Chacun peut comprendre que
l’économie circulaire permet de réutiliser la matière première et de ne pas
transformer en déchet ce qui peut être un produit. Mais l’impact considérable
que l’économie circulaire a sur le climat est beaucoup moins connu.
Économie
circulaire et réutilisation de la matière première
L’économie
linéaire qui est la nôtre, à savoir « extraire-produire-jeter », constitue
par définition un système considérablement producteur de carbone et ce, à tous
les stades de la vie des produits. En effet, extraire la matière première ne
peut se faire sans une utilisation massive de l’énergie, charbon ou fioul et
par voie de conséquence, sans émission massive de GES. La production, par
définition, fonctionne avec des systèmes plus ou moins énergivores, parfois
électriques, mais qui renvoient alors aux modes de production d’électricité.
Enfin, le traitement de déchets, qu’il s’agisse des incinérateurs ou des
décharges, sont pour les uns, consommateurs d’une grosse puissance énergétique,
pour les autres, émetteurs de biogaz. Le passage à une économie circulaire
permet d’économiser considérablement, puisque la phase 1 disparaît en
totalité, et la phase 3, très largement.
Il n’est
donc pas surprenant que la Commission sur l’économie et le climat de l’ONU,
dans un rapport publié en septembre 20181, propose, parmi les
principales mesures à prendre, une économie industrielle circulaire. Cette
Commission écrit : « entre 1970 à 2010, l’extraction mondiale
annuelle de matières premières est passée de près de 22 à 70 milliards de
tonnes chaque année ; au moins 8 millions de tonnes de plastique
s’échappent dans l’océan… Ce défi cependant n’est pas seulement une question
sociale ou environnementale, c’est aussi une question économique. Aujourd’hui
95 % de la valeur des matériaux d’emballage en plastique (jusqu’à
120 milliards de dollars US par an) est perdue après première utilisation. »
Du reste,
en France, les émissions de CO2 par habitant, selon l’approche de
consommation n’ont pas diminué depuis 19902. Une étude réalisée par
Eunomia pour Zéro Waste met en lumière les économies de CO2 à
réaliser en matière de gestion de déchets par la prévention et le recyclage.
Une étude britannique3 estime à 200 Mt CO2 le
potentiel d’économies grâce à une politique plus volontariste d’économie
circulaire permettant de respecter le budget carbone fixé.
Ainsi, le
coût carbone rejoint le coût financier lui-même : « Des politiques
qui encouragent une utilisation circulaire et plus efficace des matériaux
pourraient renforcer l’activité économique mondiale et réduire les déchets et
la pollution. Le passage à une économie circulaire combinée à une efficacité
accrue et à l’électrification, pourrait décupler la croissance économique de
l’utilisation des matériauxet conduire à la décarbonisation des activités
industrielles. La transition vers cette voie de croissance durable et à faible
émission de carbone pourrait générer un gain économique direct de 26 billions
de dollars américain d’ici 2030 par rapport au maintien du statu quo4 ».Ce
constat est partagé par de nombreux pays. Ainsi, la Chine a été le premier pays
au monde à adopter, dès 2008, une loi sur l’économie circulaire. Celle-ci fixe
des principes généraux, mais plusieurs textes d’application sont sortis :
en 2010, sur le financement de l’économie circulaire avec une tarification
spécifique de l’eau réutilisée, sur les parcs industriels considérés comme des
mines urbaines, sur des fonds d’investissement spécifiques. Puis, en 2013, une
généralisation est intervenue avec une stratégie autour de huit axes, et
la mise en place d’indicateurs autour des taux de production, de consommation
et de réintégration des ressources ainsi que de traitement des déchets et
polluants. Dans l’Ontario, une loi a été votée en 2016 instaurant une économie
circulaire fondée sur un objectif Ontario zéro déchet et zéro CO2 provenant
des déchets. En France, enfin, l’objectif fixé pour respecter notre budget
carbone passe par une accélération du modèle de l’économie circulaire. Ainsi,
le rapport de l’IEC déjà cité évalue à 34 % l’économie susceptible d’être
réalisée en GES par rapport à un modèle d’économie linéaire.
Économie
circulaire et lutte contre le changement climatique
Cependant
l’intérêt de l’économie circulaire dans la lutte contre le dérèglement
climatique et l’adaptation aux changements climatiques est bien plus
considérable. Ainsi, un rapport du Club de Rome réalisé avec l’Institut de
l’économie circulaire et publié en 2015 évalue à 66 % la réduction des
émissions de gaz à effet de serre en cumulant un scénario énergies
renouvelables (division par de la consommation de combustibles fossiles), un
scénario énergétique (une amélioration de 25 % de l’efficacité
énergétique par rapport à 2010) et un scénario efficacité matière qui comporte
une amélioration de 25 % de l’efficacité matière, le remplacement de
50 % des matières vierges utilisées par des matières recyclées, et un
doublement de la durée de vie des biens durables. Ce scénario permet en outre
de créer plus de 500 000 emplois additionnels et d’améliorer la
balance commerciale de plus de 2,5 % de PIB.
Tout en
réduisant les déchets à leur plus simple expression, puisque l’objectif est
qu’ils deviennent une matière première secondaire. L’économie circulaire
présente un double intérêt économique : économie de matières premières et
économie d’énergie. Ainsi, le rapport réalisé par Fédérec5 donne quelques chiffres intéressants. En
2014, les filières de recyclage ont permis d’éviter 22,5 millions de
tonnes CO2 (près
de 5 % des émissions totales du territoire français). Le recyclage d’une
tonne de ferraille permet d’éviter l’équivalent de 57 % des émissions de
CO2 nécessaires
à la production d’une tonne d’acier primaire ; cela monte à 94 % pour
l’aluminium et 99 % pour le recyclage des textiles.
Ce sont
donc de nouvelles filières créatrices d’emplois qui se mettent en place, les
investissements dans ces secteurs pouvant être financés par une taxe carbone.
C’est donc
toute la transition économique, écologique et énergétique qui se trouve rendue
possible par le passage à une économie circulaire, qui est également une
économie de fonctionnalité. Les marchés se font désormais sur les services
beaucoup plus que sur les produits, ce qui permet d’envisager de mettre un
terme à l’obsolescence programmée et de mettre l’accent sur les performances
environnementales et sanitaires des produits.
Comme le
propose Christian de Perthuis6, passer à l’économie circulaire
impose de considérer l’environnement non plus comme un stock mais comme un
ensemble de fonctions régulatrices nécessaires à la reproduction des
ressources. Trois types d’incitations peuvent être envisagés :
• tout d’abord, intégrer le coût de l’ensemble des dommages environnementaux
dans les prix via la fiscalité ou des systèmes de quotas favorisant les
services au détriment des produits ;
• s’orienter vers l’économie de fonctionnalité ;
• et enfin, développer massivement l’éco-design.
Il va de soi que ces
transformations ont des conséquences juridiques importantes, à commencer par la
nécessité d’adapter le droit aux besoins de l’économie circulaire et à la
liaison qu’il convient de faire entre droit climatique et droit de l’économie
circulaire. Ceci consiste, bien entendu, dans une réflexion sur la notion de
déchets et l’évolution actuelle de la législation, permettant effectivement de
sortir du statut de déchets les éléments qui redeviennent des produits. La
qualité et la non nocivité desdits produits sont essentielles et conduits à la
question de la responsabilité à l’égard de ces nouveaux produits.
Mais il faut
également évoquer la question essentielle des externalités7 qui
impose de favoriser les circuits de l’économie circulaire, les produits qui en
sont issus, la matière première secondaire. Cet encouragement se trouve tout
d’abord dans une fiscalité favorable, et dans un système de prix qui fasse que
la matière première originelle soit infiniment plus coûteuse que la matière
première secondaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une des raisons de
blocage de la filière tient précisément à des prix trop bas de la matière
première originelle. À cet égard, outre les réflexions sur la TVA, et en
particulier la TVA circulaire8, la fixation d’un prix du carbone
devrait avoir des effets extrêmement bénéfiques sur l’économie circulaire et
permettre ainsi la liaison entre les questions climatiques et ce nouveau modèle
économique qui est un véritable changement de paradigme.
Les modèles de comptabilité sont
à revoir9, dans la mesure où cet instrument est utilisé dans les
négociations internationales et ne permet pas de rendre compte des émissions
réelles de chaque pays. C’est la raison pour laquelle l’approche consommation
utilisée devrait être complétée par une approche territoire.
Les
sept piliers de l’économie circulaire appellent tous à des prolongements juridiques :
• tout d’abord,
l’approvisionnement, qu’il s’agisse de de l’extraction ou de l’exploitation des
achats durables, nécessite une modification des règles d’extraction
et d’exploitation (Code minier), mais
aussi les modes d’exploitations
agricoles et forestiers, de manière à permettre
la mise en place de nouveaux circuits. Ce premier volet appelle également une modification des
conditions des marchés publics, pour faire apparaître l’économie
circulaire et les modalités de cahier des charges des entreprises privées, pour valoriser les choix
en fonction du cycle de vie du produit, et, par voie de conséquence, son impact climatique ;
• l’écologie industrielle et territoriale (voir dans ce numéro
l’article consacré à ce sujet p. 8) ;
• l’encouragement fiscal et réglementaire de l’économie de fonctionnalité ;
• la possibilité de développer une consommation responsable grâce à un
étiquetage approprié ;
• une réglementation beaucoup plus ferme sur l’obsolescence programmée, un contrôle plus sérieux des publicités encourageant
les produits impactant le climat et contraires à l’économie circulaire ;
• un soutien beaucoup plus actif au recyclage et à la réutilisation.
Ainsi, une conception d’ensemble
cohérente et de la réglementation qu’elle soit communautaire ou nationale, est
indispensable pour que le rôle majeur de l’économie circulaire dans la
réorganisation de notre système économique dans la lutte contre le changement
climatique puisse pleinement jouer son rôle. Ce travail est devant nous.
1)
Rapport rédigé par une commission de 28 hauts responsables publics et
privés dont Lord Stern et intitulé « débloquer l’histoire de la
croissance inclusive au XXIe siècle : l’accélération de
l’action climatique en période d’urgence ».
2)
Voir rapport Institut de l’économie circulaire (IEC) et EY : l’économie
circulaire : une trajectoire clef dans la lutte contre le dérèglement
climatique.
3)
Centre for Industrial Energy, Materials ans products.
4)
Rapport commission économie du climat précité.
5)
FéDéREC et ADEME, Évaluation
environnementale du recyclage en France selon la méthodologie de l’analyse de
cycle de vie, mai 2017, 175 p.
6)
Chirstian de Perthius, Économie circulaire et transition écologique, Revue
Responsabilité & environnement n° 76, octobre 2014,
p. 23-27.
7)
Voir sur ce sujet Corinne Lepage : « Le coût social en droit
public », Thèse, Université Assas-Paris II, 1982.
8)
Voir à cet égard les travaux de la fondation 2019.
9)
Voir sur ce point notre article : biodiversité et comptabilités publiques
et privées, JSS n° 74, p. 16.
Corinne
Lepage,
CEO
Huglo Lepage Avocats,
Docteur
en droit,
Avocate
à la Cour