« Changeons
d’époque ! » telle est la devise –
si ce n’est la promesse – que formulent Carbon de Seze et Nathalie Dubois,
respectivement candidats, en binôme, au bâtonnat et vice-bâtonnat du barreau de
Paris 2020. Carbon de Seze est avocat pénaliste et civiliste du barreau de
Paris, ancien Secrétaire de la Conférence du stage et ancien membre du conseil
de l’Ordre ; Nathalie Dubois, également ancienne Secrétaire de la
Conférence, exerce à titre individuel et est spécialisée en contentieux du
Droit de la Presse. Quels projets pour le barreau de Paris ? Comment
imaginent-ils l’avenir de la profession ? Quelles mesures souhaitent-ils
mettre en place en faveur de la parité ? Réponses.
Quels sont
vos sentiments sur les réformes de la justice ?
Notre
sentiment est très mitigé, voire méfiant. Ces réformes ont pour titre et pour
philosophie « la simplification du droit ». Mais pour
qui est cette simplification ? Pour les OPJ, certainement. Pour les
magistrats, peut-être. Pour les avocats et donc pour leur clients, ces
justiciables qui sont nos concitoyens, certainement pas !
Les avocats
sont, comme trop souvent, la portion congrue ou les empêcheurs de juger en
vitesse ou à l’économie.
Il faut
saluer le travail considérable de nos confrères membres du Conseil national des
barreaux et membres du Conseil de l’Ordre de Paris, qui ont réussi à faire
quand même un peu bouger les choses. En matière civile par exemple, où les
textes ont pu évoluer grâce au travail de nos amis Carine Denoit-Benteux et
Emmanuel Raskin de la Commission Texte, Catherine Peulvé de la Commission Droit
et entreprise et, au barreau de Paris, de Hirbod Dehghani-Azar, membre du
Conseil de l’Ordre… Même si certains pourront encore regretter plus de
dématérialisation et plus de déjudiciarisation. En matière pénale en revanche,
malgré tous les efforts fournis, on doit regretter la perte de terrain du
contradictoire et des libertés publiques avec, par exemple, toujours plus
d’écoutes téléphoniques et toujours moins de contrôle aux mesures attentatoires
aux libertés individuelles. Il faut cependant saluer un sursaut de la part du
Sénat qui a adopté récemment, des amendements pour maintenir un certain niveau
de garantie pour les libertés publiques. Reste que le texte n’est pas encore
final tant qu’il n’est pas voté par le Parlement et que, surtout, nous n’avons
aucune idée de la teneur des décrets d’application
qui devront être pris.
Quelles seraient les priorités de votre mandat ?
Précisément, l’une des trois priorités de notre mandat
sera de mieux nous défendre. Il faut renforcer l’influence de notre barreau
auprès des pouvoirs publics, mais aussi et plus largement de toute la société
civile, pour mieux nous faire entendre, pour porter nos projets et nos idées.
Nous en avons tous assez que les avocats se fassent marcher sur les pieds quand
la profession ne se tire pas elle-même une balle dans le pied. Nos textes et
notre régulation professionnelle doivent pouvoir s’adapter au changement
d’époque que nous vivons et que nous voulons accompagner.
La deuxième priorité sera de mieux nous servir. Cela veut
dire qu’à la fois dans les services de l’Ordre mais aussi dans nos cabinets,
notre vie professionnelle doit être rendue plus facile et non pas plus
compliquée : avoir un accès pour tous à un outil numérique de gestion de
cabinet qui sera aussi un guichet unique pour accéder au RPVA, aux informations
et données dont nous avons besoin, simplifier, moderniser et digitaliser notre
formation continue pour la rendre moins coûteuse en argent, en temps, en
efforts…
Et puis notre troisième priorité sera de mieux protéger
l’avocat lorsqu’il ou elle est fragilisé-e, mieux lutter contre la
précarisation de notre profession, de notre exercice. Il faut arrêter de croire
qu’on ne peut pas parler d’argent : l’accompagnement des avocats qui ont
des difficultés financières ou l’aide au recouvrement des honoraires sont
aujourd’hui des sujets cruciaux que ce soit pour ceux qui en souffrent que pour
toute l’image de notre profession. C’est aussi, bien sûr, lutter sans
compromission ni passe-droit contre les discriminations, le harcèlement, et
tous les manquements petits ou grands qui viennent pourrir notre vie
professionnelle.
Comment compteriez-vous agir en faveur de la
parité ?
C’est un bon exemple des
inégalités contre lesquelles nous continuerons toujours de nous battre. Car
plutôt que de parler de parité et se focaliser sur des chiffres et
statistiques, ce qui nous importe est l’égalité professionnelle entre tous, ce
qui va au-delà du quantitatif pour s’attacher aussi à l’aspect qualitatif. Deux
sortes de mesures seront prises. Les premières sont des sanctions et viseront à
faire cesser au plus vite les comportements fautifs. À cet égard, notre procédure déontologique et disciplinaire peut être plus
efficace, l’Ordre s’est d’ailleurs donné des moyens de lutte efficace ces dernières
années, il faut continuer. Les deuxièmes mesures sont incitatives, car
l’égalité n’est pas un obstacle, c’est un avantage, et nous devons le voir
comme tel. Les champions de l’égalité professionnelle doivent être récompensés,
les cabinets vertueux doivent pouvoir être mis en avant… Plutôt que de parler
toujours des trains qui n’arrivent pas à l’heure, et donc de ce qui ne va pas
dans nos cabinets, montrons aussi à nos clients et à la société civile que
nous, les avocats, nous pouvons être exemplaires, en commençant par l’égalité
professionnelle. Notre punchline est « changeons d’époque ! ». Encore faut-il que nous agissions tous. L’inégalité,
les discriminations sont des résurgences nauséabondes et inadmissibles du
passé, d’une autre époque, d’une autre profession d’avocats qui n’est plus
celle d’aujourd’hui.
Quelle serait votre plus-value singulière pour le
barreau ?
Nous voulons, et il était temps, faire rentrer le barreau
dans notre époque. Nous sommes représentatifs de notre barreau. Nous ne sommes
d’aucune coterie, nous n’avons rien à prouver ou à rendre, nous sommes jeunes
et nous aurons encore à travailler dans nos cabinets respectifs après notre
mandat. Nous ne sommes pas de ces professionnels de la profession qui sont
d’une autre époque et pour lesquels on doit accéder au bâtonnat et au
vice-bâtonnat à l’ancienneté. Nous connaissons
bien les besoins et les envies de nos confrères, car nous avons les mêmes. Nous
ne sommes pas des grands patrons de cabinets qui savent d’emblée ce qu’il faut faire car « on l’a fait
avant », nous sommes simplement à l’écoute, et nous avons un enthousiasme sans borne pour
notre projet et une envie de nous battre pour nos confrères et notre barreau.
Comment imagineriez-vous accompagner les mutations de
la profession ?
Finissons par l’avenir ! Accompagner c’est
comprendre, et comprendre c’est anticiper. L’une de nos premières réalisations
sera la mise en place d’une vraie réflexion prospective et stratégique au sein
même de notre Ordre. Un membre de notre équipe qui nous est très proche,
puisque l’un de nos directeurs de campagne est, depuis quatre ans et demi,
le président de la Commission Prospective et innovation du Conseil national et
directeur-fondateur d’une Revue de prospective pour et sur les professions du
droit. C’est dire si notre programme est tourné et teinté par cette approche
prospective qui est essentielle pour nous. Si nous parlons de changer d’époque,
c’est bien pour accompagner mais aussi influer sur les mutations de la
profession. Le déni et la politique de l’autruche qui conduisent à surtout ne
pas se préoccuper des mutations en cours, ou à venir, parce que ce sont des
sujets qui fâchent, cela suffit. L’avenir ne doit pas nous faire peur, il faut
sortir de ce pessimisme ambiant. L’avenir est plein d’opportunités, et les
mutations de la profession, parce qu’elle doit et qu’elle va muter, nous
emmèneront vers le mieux ! Changeons d’époque !
Propos recueillis par Constance Périn