Avocate au barreau de
Marseille, Delphine Gallin est la première femme à accéder au poste de
président de l’Avocats Conseil d’Entreprise (ACE). Après deux mandats en tant
que membre du Conseil national des barreaux, Delphine Gallin est également
membre du Conseil de l’Ordre du barreau de Marseille. À l’occasion du 27e congrès
de l’Ace, qui se déroulera les 17
et 18 octobre prochains à Lyon, le JSS s’est entretenu avec cette dernière afin de l’interroger sur la
fonction d’avocat en entreprise, le congrès et les actualités récentes qui
touchent la profession.
Comment expliquez-vous
votre affinité particulière avec le monde de l’entreprise ?
Je crois que dès l’enfance, j’ai été bercée par
l’entrepreneuriat et l’exercice libéral, mes parents étant respectivement
professionnel libéral et commerçant.
Je n’ai jamais imaginé exercer une profession où je
ne pourrais pas être totalement maître de mon outil de travail. Exercer en tant qu’avocat avec le statut
libéral, ou même en qualité d’associé, est parfois difficile et demande une
énergie de tous les jours, mais à mes yeux, rien n’est plus important que de
pouvoir insuffler une énergie qui transcende un collectif.
Accompagner des clients, motiver des équipes pour
une croissance commune, c’est avant tout ça qui, de mon point de vue,
caractérise l’entrepreneuriat, et c’est une grande satisfaction lorsque l’on
réussit à y parvenir.
Quelles sont, à votre
sens, les trois principales caractéristiques d’un bon accompagnement juridique
et fiscal ?
L’anticipation, la réactivité et l’écoute. En
réalité, ceux sont les qualités essentielles à tous juristes, et ce, quelle que
soit la matière dans laquelle ils interviennent. La typologie de la clientèle
diffère, mais les attentes demeurent les mêmes. Il nous appartient de cultiver
une relation client qui commande une exigence de tous les instants. Je pense
que cette exigence s’est renforcée avec l’immédiateté de nos échanges, nos clients
attendent une réponse claire, précise et imminente.
L’intervention de l’intelligence artificielle dans
nos pratiques quotidiennes renforce encore le niveau d’exigence, il nous
appartient de nous adapter à ces nouvelles tendances de consommation du droit.
C’est, en partie, un des axes de réflexion de notre prochain congrès.
C’est un challenge de taille et nous pensons, à
l’ACE, que l’avocat est en capacité d’y répondre.
Quels conseils
donneriez-vous à un jeune confrère qui débute sa carrière ?
De garder ses yeux et ses oreilles grands ouverts,
tant les opportunités ne cessent de croître.
J’exerce la profession d’avocats depuis plus 15 ans et j’observe avec
satisfaction combien nos métiers ont été bouleversés en moins de 10 ans.
L’interprofessionnalité d’exercice, l’ouverture de
nos cabinets aux autres professions du droit, le développement des activités
commerciales connexes et accessoires et demain, peut-être, l’ouverture aux
capitaux extérieurs de nos structures d’exercice…
Les marchés du droit ne cessent d’évoluer et
s’élargissent avec de nouvelles compétences à développer pour nos confrères (mode alternatif de règlement des litiges, mandat en transaction immobilière
etc.). Il est vrai que ces nouveaux champs d’intervention s’accompagnent
également d’une recomposition de nos activités plus classiques et qu’il n’est
pas toujours aisé de s’adapter.
C’est alors que les institutions nationales et
ordinales ont un rôle déterminant à jouer et doivent impérativement s’adapter.
Il appartient aux organisations professionnelles
comme l’ACE, que je représente, d’être les moteurs de ces
changements, et d’accompagner nos confrères dans ces mutations, c’est tout autant un objectif qu’un devoir.
Vous êtes la première
femme à la présidence de l’ACE. Autour de vous, de plus en plus de femmes sont
nommées pour la première fois à la tête de grandes organisations. En quoi cela
est-il important, selon vous ?
Au-delà du caractère satisfaisant d’être une
« première », cela démontre, à mon sens,
que le monde du droit a atteint une maturité sociale dont je ne peux que me
satisfaire. Le Conseil national des barreaux (CNB) a fêté ses 27 ans, l’ACE
aussi, et ces deux institutions sont présidées pour la première fois
par une femme élue à leur tête.
Il reste cependant encore beaucoup de
progrès à réaliser et il ne faut pas que des mandats comme le mien masque le fait que de nos jours encore, la progression des femmes dans nos métiers
demeure insatisfaisante et que le plafond de verre existe toujours pour
beaucoup d’entre nous.
Le thème du colloque 2019
de l’ACE – IA, Intelligence Avocat – est plutôt bien trouvé. Comment vous est
venue l’idée de cette thématique et quels en sont les principaux enjeux ?
C’est le conseil régional de l’ACE à Lyon, sous la
présidence de François Coutard, qui a eu l’idée de cette thématique. Je leur
rends hommage et les remercie, car c’est une idée brillante.
Jouer sur la vague de l’intelligence artificielle en
s’appropriant l’éco-système qui l’entoure, c’est l’enjeu de notre congrès.
Se poser la question de l’Intelligence Avocat, c’est s’interroger sur
notre capacité, en tant qu’avocat, acteur central du marché du droit, à ne pas
subir l’essor de l’IA dans nos « business models », mais plutôt à apprendre à en faire un atout au
service du développement de nos cabinets.
Quels seront les points abordés lors des
ateliers ? La loi PACTE et l’interprofessionnalité (sujet qui vous
préoccupe particulièrement) seront-elles évoquées ?
La première plénière portera notamment sur les nouveaux outils au service
de nos développements, comme l’interprofessionnalité. Il s’agira de dresser un
bilan deux ans après
l’adoption de l’interprofessionnalité d’exercice en s’inspirant d’exemples
concrets de cabinets qui ont sauté le pas en s’associant avec des cabinets
d’expertise comptable ou des notaires.
Quant à la loi PACTE, elle sera notamment évoquée dans le cadre de notre
atelier traitant des nouveaux outils de financement des entreprises, au rang
desquels figurent le recours aux levées de fonds en cryptomonnaie (ICO),
puisque la loi PACTE règlemente pour la première fois ce secteur en pleine
expansion.
« L’intervention de
l’intelligence artificielle dans nos pratiques quotidiennes renforce encore le
niveau d’exigence ».
Pouvez-vous nous en dire plus sur le
« Parcours IA » qui sera présenté la première journée du colloque, au
cours de la plénière ?
Le Parcours IA propose aux congressistes qui le souhaitent de suivre
exclusivement un parcours imaginé et pensé par Fabrice Mauléon, Sophie
Lapisardi et William Feugère, et dont l’objectif est d’étudier différentes
méthodes d’innovation afin de faire évoluer nos cabinets.
Seront ainsi abordés le marketing digital ou encore la méthode de la
proposition de valeur.
Ce parcours
fera l’objet d’une restitution spécifique lors de la plénière de clôture afin
que chacun puisse tout de même en retenir l’essentiel.
C’est une première et cela rencontre un franc succès.
Que pensez-vous du rapport Gauvain et des
propositions qu’il formule en vue de protéger les entreprises françaises des
lois et mesures à portée extraterritoriale ? Que pensez-vous de
l’extraterritorialité imposée par les Américains ?
Le député Raphaël Gauvain, déjà promoteur de la loi
relative à la protection du secret des affaires en 2018, a rendu public un
rapport qui propose des mesures susceptibles de contrer les effets des
législations étrangères à portée extraterritoriale, avec comme objectif de
renforcer la place de nos entreprises dans la compétition économique
internationale. Le député s’interroge sur les capacités de nos entreprises à lutter à armes juridiques égales contre leurs concurrents
américains, dans cette guerre économique assumée et revendiquée par
l’administration du président Trump.
À cette interrogation, le rapport donne
une réponse négative et envisage plusieurs mesures afin de lutter contre les
inégalités concurrentielles liées à l’application de lois étrangères à effet
extraterritorial, dont, notamment, celle de la création du statut de l’avocat
salarié en entreprise.
À l’ACE, nous avons
toujours été en alerte et conscient des enjeux que portait l’avocat salarié en
entreprise, au-delà même des problématiques corporatistes que le sujet révèle.
Notre corpus législatif se doit d’être plus protecteur de nos industries
et performant face aux textes à portée extraterritoriale. L’avocat salarié en
entreprise est un des outils au service de cet objectif.
Le gouvernement Philippe réforme à tout va.
Quels sont, selon vous, les dossiers législatifs à surveiller pour les
avocats-conseils d’entreprise ?
La réforme des retraites est, à ce jour, le sujet qui préoccupe et qui préoccupera
toute la profession d’avocat, et ce quel que soit le domaine d’intervention
dans les mois à venir.
À ce jour, les propositions que formule le rapport dit
« Delevoye » n’apporte aucune garantie quant au maintien d’un régime
de retraite juste et solidaire à l’instar de celui que propose la Caisse
nationale des barreaux français (CNBF).
Nous nous devons d’être vigilants et coordonnés dans la phase de
consultation en cours. L’ACE, via l’Union nationale des professions
libérales (UNAPL) au sein de laquelle nous siégeons, entend contribuer
significativement et exprimer avec force les oppositions nombreuses et
légitimes que l’ensemble de nos confrères exprime.
Propos
recueillis par l’équipe du JSS