Etienne Madranges, chroniqueur au JSS publie le Tome II d’Empreintes d’histoire
chez LexisNexis. L’auteur aux mille et une vies passionné par l’histoire et la
langue française nous dévoile un peu de ses secrets.
Étienne
Madranges, vous signez vos chroniques « Avocat à la Cour, Magistrat honoraire
». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre trajectoire professionnelle ?
Après un bac scientifique, j’ai fréquenté la faculté des sciences
(maths-physique) puis la faculté de droit pendant cinq ans, et Sciences Po
Paris jusqu’à prép’ENA après le diplôme. M’étant inscrit à plusieurs concours,
j’ai finalement choisi la magistrature car cela correspondait à une vraie
vocation, tenace, révélée dès mon adolescence, celle de participer activement à
l’œuvre de justice. J’ai donc été magistrat pendant 40 ans, toujours au parquet, exerçant des fonctions variées, notamment dans
les domaines financier, civil, des mineurs et de la famille, du terrorisme
(pendant cinq ans), des stupéfiants. À plusieurs reprises en
détachement, j’ai pu exercer des fonctions passionnantes dans des cabinets
ministériels, dans les secteurs de la jeunesse (j’avais dans le passé encadré
des jeunes, formé aux diplômes de l’animation, et enseigné dans diverses
universités), ainsi que de la politique de la ville, de l’éducation, ou encore
comme directeur d’administration centrale en charge de la jeunesse, de la vie
associative, et de l’éducation populaire au ministère de la Jeunesse et des
Sports, ce qui m’a amené à rédiger des textes de loi ou des traités, ou encore
à animer des institutions internationales. J’ai pris ma retraite de la
magistrature à 66 ans, mais il est parfois difficile pour un homme de robe de
quitter celle-ci. J’avais obtenu mon diplôme d’avocat parallèlement à mon
entrée à l’École de la magistrature, et il me semblait
inenvisageable de ne plus fréquenter les Palais de Justice. Aussi, c’est tout
naturellement que j’ai prêté serment et suis devenu avocat, il y
aura bientôt trois ans, au barreau de Versailles, un barreau dynamique.
Parallèlement, j’ai accepté d’autres missions, intégrant la réserve citoyenne
de la gendarmerie comme colonel, participant à des émissions télévisées, ou
contrôlant des banques comme réviseur coopératif agréé.
Vous avez mené une longue mission
unique en son genre pour la Chancellerie. De quoi s’agissait-il ?
C’était il y a 12 ans. La
garde des Sceaux décidait alors de réformer la carte judiciaire. De nombreux
tribunaux allaient fermer. Or, la plupart des bâtiments concernés appartenaient
aux collectivités territoriales. Et par ailleurs, certains de ces tribunaux
contenaient des meubles précieux, des bibliothèques historiques, des objets
judiciaires rares. Il fallait donc recenser tout ce patrimoine, sauver des
objets, des tableaux, des archives… J’ai reçu une lettre de mission de la
ministre me confiant le recensement de tout le patrimoine du ministère. Je suis
donc parti sur les routes de France afin de visiter non seulement les
juridictions mais aussi les prisons, parcourant plus de 100 000
kilomètres, allant outre-mer jusqu’aux îles Marquises dans le Pacifique, aux
îles du Salut en Guyane, à Wallis et Futuna. Plus de 1 200 juridictions
visitées, environ 400 prisons dont 180 établissements pénitentiaires en
fonctionnement visités (j’ai profité de mes déplacements pour visiter les
prisons historiques fermées), tous photographiés de la cave au grenier. 200
000 clichés pris lors de ces visites, effectuées pour la plupart avec feu mon
ami Jean Favard, conseiller honoraire à la Cour de cassation, qui m’a souvent
secondé dans mes recherches et constats.
« Je voyage
plusieurs fois par mois. Pour certaines chroniques, il m’a fallu plusieurs jours de
recherches, comme pour celle sur la tapisserie d’Angers ».
Cette
expérience vous a permis d’accéder à une foule d’informations originales.
Quelles sont celles que vous avez préférées ? Est-ce que certaines restent
secrètes ?
J’ai parfois découvert des merveilles, au plan patrimonial, des vitraux
qu’il fallait restaurer, de lourds secrets de temps en temps, des anomalies
quelquefois (abus, disparitions d’objets rares ou de pièces à conviction,
travaux sans autorisation), que j’ai évidemment signalées (mais ce n’était bien
sûr pas de ma compétence, le ministère étant doté de services d’inspection
performants), des situations cocasses, comme ces quelques bureaux de hauts
magistrats où se trouvait le portrait du président de la République que l’on se
hâtait de cacher à mon arrivée, comme s’il y avait une forme de honte à cela,
ou ces peluches multiples dans un tribunal, ou encore ces collections de chats
peints ou dessinés par des greffiers, le greffier étant dans la littérature
assimilé au chat. Cette mission m’a aussi permis de constater que
d’innombrables magistrats travaillaient beaucoup, emportant des dossiers le
week-end chez eux dans des valisettes à roulettes, que les locaux imposés aux
juges comme aux greffiers étaient parfois dans un état déplorable, que les
fuites d’eau étaient nombreuses un peu partout, que certains tribunaux
d’instance n’avaient plus de papier pour les imprimantes dès l’automne, et qu’à
certains endroits, les avocats qui voulaient un jugement étaient invités à
apporter leur propre ramette de papier ! J’ai pu sauver des livres anciens
destinés à la destruction, et ai fait transférer (non sans résistance dans
certains cas) dans des cours d’appel des meubles typiquement judiciaires donc
rares. Et j’ai pu fixer par l’image le décor des tribunaux fermés (dont
certains sont devenus des magasins, des médiathèques, des cinémas, des
théâtres, des commerces…) et des prisons en voie de fermeture (dont certaines
ont été rasées depuis, mais mes clichés ont permis quelques inscriptions à
l’inventaire MH après un travail commun avec les DRAC)*.
Vous
rédigez les chroniques de la rubrique « Empreintes d’histoire » du JSS.
Pouvez-vous nous décrire la façon dont vous menez vos enquêtes ? À quel point
vous voyagez en France… et quels sont les éléments déclencheurs qui peuvent
piquer votre curiosité ?
Chaque recherche est une aventure !
Je voyage plusieurs fois par mois. Pour certaines chroniques, il m’a fallu
plusieurs jours de recherches, comme pour celle sur la tapisserie d’Angers, où
sur place, j’ai interrogé des spécialistes, consulté des documents. Il m’arrive
d’aller à la Bibliothèque nationale de France vérifier des éléments après un
voyage. Parfois, j’ai le texte mais je me déplace pour l’illustration. L’idée
est de toujours avoir environ une centaine de chroniques en préparation, en me
servant de sources multiples. Je peux m’inspirer d’une idée recueillie lors
d’une émission de télévision, ou d’une simple photo piochée dans mes archives.
L’annonce d’un prix littéraire comme le prix Renaudot m’incite à aller à Loudun
visiter la maison natale de Théophraste Renaudot et à rédiger un texte sur cet
inventeur du journalisme français et du Mont-de-Piété. La découverte d’un
plafond à caissons lors de la visite d’un château m’amène à parler de la
légende de la chicheface. Lorsque je découvre le Spicilège de Montesquieu dans
ses archives conservées à la bibliothèque Mériadeck à Bordeaux, je commence à
rédiger une chronique sur Montesquieu en partant du Spicilège. Il m’arrive
aussi de partir d’un jeu de mots pour traiter d’un sujet littéraire ou
poétique. Si je vais à Charleville-Mézières découvrir le festival de
marionnettes, j’en profite pour visiter le musée Rimbaud et donc… écrire sur
Rimbaud. Je me sers aussi de mes connaissances dans le domaine de l’histoire de
la justice et du patrimoine judiciaire. La visite d’une tour-prison à
Sainte-Marie-aux-Mines m’a amené à faire des recherches sur le juge des mines
en consultant le spécialiste local ayant fait sa thèse sur ce sujet. À Colmar,
j’ai un ami, ancien bâtonnier local, qui est l’un de mes lecteurs réguliers.
Très cultivé, il est passionnant quand il explique le sens du Retable
d’Issenheim au musée Unterlinden. Cela me donne l’idée de l’enregistrer, puis,
extrapolant, de rédiger une chronique sur le mal des ardents, ou ergotisme, car
le Retable montre un personnage atteint de ce mal, dont la photo va me
permettre d’illustrer mon texte.
Sujets inédits, humour et mots rares caractérisent vos articles. Les lecteurs apprécient ce partage culturel. Quelle relation
entretenez-vous avec eux ?
Il est vrai que, régulièrement, des lecteurs m’écrivent pour me
remercier ou m’apporter des explications complémentaires. Je réponds toujours.
J’aime bien ces échanges, ce lien qui s’établit avec les lecteurs. Cela rend
l’exercice dynamique et interactif, et l’encouragement prodigué par les
lecteurs permet d’améliorer l’exercice car cela crée un devoir de
continuer à donner du plaisir de lecture !
Vous
publiez également des ouvrages. Vous venez d’achever un beau livre, le tome II
d’Empreintes d’histoire. Comment est-il conçu ?
C’est mon 14e ouvrage. Il
reprend 50 chroniques publiées dans le jss, qui en a déjà publié plus de 120, avec des
illustrations issues pour la plupart de mes clichés. Il se termine par le
douloureux épisode de l’incendie de Notre-Dame qui m’a beaucoup ému puisque
j’avais eu la chance de visiter et photographier sa charpente médiévale et sa
flèche.
Investigation,
écriture, conférences, vous êtes un orateur confirmé. Avez-vous déjà enseigné ?
Oui. J’ai enseigné pendant plus de 15 ans des matières variées (un an la criminologie, cinq ans le droit
social, trois ans la note de synthèse, cinq ou six ans la procédure
pénale…), dans des universités, mais aussi dans des grandes
écoles ou encore dans des écoles de police. J’ai formé des auditeurs de justice
et des avocats stagiaires. Ancien «
directeur de colo », j’ai formé des générations de jeunes aux diplômes de
l’animation (BAFA, BAFD, brevets divers). J’assure ponctuellement des
formations judiciaires pratiques (école du barreau) et anime des jurys
(éloquence). Je suis toujours membre de la commission nationale OPJ de la
police et de la gendarmerie.
Lorsque j’étais magistrat, je disais toujours aux
auditeurs de justice qu’un vrai procureur devait parler sans micro, sans papier
et sans a priori. À la réflexion, pour l’enseignant comme pour l’avocat, s’il
veut captiver son auditoire, c’est pareil : il lui appartient de parler sans
micro, sans papier et sans a priori… mais avec une intense conviction.
Vous exercez également comme avocat au barreau de Versailles.
Trouvez-vous encore du temps pour plaider ?
Bien sûr ! La profession d’avocat a plusieurs cœurs de métier dont
l’écoute, le conseil, et la plaidoirie ! La plupart du temps, je fais du
« gratuit » (conseils à des associations par exemple). Plaider est
une nécessité pour qui aime porter la robe. Même très ponctuellement. Avec des
surprises au bout…
on gagne parfois des procès a priori ingagnables, et on en perd des
imperdables ! Ainsi va la justice humaine, avec ses aléas. Ce qui compte,
c’est, au-delà du nécessaire réalisme, le service que l’on peut rendre,
l’indispensable restitution de ce qu’on a eu la chance d’acquérir ou
d’apprendre, le partage des valeurs, la passion et l’humanité que l’on doit
conserver à chaque étape de l’action !
En définitive, le sens que l’on donne à sa vie.
* L’auteur a publié chez LexisNexis Les
Palais de Justice de France, un livre contenant 5 500 photos, montrant 750 Palais de Justice et Prisons,
patrimoine de France, évoquant les richesses et le décor de 400 prisons.
Propos
reccueillis par C2M
Empreintes d’histoire - Tome 2 - 50
chroniques historiques, judiciaires, drôles et tragiques
« Lire Étienne Madranges est un pur bonheur.L’esprit s’évade et gambade
dans le passé ; on reste rêveur par la précision de ces chroniques où les
détails foisonnent pour étonner le lecteur.
De-ci de-là, des mots rares sont disséminés pour attiser la curiosité :
abotteaux, tribunalite, philalèthe, obreptice…, voilà des galets polis par le
temps qu’Étienne Madranges choisit avec méticulosité pour notre joie.
La langue est, en effet, parfaite et, comme grossis au microscope, des morceaux d’histoire revivent dans ces
lignes enchanteresses.
Il n’y a qu’une chose à faire : s’asseoir dans un bon fauteuil et
ouvrir ce délicieux ouvrage… »
Bâtonnier Jean
Castelain
Tel est le message rédigé par l’ancien bâtonnier de
l’Ordre des avocats de Paris, fidèle lecteur du Journal Spécial des Sociétés
lorsqu’il a appris que le Tome II d’Empreintes d’histoire allait révéler
cinquante nouvelles chroniques d’Étienne Madranges. Celui-ci, avocat, ancien
magistrat, qui a longtemps enseigné, qui a dirigé une administration centrale
et présidé des associations nationales et des institutions internationales,
voyage beaucoup et prend des milliers de photos dans les lieux historiques
qu’il aime faire découvrir dans ses ouvrages ou lors de ses nombreuses
conférences. Le succès rencontré par la publication des cinquante premières
chroniques ne pouvait qu’inciter à la publication de ce second tome.
Vous y découvrirez des anecdotes inconnues, y
apprendrez notamment que le mouchoir rouge de Cholet était blanc à l’origine,
que Jeanne d’Arc a ressuscité un enfant mort-né, que le cardinal de Rohan a
fait réaliser un louis d’or avec Louis XVI portant deux cornes sur le front,
qu’il y a une ville où la Bâtonnière n’a jamais été avocate, qu’un fils de
procureur est devenu roi de deux États étrangers, qu’un loup surveille à Paris
la cour des Invalides, que Racine a dénoncé la tribunalite, que Lavoisier a
brûlé des diamants, que Louis XIV a épousé la fille d’un brigand, que la tour
Eiffel a été vendue deux fois, que le legs du peintre Caillebotte a été en
partie refusé par l’État, que les brigades du Tigre avaient bien du mal à
suivre les bandits en auto, que Mirabeau était un redoutable séducteur, que
Buffon était en procès avec un Baboin, et qu’un roi de France était surnommé
Louis des Huîtres.
Des histoires multiples, parfois incroyables, mais vraies, à déguster, un
livre à savourer !
Empreintes d’histoire - Tome 2, 50 chroniques historiques, judiciaires,
drôles et tragiques, Étienne
Madranges, LexisNexis, 190 pages – 39 euros