Sous l’impulsion des directives européennes de
2014*, le législateur et le pouvoir réglementaire français sont intervenus pour
modifier les contours du droit applicable à la commande publique, en ce compris
les marchés publics et les concessions de service public.
Ce droit, en évolution constante, a connu de
réelles modifications au cours de ces dernières années. Le vocable « pouvoir adjudicateur », déjà utilisé
dans les Codes des marchés publics antérieurs, a toujours sa place au sein du
nouveau Code de la commande publique qui s’appliquera au 1er avril
2019. Mais à ses côtés, le terme d’acheteur est également mis en avant.
D’ailleurs, l’article L. 1210-1 du Code de la commande publique définit cette
notion : « Les acheteurs et les autorités
concédantes soumis au présent Code sont les pouvoirs adjudicateurs et les
entités adjudicatrices. » La commande publique se
professionnalise à travers cette notion d’acheteur et tend de plus en plus à
s’imprégner des techniques d’achat de la sphère privée. Si cette évolution doit
nécessairement s’accompagner d’un changement des mentalités et des pratiques,
la rédaction du nouveau Code de la commande publique devrait y concourir. En
effet, ce sont bel et bien les contours d’une commande publique performante qui
y sont dessinés (I), et ce dans un but évident : une gestion optimisée des
deniers publics (II).
Une commande
publique performante…
Le développement de la technique
de « sourcing » chez
les acheteurs publics
Un achat
performant est, avant toute chose, un achat pensé en amont, réfléchi et
déterminé.
À cet effet,
l’acheteur doit apporter une attention toute particulière à la définition de
son besoin. Cet exercice parfois complexe sera néanmoins le gage d’une demande
comprise par les entreprises consultées, à laquelle elles seront davantage en
capacité d’apporter une réponse adaptée. Aux termes de l’article 4 du décret
2016-306 relatif aux marchés publics, et « afin de préparer la
passation d’un marché public, l’acheteur peut effectuer des consultations ou
réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs
économiques de son projet et de ses exigences ». Cet
article valide une pratique bien connue des acheteurs privés : le «
sourcing » ou « sourçage », qui peinait
à se mettre en œuvre au sein des administrations publiques. Si cette technique
n’a pas été découverte en 2016, il n’empêche que sa mise en œuvre dans la
commande publique et sa maîtrise par les acheteurs publics restaient timides.
Cette technique
consiste à se renseigner en amont sur un besoin, ses caractéristiques
techniques, ou encore son coût. Par suite, il est alors plus simple de rédiger
les pièces de marché et les critères de sélection des offres, puisque
l’acheteur a un besoin qu’il a pu identifier et déterminer : la pratique du « sourcing
»
concourt à une meilleure visibilité de l’achat. Partant, la qualité des offres
s’en trouvera également améliorée, tant sur le plan technique que financier ;
il est bien plus simple pour une entreprise de répondre à un marché public
quand le besoin est clairement déterminé.
Des limites au « sourcing », propres à la commande
publique
Seule limite au développement de cette pratique, le
respect des règles de la commande publique et plus particulièrement de
l’égalité de traitement entre les candidats. L’acheteur public doit veiller à
ce que les entreprises consultées en amont de tout lancement de procédure ne
soient pas pour autant avantagées dans le cadre d’une procédure de mise en
concurrence ou ne disposent pas d’informations dont les autres candidats ne
disposeraient pas et qui leur procureraient un avantage. Il est alors rappelé
que donner ou tenter de donner un avantage injustifié à un candidat, constitue
un délit de favoritisme, pénalement sanctionné par l’article 432-14?du Code pénal, prévoyant
une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros. Et c’est là toute la spécificité et la complexité du droit de la
commande publique : s’imprégner des techniques d’achat performantes de la
sphère privée tout en respectant ce carcan législatif et réglementaire qu’est
le Code de la commande publique.
…pour une
gestion optimisée des deniers publics
Le nouveau droit de la commande publique, codifié
dans le Code de la commande publique, initié par l’ordonnance du
23 juillet 2015 et le
décret du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, eux-mêmes issus de l’impulsion du droit
européen en la matière, confère davantage de latitude aux acheteurs publics
concourant ainsi à des achats
plus performants.
Si, comme il a été vu ci-dessus, de nouvelles clés
ont été données aux acheteurs pour mieux définir leurs besoins, d’autres clés
leur sont données en cours de procédure d’attribution des marchés publics. Le
développement du recours aux techniques de négociation en est une. La
négociation intégrée et développée dans le droit de la commande publique
permet, avant l’attribution du marché public ou du contrat de concession, de
faire évoluer les offres du candidat, sur le plan technique et/ou financier.
Car les négociations, souvent perçues comme des
opérations menées afin d’obtenir un rabais sur les prix proposés, ont en
réalité une utilité bien plus large. Bien utilisée, la négociation est un outil
indispensable pour l’acheteur, tant sur le plan financier que technique :
une négociation réussie n’est pas nécessairement synonyme de réduction. Il
s’agirait d’une vision bien restrictive du pouvoir de la négociation qui devra
toujours, pour être réussie, être gagnante/gagnante pour chacune des parties.
Faire évoluer une offre a également un intérêt sur le plan technique et peut se
solder par une amélioration qualitative de l’offre initialement proposée. Un
écueil à éviter néanmoins : cette phase de négociation ne doit pas
conduire à la modification des offres de manière tellement importante que
l’offre négociée s’apparenterait, en réalité, à une nouvelle offre. En d’autres
termes, négocier une offre c’est la faire évoluer, mais ne pas la bouleverser.
Il faut également garder à l’esprit que cet outil ne
saurait être utilisé, quel que soit le contrat concerné. En matière de contrats
de concession (et de délégations de service public), le droit applicable et la
pratique de cet instrument contractuel témoignent depuis de nombreuses années
de l’importance de la place des négociations. La logique était toute autre en
matière de marchés publics puisque les administrations n’y recouraient que de
manière exceptionnelle, la négociation étant souvent méconnue ou assimilée à du
marchandage.
Comme nous l’avons évoqué auparavant, une telle
vision est bien éloignée de la réalité. Et pour aider les mentalités à évoluer
et encourager à la pratique des négociations, le nouveau droit de la commande
publique multiplie les possibilités de recours à cette technique tout droit
venue du monde de l’entreprise. En matière de marchés publics, la négociation
est autorisée dans les marchés à procédure adaptée, c’est-à-dire dans les
marchés dont le montant (hors taxe et périodes de reconductions comprises) est
inférieur au seuil des marchés publics européens. Le nouveau droit de la
commande publique n’apporte rien sur ce plan puisque c’était déjà le cas
auparavant.
Mais ce ne sont pas les seuls marchés qui peuvent être
négociés, et c’est alors qu’émergent les apports du nouveau droit de la
commande publique. En effet, et aux côtés des procédures adaptées, nous pouvons
citer les marchés lancés selon une procédure concurrentielle avec négociation,
prévus par l’article 25 du décret du 25 mars 2016, et qui peuvent être mis en
œuvre dans quatre cas distincts : « (…)
lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions
immédiatement disponibles, lorsque le besoin consiste en une solution
innovante, lorsque le marché public comporte des prestations de conception,
lorsque le marché public ne peut être attribué sans négociation préalable du
fait de circonstances particulières liées à sa nature, sa complexité ou au
montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y attachent
». Une troisième procédure prévoit le recours aux négociations : les marchés
publics négociés, mais sans publicité ni mise en concurrence préalables, dans
des cas strictement définis, notamment en cas d’urgence impérieuse ou en cas de
relance d’une procédure infructueuse (aucune offre remise).
Il est alors bien évident que si les cas de recours aux
négociations ont été renforcés, c’est parce qu’elles permettent une meilleure
gestion des deniers publics. Que la négociation soit financière ou technique,
elle permettra une dépense publique davantage justifiée. Elles représentent un
véritable levier de la commande publique en ce qu’elles participent à
l’amélioration du rapport qualité/prix des offres. Cet outil ne doit donc pas
être négligé par les acheteurs publics, qui tendent de plus en plus à la mettre
en œuvre. En conclusion, la fonction achat des
administrations se professionnalise, pour le plus grand bonheur des entreprises
qui se trouvent face à des interlocuteurs avec lesquels elles partagent
désormais certains vocables et techniques d’achats, et qui maîtrisent davantage
les problématiques économiques et la réalité du marché. Malgré tout, la
pratique doit encore s’intensifier, mais également s’accompagner d’une évolution
des mentalités et des pratiques internes à l’administration. La locomotive est bien lancée, mais le trajet est encore long.
NOTE :
*-
Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février
2014 sur la
passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.
-
Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de
marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des
transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.
-
Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur
l’attribution de contrats de concession.
Madeleine Babès,
Avocate à la Cour,
Cabinet Huglo Lepage Avocat