L’exigence croissante de sécurité
sur les pistes et à proximité de celles-ci se heurte à un certain nombre de
réalités sur le terrain. Tout d’abord, l’espace montagne n’est pas comparable à
un parc d’attraction, dans lequel il faudrait combler chaque ravin, poser des
filets sur poteaux fixes pour éviter toute sortie de piste malencontreuse.
Ensuite, les conditions climatiques aléatoires ne permettent pas de gérer un
domaine skiable comme s’il s’agissait d’un « Ski Dôme » fermé, à température
constante, et sans le moindre bouleversement au cours d’une journée, sans le
moindre risque de chutes de neige ou de formation de plaques de glace. C’est
dès lors avec pragmatisme que les juridictions sont amenées à statuer sur ces
questions de sécurité sur pistes et à proximité de celles-ci.
L'entretien des pistes
Un morceau de piquets sur une
piste justifie-t-il la mise en cause du service des pistes ? Une skieuse se
plaint d’une chute à ski provenant d’un morceau de bois couché dans la neige,
ressemblant à un piquet cassé. Le tribunal de grande instance de Nanterre,
saisi en raison du siège social de la compagnie d’assurances de l’exploitant
sur son ressort, rappelle que l’obligation de sécurité de ce dernier est une
obligation de moyens, nécessitant la démonstration d’une faute « en ne mettant pas à la disposition des
skieurs des installations adaptées sécurisées ». S’agit-il d’un danger
anormal ?
Certes, a priori, la réponse est
positive, mais l’analyse doit être un peu plus précise car l’obstacle n’est pas
un morceau de piquet enfoui dans la neige, mais un élément posé à la surface de
la neige, dans un espace offrant une bonne visibilité. Dès lors, au vu des
pièces du dossier, la responsabilité de l’exploitant est écartée.
Tribunal de grande instance de Nanterre, 7
septembre 2018
Madame Brouzes, présidente Madame
Champ, vice-présidente
Madame Lefaix, vice-présidente
« … Le tribunal relève que contrairement à ce que soutient la
demanderesse, ses amis ne font pas mention d’un piquet enfoui sous la neige ou
dépassant d’une manière dangereuse, et décrivent un morceau de piquet allongé
sur la piste, donc posé à la surface de la neige. En outre, si ces témoignages
soulignent que ce piquet n’était pas visible pour les skieurs descendant les
bosses à proximité, la demanderesse expose dans ses conclusions qu’elle
longeait à petite vitesse les bosses sur le côté du Snow Park. Ses déclarations
sont appuyées par la production d’une photographie des lieux marquée du tracé
de son déplacement, établissant qu’elle ne skiait pas sur les bosses mais se
trouvait sur une zone plane, laquelle offrait aux skieurs une bonne visibilité
sur leur parcours en ligne droite. Dès lors, si la présence d’un morceau de
piquet sur les pistes doit être jugée anormale, il convient de souligner que
cet objet est visible pour les skieurs empruntant avec une vigilance normale la
partie plane longeant la piste bosselée, et pouvait être évité, a fortiori par
une skieuse expérimentée comme la demanderesse. Il en résulte que la faute
d’inattention de la demanderesse est à l’origine de sa chute et exonère
l’exploitant de sa responsabilité. »
Le même point de vue a été adopté
par le tribunal de grande instance d’Albertville dans un jugement du 3 mai
2019. Un moniteur de ski expose qu’il a fait une chute sur une piste bleue en
raison d’un amas de neige produit par un enneigeur (ou canon à neige).
L’enquête pénale diligentée relève que la bosse litigieuse se trouve sur le
tiers gauche de la piste qui, à cet endroit, mesure 30 mètres de large,
insistant sur la faible importance et la visibilité de cet amas de neige. Le
manquement à l’obligation de sécurité de moyens du service des pistes n’a pas
été retenu, dès lors que cette bosse ne présentait pas un caractère anormal.
Tribunal de grande instance d’Albertville, 3
mai 2019
Madame Bourachot, présidente
Madame Pourtier, greffière
« Au regard des éléments du dossier, il convient de retenir que la
visibilité était bonne. Seul un témoin déclare que c’était crépusculaire alors
qu’il était environ 9 heures et que les conditions météorologiques étaient
bonnes, que les déclarations de la victime et du second témoin et l’ensemble
des constatations démontrent une excellente visibilité. Par ailleurs, les
photographies des lieux mettent en évidence le fait que l’accident est survenu
en bas de piste, peu avant l’arrivée sur le front de neige alors que des filets
signalaient la nécessité de ralentir, que la disposition et l’importance de la
bosse telles que décrites par la victime et les témoins ne sont pas confirmées
par les photographies et les constatations des gendarmes, que d’ailleurs les
autres membres du groupe n’ont pas chuté. De plus, les deux témoins évoquent la
présence d’autres bosses en amont, ce qui aurait dû inciter le skieur
expérimenté à ralentir, d’autant qu’il évoluait sur une piste ouverte aux
débutants. La seule gravité des blessures et la survenance de l’accident ne
sont pas de nature à démontrer que la bosse était de dimension anormale alors
que le moniteur reconnaît lui-même qu’il skiait avec rapidité. En conséquence,
le moniteur ne démontre pas que la bosse sur laquelle il a chuté présentait un
caractère anormal qui aurait nécessité un balisage particulier alors qu’il est
courant de rencontrer sur des pistes de ski des ruptures de pente et des bosses
en particulier aux abords des canons à neige. Il sera en conséquence débouté de
l’ensemble de ses demandes. »
Le balisage des pistes et les éléments de protection
Faute de définition précise de la
notion « abord » ou de « proximité » des pistes, par une distance précise par
rapport à l’implantation des jalons de délimitation par exemple, chaque
accident porté devant les juridictions nécessite une analyse factuelle précise.
Les banderoles invitant les skieurs à ralentir en amont d’une zone sont prises
en compte, car le comportement individuel doit s’adapter au regard de cet
avertissement.
À cet égard, les magistrats
rappellent que « la seule survenance d’un accident particulièrement grave ne
peut servir à fonder l’anormalité du danger ». Skiant sur une piste bleue, en
compagnie de son jeune neveu, une victime quitte la piste, chutant en contrebas
de celle-ci sur une vingtaine de mètres, et se blesse gravement.
La juridiction rappelle que le
skieur a un rôle actif par le choix des pistes sur lesquelles il décide de
pratiquer, par sa vitesse et la maîtrise de sa trajectoire. C’est précisément
ce rôle actif qui justifie l’existence d’une obligation de sécurité de moyens
(et non de résultat) à la charge de l’exploitant au visa de l’article 1231-1 du
Code civil. Puis, les éléments factuels sont repris méticuleusement pour
retenir que le lieu de l’accident n’apparaît pas comme une zone présentant un
danger anormal ou excessif, et ce d’autant plus qu’en amont de cette zone, des
banderoles de 2 mètres de long sur 50 centimètres de haut, de couleur orange
fluo, portent l’inscription « ralentir » en quatre langues et le logo « danger
». Dès lors, la demande d’indemnisation a été écartée.
Tribunal de grande instance de Nanterre
23 mai 2019 Madame Gwenaël
Cougard, présidente
Madame Sylvie Lefaix,
vice-présidente
Madame Sylvie Khalil, juge
« La seule survenance d’un accident particulièrement grave tel que celui
dont a été victime Monsieur A ne peut servir à fonder l’anormalité du danger.
S’il reproche à l’exploitant de n’avoir pas pris les précautions nécessaires
pour éviter une telle chute en implantant des filets, il ne justifie pas que la
configuration des lieux dans les conditions existant au jour de son accident
ait nécessité des mesures spécifiques de protection supplémentaire. En effet,
cette zone ne présentait pas un danger manifestement excessif contre lequel le
skieur ne peut se prémunir, ou à même de le surprendre à cet endroit de la
piste, sans difficulté technique particulière s’il était tenu compte de
l’avertissement délivré plus haut et s’il adaptait sa pratique et sa vitesse à
la difficulté présentée par la neige, en particulier si celle-ci était
verglacée comme les deux skieurs l’ont évoqué. S’il ne peut être discuté que
cette pente présentait un danger, les skieurs avaient été mis en garde et
invités à réduire leur vitesse. Le ski est une activité présentant un risque,
que les pratiquants acceptent et qui les oblige à adapter leur comportement à
leur niveau, aux difficultés présentées par la piste, aux conditions
d’enneigement et aux données climatiques. De surcroît, le caractère facile de
la piste et sa classification comme piste bleue ne sont pas critiquées par
Monsieur A, qui n’a pas évoqué une difficulté pour lui à emprunter cette piste,
qu’il n’aurait pas su surmonter en raison d’un niveau insuffisant. Sinon la
vitesse et une faute technique, rien ne permet d’expliquer ce pourquoi Monsieur
A a quitté involontairement la piste. Aucun manquement à son obligation
contractuelle de sécurité de moyen n’est établi à l’encontre de l’exploitant.
En conséquence les demandes de Monsieur A sont rejetées. »
En revanche, en présence d’un
risque manifeste, la responsabilité de l’exploitant des pistes peut être
partiellement retenue. En l’espèce, une commune a fait le choix de procéder à
une gestion directe du réseau des pistes, c’est-à-dire sans recouvrir à la mise
en place d’une régie, et sans déléguer cette mission de service public à une
société mixte ou à une société de droit privé. Les ayants droit d’une victime
décédée considèrent que la piste rouge, lieu de l’accident, était
insuffisamment jalonnée, notamment à l’intersection où la chute mortelle s’est
produite.
Au visa de l’article 1231-1 du
Code civil, la preuve de cette faute dans l’aménagement de la piste à sa
jonction avec un autre parcours est analysée par la cour d’appel de Chambéry.
Pour les magistrats du second degré, l’étendue de l’obligation de moyen
s’apprécie en fonction des facteurs de danger prévisible, de la configuration
naturelle des lieux et au regard des aménagements réalisés. L’occasion
également de souligner que les usagers doivent être informés des aménagements
spécifiques réalisés, de leur niveau de difficulté, et « prévenus et protégés des dangers particuliers anormaux et excessifs ».
En l’espèce, cette information est apparue insuffisante au regard des
procès-verbaux établis par l’officier de police judiciaire spécialisée dans les
accidents de montagne. Pour autant, il est apparu que la vitesse de progression
de la victime était élevée et peu compatible avec les conditions météorologiques
de faible visibilité. Ce sont ces éléments qui ont conduit les magistrats
chambériens à confirmer un partage de responsabilité à hauteur de 70 % pour la
commune et 30 % pour la victime.
Cour d’appel de Chambéry, 6 juin 2019
Monsieur Madinier,
conseiller-président
Monsieur Le Bideau, président de
chambre
Monsieur Therolle, conseiller
« Dès lors, au regard du danger particulier que représentait l’existence
de la dépression précitée, l’endroit où la victime a quitté la piste présentait
une sensibilité majeure qui aurait dû conduire la commune, compte tenu de la
fréquentation du domaine, de l’aléa que représente la météo en montagne, à
prévenir, au moyen d’un balisage significatif ou d’un filet de protection, un
risque manifeste en cas de visibilité limitée conformément à l’article 7 de
l’arrêté municipal du 31 décembre 2012 relatif à la sécurité sur les pistes de
ski alpin. Aussi, en omettant de mettre en place un dispositif de protection
adéquat ou, à tout le moins, en négligeant de procéder à une signalisation
spécifique, alors même que ce risque était identifiable au regard des
trajectoires fréquemment empruntées par les skieurs, la commune engageait sa
responsabilité. Pour autant, comme le précise un témoin dans son audition, la
vitesse de progression de la victime était élevée et manifestement peu
compatible avec les conditions météorologiques précitées. C’est donc à bon
droit que le premier juge a retenu un partage de responsabilité à hauteur de 70
% pour la commune et de 30 % pour la victime. Le jugement entrepris sera donc
confirmé… »
Au-delà de l’information due à
l’usager, l’absence de dispositif de sécurité suffisant sur une piste bleue
peut avoir des conséquences dramatiques. Une petite fille de neuf ans emprunte
une piste signalée bleue, perd la maîtrise de sa vitesse et le contrôle de ses
skis : elle effectue un saut de 10 mètres lors de la rupture de pente, puis
elle vient percuter de face une barrière en bois non protégée, parallèle à la
piste. Cet accident mortel a conduit à une procédure pénale qui s’est déroulée
d’abord devant le tribunal correctionnel de Thonon (7 juillet 2015), puis
devant la cour d’appel de Chambéry (15 septembre 2016).
Ensuite, sur cassation (arrêt du
5 décembre 2017), et renvoi devant la cour d’appel de Grenoble qui a statué le
18 mars 2019. Deux questions juridiques ont été tranchées par les magistrats
grenoblois statuant en matière pénale. Tout d’abord, s’agissant de poursuites à
l’encontre d’une personne morale, il convenait de respecter les dispositions de
l’article 121-2 du Code pénal, c’est-à-dire identifier clairement si un
représentant de la société exploitante était ou non à l’origine d’une faute
éventuelle. Le chef des pistes, même s’il ne dispose d’aucune délégation
écrite, est considéré comme un organe représentant la personne morale : il
dispose des compétences, de l’autonomie et de l’autorité dans l’exercice de ses
attributions liées, notamment, à l’installation des mesures de sécurité et de
protection des pistes.
Ensuite, s’est imposée l’analyse
de l’existence d’une faute, « simple » sur le plan pénal s’agissant d’une
personne morale (Carnet Juridique du Ski, n° 5.08,5.26,5.27), et la Cour ne
s’est pas privée d’indiquer que la responsabilité du maire « aurait pu être
envisagée, dès lors que la commission de sécurité des pistes intervenue peu
avant l’accident, a validé un dispositif insuffisant ». Pour la cour d’appel de
Grenoble , l’exploitant du domaine skiable, tenu d’une obligation de sécurité à
l’égard de ses clients, a commis une faute de négligence en n’adaptant pas les
dispositifs de sécurité aux usagers de la piste nécessairement débutants et à
leur niveau de ski.
Cour d’appel de Grenoble, 18 mars 2019
Monsieur Jacob, président
Madame Philippe, conseillère
Madame Riffard, conseillère
« À l’évidence, au moins dans sa partie supérieure, la piste sur
laquelle l’accident a pris naissance n’était pas une piste facile,
puisqu’étroite, d’abord bordée d’arbres, puis croisant une autre piste. Il
appartenait donc à l’exploitant de prendre toutes les mesures nécessaires,
d’information, mais surtout de protection, pour éviter qu’un skieur ayant perdu
le contrôle de ses skis et de sa vitesse quitte la piste et se trouve projeté
sur un obstacle, comme le prescrit la norme rappelée, la zone présentant un
danger de caractère anormal ou excessif, eu égard au faible niveau possible des
skieurs, en installant par exemple des filets semblables à ceux qui se
trouvaient en amont du lieu de l’accident sur la piste bleue venant en
diagonale. En ne prenant aucune mesure de cette nature, une faute de négligence
a été commise qui est directement à l’origine de l’accident survenu à la jeune
victime. (…) S’agissant du responsable de la sécurité du domaine skiable,
fonction exercée par Monsieur P, salarié de l’exploitant, il résulte de la
description de son poste de travail intitulé, “chef des pistes” que celui-ci
avait un niveau de hiérarchie de direction étant le garant de la sécurité, de
l’enneigement de l’entretien du manteau neigeux sur le domaine skiable. Bien
que n’étant titulaire d’aucune délégation écrite de responsabilité de la part
de son employeur, il disposait des compétences, de l’autonomie et de l’autorité
dans l’exercice de ses attributions liées à l’organisation des pistes, à la
mise en œuvre des mesures de protection des usagers et de sécurité du domaine
skiable, notamment l’installation des mesures de protection des pistes. À ce
titre, il était un organe ou un représentant de la société, engageant celle-ci
par ses actions fautives. L’exploitant, personne morale, sera en conséquence
reconnu coupable du délit qui lui est reproché et le jugement confirmé sur ce
point. »