Le 5 novembre dernier, dans le cadre de la European Pro Bono week, le cabinet d’avocats Reed Smith a organisé
au sein ses locaux le premier Paris Pro Bono Day. Composée
d’ateliers et formations sur des thèmes juridiques à destination des ONG et
d’une conférence plénière consacrée aux axes de coopération entre ONG,
entreprises et avocats (succès, enjeux, challenges) et à la loi PACTE, cette
journée a permis de mettre en lumière le rôle du pro bono et sa mise en pratique. Daniel Kadar,
co-managing partner chez Reed Smith, répond à nos questions sur le sujet.
Pouvez-vous nous rappeler brièvement ce qu’est le pro
bono ?
Le pro bono, c’est littéralement agir dans
l’intérêt public. Pour l’avocat, cela veut dire exercer son métier,
c’est-à-dire permettre l’accès au droit, défendre et/ou conseiller, sans
facturer son client car c’est dans l’intérêt public, et sans en retirer de
rémunération.
Il faut noter que le pro bono n’est donc pas
tout à fait comparable avec l’aide juridictionnelle, puisque, dans le cas de ce
second système qui est contrôlé au niveau des juridictions, certes le client ne
paie pas, mais l’avocat est (souvent très mal) rémunéré.
C’est aussi différent de ce que l’on appelle le « low
bono », qui est le fait pour un avocat ou un cabinet d’accepter de
travailler sur des dossiers d’intérêt public au bénéfice d’organismes souvent
privés (fondations, fonds de dotation) qui, au vu de leurs ressources, peuvent
avoir accès au droit, mais qui, au regard de leur mission d’intérêt public,
bénéficieront de tarifs très avantageux.
Pourquoi avoir voulu organiser cette première journée
consacrée au pro bono ?
Le Paris Pro Bono Day est la première journée
consacrée au pro bono dans le cadre de la semaine européenne du pro
bono. Cette manifestation regroupe de très nombreux cabinets,
internationaux comme français, et qui sont actifs dans le pro bono sur
la place de Paris.
Reed Smith est, au niveau mondial, très engagé sur le
pro bono : nous avons travaillé en Haïti dans les camps de réfugiés
après les terribles séismes, nous avons monté des partenariats public/privés
sous la houlette de la Présidence de la République pour un projet de
reforestation à grande échelle, rassemblant, le plus possible, les acteurs
locaux, français et étrangers. Par ailleurs, nous agissons depuis des années
maintenant dans les camps de réfugiés du Moyen-Orient à la suite des guerres
civiles qui déchirent cette région du monde et ont conduit à des déplacements
massifs de population. Dans le cadre de ces projets, nous travaillons tous
bureaux confondus. à Paris, nous
avons de nombreuses actions locales et partenariats associatifs depuis plus de
dix ans maintenant. Nous avons donc pensé qu’il était naturel pour nous
d’accueillir et organiser cette première édition à Paris, en partenariat avec
l’Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme (AADH) dont nous sommes
membres.
« La première
condition que nous avons identifiée pour que chacun puisse s’investir dans le pro bono dans un
cabinet d’affaires comme le nôtre a été, tout simplement,
de l’encourager ».
Comment, au sein du cabinet Reed Smith, ces actions
bénévoles se sont-elles mises en place ?
Tout d’abord, je crois qu’il faut dire qu’un client pro
bono est un client du cabinet comme les autres. La seule différence est qu’il
ne paie pas nos honoraires. Nous intervenons selon nos domaines de spécialité
en apportant notre savoir-faire pour répondre aux problématiques, parfois
techniquement très ardues – comme pour les autres dossiers d’ailleurs. Nous
avons choisi nos partenaires à Paris, parfois depuis de nombreuses années, et
je pense notamment à l’association Enfance et Partage, car au début, ils ont
été surpris de nous voir leur proposer de travailler ensemble, tant le mécénat
de compétences était peu pratiqué. Nous avons aussi associé nos administratifs
en leur permettant d’agir en support technique de cette association.
Aujourd’hui, nous avons d’autres partenariats en place, tels qu’avec Rose Up,
une association qui accompagne et défend les intérêts des malades du cancer de
façon absolument remarquable et innovante, ou la Fabrique écologique, un think
tank environnemental. Nous travaillons main dans la main avec l’AADH dans
le cadre de nombreux projets, parfois internationaux, qui permettent de mettre
en commun nos compétences avec d’autres cabinets ou des juristes d’entreprise.
Nous essayons aussi d’associer les étudiants des masters avec lesquels nous
avons des partenariats. Outre ce mécénat de compétences, nos administratifs –
avec les avocats qui le souhaitent – courent La Parisienne, et, pour le
Challenge contre la Faim, se transforment en Pères Noël verts avec le Secours
Populaire, et s’investissent dans de nombreuses autres initiatives dans la
cité, y compris environnementales, comme la Semaine du Développement durable,
pour laquelle notre cabinet a récemment été primé.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Comment
le cabinet s’organise-t-il ?
La première condition que nous avons identifiée pour
que chacun puisse s’investir dans le pro bono dans un cabinet d’affaires
comme le nôtre a été, tout simplement, de l’encourager. Ceci se fait chez nous
de façon d’abord institutionnelle : nos avocats, et notamment nos
collaborateurs, peuvent comptabiliser 140 heures dans l’année comme heures de pro
bono équivalentes à des heures facturables qui comptent dans leurs
objectifs. Ce n’est pas rien, cela représente un mois complet de travail, et
c’est le message que nous souhaitons faire passer à nos
collaborateurs ! Ensuite, nous avons fait l’effort avec notre comité pro
bono à Paris (ndrl : Audrey Augusto et Nicolas Walker qui en
font partie, ont été essentiels dans cet exercice) d’aller voir nos avocats un
à un pour leur demander les causes qui leur étaient chères, afin que nous
puissions, aussi bien dans le cadre de l’AADH, mais aussi dans le cadre de nos
partenariats associatifs, identifier très rapidement celles et ceux qui
pourraient rapidement constituer une « task force » sur un
dossier donné. Inciter et répondre aux attentes en interne nous permet, je
pense, de mieux répondre aux besoins de nos clients pro bono.
Le pro bono révèle aussi les valeurs défendues
par le cabinet. À ce titre, quels sont les domaines qui sont, chez Reed Smith,
davantage soutenus ?
Les valeurs du pro bono, ce sont toutes les
valeurs universelles que nous portons en tant qu’avocats par notre serment.
C’est pour cela qu’elles nous sont aussi proches : les libertés, l’égalité
des droits, la protection des enfants, des minorités, des malades, la protection
de ces droits fondamentaux, mais aussi de l’environnement. Avec le pro bono,
nous travaillons sur l’essentiel, et nous y travaillons de façon différente,
parce que nos clients ne sont pas nos interlocuteurs habituels car nous
échangeons beaucoup plus intensément : nous travaillons ensemble, quel que
soit notre cabinet d’origine, et nous faisons, je crois, des rencontres que
nous ne ferions pas ailleurs. C’est un grand enrichissement.
Reed Smith est signataire de la charte Law Firm
Pro bono Challenge du Pro bono Institute. Pouvez-vous nous en
dire plus ?
Fondé en 1996, le Pro bono Institute est une
organisation à but non lucratif basée à Washington. Elle est connue comme étant
le premier (et le seul) « groupe de réflexion pro bono » au
monde, tant pour les cabinets d'avocats que pour les services juridiques des
sociétés et définit les normes du pro bono.
Plusieurs cabinets internationaux et grands groupes
sont membres du Pro bono Institute. Reed Smith est l'un des membres
fondateurs de cette organisation.
La Charte Law Firm Pro Bono Challenge publiée
par le Pro bono Institute (PBI) établit des normes quant à la quantité
de travail pro bono que les cabinets d’avocats ont à fournir. Ces normes
sont assez ambitieuses. Reed Smith adhère bien sûr à ces normes mais va plus
loin. L’une des normes prévoit ainsi que 3 % des heures facturables soient
dédiées au pro bono. Notre incitation visant à comptabiliser 1 mois sur 12 en heures pro bono équivalent
facturables va bien au-delà !
En termes de chiffres justement, que représente le pro
bono pour vos cabinets ?
Voici les statistiques de 2018 pour Reed Smith au global, c’est-à-dire pour nos 29 bureaux à travers le
monde :
• Nombre d’heures en moyenne effectuées par les
avocats en pro bono : 35 heures
• Participation : 65 %
• Nombre d’heures total : 57,268
• Valeur estimée : 30 millions de dollars US.
Concernant les statistiques de 2018 pour la région Europe, Moyen-Orient, Asie :
• Nombre d’heures en moyenne effectuées par les avocats
en pro bono : 30 heures
• Participation : 56 %
• Nombre d’heures total : 17,418
• Valeur estimée : environ 8 million d’euros.
Comment imaginez-vous ces actions évoluer dans les
années à venir ?
C’est un point très important. Le pro bono a
fortement gagné en visibilité en France et, avec l’essor de la RSE qui prend
une place de plus en plus importante dans le monde de l’entreprise, nous
conduit – et doit nous conduire davantage – à envisager des partenariats
au-delà du monde des avocats.
Des premières expériences nous ont amenés à
travailler avec les services juridiques des entreprises, car la RSE est dans
tous les esprits. Nous étendons cette réflexion aux cliniques juridiques et aux
masters, parce que nos étudiants/stagiaires sont très réceptifs à ces enjeux
sociétaux. Avec l’AADH, cette réflexion a été au cœur de l’organisation de ce
premier Paris Pro Bono Day, car il faut encore faire tomber les
appréhensions. Je suis en effet régulièrement interrogé sur la question de
savoir si les cabinets d’avocats seraient « légitimes » en quelque
sorte, à faire du pro bono. On m’a demandé plus d’une fois si c’était
pour se donner bonne conscience. C’est comme si on demandait à un médecin si
soigner un malade qui n’a pas les moyens de se faire soigner lui donnait bonne
conscience. Il fait son métier, c’est tout. Il a prêté serment. Les avocats
aussi sont tenus par un serment.
Plus généralement, je crois que nous avons beaucoup à
apporter au pro bono et qu’au vu des besoins, il serait véritablement
dommage de se priver de compétences et de l’exceptionnelle force de travail que
représentent les cabinets d’affaires et les services juridiques. Je suis un
fervent militant du rapprochement, par le biais de la RSE, de ces antagonismes.
Nous pouvons ne pas être d’accord sur tout, mais nous le sommes souvent sur
l’essentiel. La loi Pacte y
incite d’ailleurs les acteurs économiques, et nous y avons vu une belle
opportunité pour mettre celle-ci en exergue lors de notre deuxième conférence
plénière pendant le Paris Pro Bono Day.
Propos
recueillis par Constance Périn