DROIT

Dix ans après leur instauration, les actions de groupe à la recherche d’un second souffle

Dix ans après leur instauration, les actions de groupe à la recherche d’un second souffle
Publié le 17/05/2024 à 16:48

Promulguée en 2014, la loi introduisant les actions de groupe n’a pas eu les effets escomptés. Une proposition de loi en cours d’examen vise à démocratiser une pratique pour l’heure extrêmement confidentielle. L’Institut de guerre économique et juridique a adressé des propositions aux parlementaires, alors que le texte a subi des modifications profondes au Sénat.

Bientôt un système d’actions de groupe enfin utile en France ? Cette procédure judiciaire introduite par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation est censée permettre aux victimes d’un même préjudice causé par un professionnel de se regrouper et d’agir en justice.

Mais 10 ans après son entrée en vigueur, force est de constater que son utilité reste à prouver. D’après un rapport de février 2023 rédigé par deux députés au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, seules 32 actions de groupe ont été intentées depuis 2014. Parmi elles, seules six ont obtenu un résultat positif : trois à la suite d’une déclaration de responsabilité du défendeur, et trois à la suite d’un accord amiable. « Un si faible taux de réussite nous oblige à parler d’échec », affirmait le député membre de la commission Timothée Houssin le 15 février 2023.

En cause notamment, les nombreuses limitations de la loi. Seule une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée par décret peut agir par une action de groupe, et une toute petite partie des préjudices peuvent être concernés : d’abord limitées au domaine de la consommation, les actions de groupe ont pu être utilisées dès 2016 pour des litiges en matière de santé, d’environnement, de protection des données personnelles et de discriminations au travail, et dès 2018 pour des litiges liés à la location d’un logement.

Mais pour chaque domaine, ce sont des règles différentes qui s’appliquent au cas par cas pour déterminer la procédure qui pourra être utilisée ou non (qualité pour agir, finalité de l’action, champ du préjudice indemnisable, modalités de la réparation).

Mais la loi limite pour le moment la réparation aux seuls « préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs ». Cela entraîne de nombreuses limitations, une action de groupe ne pouvant pas être lancée dans le cadre d’atteintes physiques, ni en cas de préjudice moral par exemple.

Un texte pour « simplifier l’accès à la procédure d’action de groupe »

Dans ce contexte, une proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe a été déposée à l’Assemblée nationale fin 2022. Dans l’exposé des motifs, les deux députés à l’origine du texte ont notamment expliqué souhaiter « simplifier l’accès à la procédure d’action de groupe, assurer une meilleure indemnisation des victimes et réduire les délais de jugement ».

Dans sa première version avant examen, le texte instaure notamment comme objet même de l’action de groupe la réparation de l’intégralité du préjudice, et cela « quelle qu’en soit leur nature ». Un cadre commun à toutes les actions de groupe est également déterminé, et l’intégralité des procédures suivies devant les juridictions de l’ordre judiciaire, figurant jusque-là dans différents textes, sont regroupées dans un même nouveau titre du Code civil.

La proposition de loi rend par ailleurs possible pour des associations non agréées, pour peu qu’elles soient « régulièrement déclarées depuis deux ans au moins et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte », d’agir en action de groupe, tout comme les associations non agréées agissant pour le compte d’au moins 50 personnes physiques, 10 personnes morales ou 5 collectivités territoriales se disant victimes de dommages compatibles avec l’action de groupe. Le ministère public peut également « exercer, en qualité de partie principale », l’action de groupe. Il peut également intervenir en tant que partie jointe à une action initiée par les associations ou les syndicats.

La mise en demeure des entreprises mises en cause, actuellement obligatoire, serait supprimée, et un juge pourra décider de la prise en charge par l’état des frais d’instructions normalement dus par la partie requérante.

La réforme met aussi en place des juridictions spécialisées en matière d’actions de groupe. Une disposition dont se félicite Magali Buttard, responsable du service juridique de l’association UFC-Que choisir : « Ces juridictions auront, de fait, une certaine expertise, et permettront, nous l’espérons, un traitement plus rapide de ce type de contentieux. »

Des changements au Sénat pas du goût des associations de consommateurs

Mais les sénateurs ont grandement revu le texte, mettant à mal certaines dispositions. Des modifications qui déplaisent à l’UFC-Que choisir. « Le mot est faible », ironise Magali Buttard, déçue de la version proposée par la chambre haute, alors que la première version « allait dans le bon sens, compte tenu notamment du bilan particulièrement décevant du régime de l’action de groupe tel que mis en place à l’origine par la loi Hamon de 2014 ».

L’avocate au barreau de Paris regrette notamment le vote d’un amendement précisant que seuls les faits postérieurs au vote de la loi seraient concernés. « Cela reviendrait à repousser l’entrée en vigueur de cette réforme aux calendes grecques, dénonce la responsable du service juridique d’UFC-Que choisir. L’amendement aboutirait au report de plusieurs années la possible application de ce nouveau régime, pourtant très attendu, de l’action de groupe. »

Une disposition « contradictoire et insatisfaisante », selon Magali Buttard, qui rappelle que « l’un des objectifs de cette réforme est précisément d’instaurer une action de groupe plus efficace et plus largement ouverte, ce afin de faciliter son développement dans le panorama des contentieux consuméristes ». L’avocate assure qu’un tel amendement priverait d’action de groupe les consommateurs victimes d’un acte à caractère sériel qui ne relève pas du champ d’application de l’actuelle action de groupe. L’UFC-Que choisir plaide pour un retour à la version adoptée par l’Assemblée nationale.

Avis similaire du côté de l’Observatoire des actions de groupe qui, dans un article sur son site internet, dénonce un texte « très en deçà des attentes de la doctrine et des praticiens, compte tenu de sa proximité avec le régime actuel ». Dans sa nouvelle rédaction, la proposition de loi limite le contentieux de la santé et du travail à leur champ d’application actuel, c’est-à-dire les produits de santé et les discriminations. Le Sénat revient également sur l’ouverture du droit à recourir aux actions de groupe, la limitant de nouveau aux seules associations agréées.

L’observatoire, qui surnomme l’action de groupe à la française actuellement en place comme une « cousine réfractaire de la class action », assure que la version sénatoriale, si elle était adoptée sous cette forme, « constituerait une régression dans la recherche d’effectivité des droits substantiels et d’efficience des procédures en justice ».

L’IGEJ plaide pour une interruption de la prescription durant l’action de groupe

Également mécontent, l’Institut de guerre économique et juridique (IGEJ), association regroupant des professionnels du droit et du chiffre, a redouté dans un communiqué « un nouveau rendez-vous manqué avec l’ambition de la réforme » et a proposé aux parlementaires une « réforme plus courageuse », afin d’augmenter l’attractivité d’une telle démarche, dont la réforme est jugée « cruciale non seulement pour l’effectivité du droit, mais encore pour la défense de la souveraineté économique ».

L’association souhaite « élargir les entités ayant qualité pour porter une action de groupe », en ne la limitant plus seulement aux seules associations de consommateurs agréées. Elle milite également pour la possibilité qu’une action de groupe soit portée au profit des consommateurs, mais aussi des professionnels.

L’IGEJ veut également empêcher le plus possible la survenue de la prescription. Le texte initial prévoit la suspension de la prescription des actions individuelles pendant toute la durée de l’action de groupe, et la reprise du délai de prescription après la fin du jugement pour une durée de six mois au minimum. Estimant que la mesure n’est « pas à la hauteur des enjeux », l’institut prône une interruption pure et simple de ce délai, qui repartirait de zéro une fois l’action collective terminée. « Ainsi, à l’issue de l’action collective ayant échoué, le justiciable bénéficierait d’un nouveau délai pour agir, soit généralement cinq années », explique l’IGEJ.

Aussi, l’association propose d’aligner ce délai de prescription pour les personnes victimes des mêmes faits mais n’ayant pas participé à l’action de groupe : « Les victimes d’un même comportement ne sont-elles finalement placées dans une position similaire qui justifierait que l’interruption de la prescription vaille pour toutes ? », se demande l’IGEJ, justifiant cette demande par le fait qu’une directive européenne de 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs prévoit que le lancement d’une action représentative devrait « avoir pour effet de suspendre ou d’interrompre les délais de prescription applicables à l’égard des consommateurs concernés par cette action représentative », sans faire de distinction entre les consommateurs qui participent à l’action et ceux qui n’y participent pas.

Dans sa liste de doléances, l’Institut de guerre économique et juridique plaide par ailleurs pour une refonte des sanctions prévues. L’IGEJ demande la possibilité d’un versement de dommages et intérêts punitifs aux plaignants, en prenant exemple sur les États-Unis, où « le financement du procès trouve son équilibre dans le montant, parfois important, des treble damages prononcés par les juridictions ».

Les députés entendront-ils toutes ces demandes ? La proposition de loi réformant le régime juridique des actions de groupe devrait être examinée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale prochainement.

Alexis Duvauchelle

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