, un amendement du gouvernement proposant un aménagement des textes.

Le point sur les étapes ayant mené à l’amendement

Rembobinons. En novembre dernier, quelques semaines après son revirement de jurisprudence, la Cour de cassation transmet deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

Trois mois après, les « Sages » jugent conformes à la Constitution les articles L3141-3 et L3141-5 du Code du travail qui privent les salariés d'acquérir des congés payés en cas de maladie non-professionnelle et empêchent d’en acquérir au-delà d’un an en cas d'absence pour accident du travail ou maladie professionnelle.

Suivant les décisions de la Cour de cassation, le gouvernement est ensuite contraint de s’aligner pour mise en conformité du Code du travail avec le droit européen en correspondance avec la CJUE. Dans ce cadre, il soumet alors un texte visant à compléter le Code du travail à l'avis du Conseil d'État, lequel répond le 11 mars 2024.

Last but not least, cet avis aboutit à l’introduction par le gouvernement d’un amendement qui crée l’article 32 bis dans le projet de loi « portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole », visant à assurer cette conformité. Un amendement qui est donc adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 18 mars 2024. Voilà où l’on en est aujourd’hui.

24 jours ouvrables par an

L'amendement prévoit que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat est suspendue pour maladie ou accident d'origine non professionnelle seront assimilées à du temps de travail effectif pour la détermination de la durée du congé payé. Ces motifs viendront compléter la liste des périodes considérées comme du temps de travail effectif fixée par l'article L. 3141-5 du Code du travail.

Les salariés concernés se verront acquérir deux jours ouvrables de congés payés par mois d'absence dans la limite de 24 jours ouvrables par période de référence, soit quatre semaines de congés payés par an (création d’un article L. 3141-5-1 dans le code du travail). Le salarié ne bénéficierait donc pas, en l'état actuel de l'amendement, de la 5e semaine de congés payés ou des congés conventionnels, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

Le salarié en arrêt de travail pour accident ou maladie d'origine professionnelle continuera quant à lui d'acquérir 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois, soit 30 jours ouvrables par période de référence. Mais la limite d'une durée ininterrompue d'un an de l'arrêt de travail, au-delà de laquelle l'absence n'ouvre plus droit à congé, serait supprimée.

Lorsqu'un salarié est dans l'impossibilité, pour cause de maladie ou d'accident d'origine professionnelle ou non, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu'il a acquis, il bénéficiera d'une période de report de 15 mois afin de pouvoir les utiliser (création d’un article L. 3141-19-1 dans le Code du travail). Un accord d'entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche pourrait fixer une durée de report supérieure.

Des modalités de report qui diffèrent selon les cas

Le point de départ de ce délai varie selon que ces congés ont été acquis avant l'arrêt maladie ou au cours de ce dernier. Ainsi, si les congés acquis n'ont pas pu être pris au cours de leur période de prise des congés en raison d'un arrêt de travail, d'origine professionnelle ou non, la période de report de 15 mois débute à compter de la date à laquelle le salarié reçoit, postérieurement à sa reprise du travail, les informations de son employeur sur les congés dont il dispose. Au-delà de cette période, les congés seront perdus si le salarié ne les prend pas alors que l'employeur l'a informé et lui a demandé de les prendre.  En effet, l’amendement met en place une obligation d’information du salarié par l’employeur, dans les dix jours qui suivent la reprise du travail, sur le nombre de jours acquis et le délai dont le salarié dispose pour les poser. Ces informations doivent être communiquées au salarié par tout moyen conférant date certaine de cette communication (création d’un article L. 3141-19-3 dans le Code du travail).

En revanche, lorsque les congés ont été acquis au cours des périodes d'arrêt de travail pour cause de maladie ou d'accident, la période de report débute à la date à laquelle s'achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu, en raison de la maladie ou de l'accident, depuis au moins 12 mois (création d’un article L.3141-19-2 dans le Code du travail). Lors de la reprise du travail, la période de report, si elle n'a pas expiré, est suspendue jusqu'à ce que le salarié ait reçu les informations de son employeur sur les congés dont il dispose.

Des droits à congé rétroactifs

Les nouvelles dispositions s'appliqueraient rétroactivement pour la période courant entre le 1er décembre 2009 et la date d'entrée en vigueur de la loi à venir. Toutefois, cette rétroactivité ne pourrait conduire à ce que le salarié bénéficie de plus de 24 jours ouvrables de congés payés par année d'acquisition, en considérant les jours déjà acquis sur cette période.

Les salariés disposeront de deux ans à partir de la promulgation de la loi pour faire valoir leurs droits auprès de leur employeur pour lequel un contrat de travail est toujours en cours d’exécution. En effet, dans ce cas, aucune limite de jours n’est posée : si le salarié a été malade pour raisons non professionnelles plusieurs fois entre 2009 et 2024, il pourra faire sa demande de manière rétroactive s’agissant de l’ensemble des congés qu’il aurait dû acquérir au cours de ces périodes. Un cumul de congés payés supplémentaires serait alors à prendre en compte pour la comptabilisation de ces derniers ainsi que la provision comptable correspondante.

En outre, si le salarié a été en arrêt de travail maladie avant l’adoption de la loi et qu’il ne travaille plus dans l’entreprise où il a été en arrêt maladie, l’ancien employeur devra lui verser des indemnités compensatrices de congés payés. Ici, la prescription triennale s’appliquerait selon les règles de droit commun en matière de paiement des salaires, ce qui reviendrait donc à prescrire les régularisations pour les contrats de travail rompus avant 2021.

Enfin, si la société a été placée en liquidation judiciaire, le salarié qui souhaite faire valoir ses droits à l’égard de la société peut, dans le temps de la liquidation, saisir le conseil de prud’hommes à l’encontre du mandataire liquidateur.

0 commentaire
Poster
UE

Nos derniers articles