Depuis janvier 2017, le barreau de Marseille a un nouveau
bâtonnier. Élue le 9 novembre 2015, Geneviève Maillet est la première femme à
accéder à ce poste, mais pour elle ce n’est pas important : « Être avocat n’a
pas de sexe ». Lors de la rentrée du barreau de Marseille, le 30 juin dernier,
cette spécialiste en droit commercial, maritime et de l’environnement a réuni 25
barreaux étrangers et de nombreux autres représentants de la profession pour
signer la Déclaration universelle des droits de l’humanité.
Marseille est largement tournée vers la Méditerranée.
Quelles conséquences cela a sur le barreau ?
Marseille est un port. Le port c’est l’échange, le commerce
et donc le droit maritime et toutes les spécialités liées y compris une
certaine inévitable délinquance. De plus, Marseille est située sur le câble de
toute l’Europe (la ville est déjà un point de raccordement d’internet grâce à
une dizaine de liaisons câblées sous-marines vers le continent africain et vers
le Moyen-Orient, et va devenir bientôt la troisième « gateway », ou porte
d’accès européenne, avec une liaison vers l’Asie d’ici 2020 NDLR), donc nous
sommes également au coeur du numérique. Les conséquences sur le barreau ont
toujours été liées à sa géographie : visiteurs, échanges économiques,
transports et législations maritimes, compétences portuaires et aujourd’hui
économie numérique.
Quelles sont les spécificités du territoire et du barreau de
Marseille ?
À Marseille il y a 2 200 avocats. Nous sommes une
Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) et nous avons créé un pôle
maritime au tribunal de grande instance cette année qui constitue un tournant dans
les compétences juridiques du territoire. Nous avons donc engagé une véritable
réflexion conjointe avec les chefs de juridiction et mis en place un colloque (en
présence d’ailleurs de Jean-Michel Cousteau dont on connaît l’engagement pour la défense des
océans) pour présenter le nouveau pôle maritime qui couvre plusieurs
départements. Cela répond à toutes les questions qui peuvent se poser dans ces
matières. Celle des stupéfiants est essentielle et transversale. Cela mérite
plus de recul et surtout intégrer les nouveaux postes de délinquance pénale et
ses implications. Mais, il faut savoir également que le patrimoine sous-marin
est aussi une source de blanchiment que l’on connaît mal.
Vous êtes la première femme élue bâtonnier de Marseille.
Est-ce le signe d’un changement d’état d’esprit plus vaste au sein du barreau ?
Pourquoi cela a-t-il pris tant de temps d’après vous ?
Être avocat n’a pas de sexe ou alors il faut dire que La
liberté, La vérité et La justice ne peuvent pas être défendues par des hommes.
Le barreau a élu un bâtonnier, il se trouve que c’est une femme. Je crois que
le changement d’état d’esprit est sur le programme, volontairement tourné vers
les échanges internationaux et les contraintes et atouts liés à la
digitalisation.
Qu’attendiez-vous de ces deux journées du 29 et 30 juin ?
Les journées du 29 et 30 juin étaient destinées à faire
rayonner le jeune barreau marseillais et montrer combien il était ouvert à la
fois à l’international, aux échanges économiques, mais aussi à l’humain. C’est pourquoi
nous avons proposé comme titre : « les 48 heures des opportunités ». Nous avons
ainsi reçu 25 barreaux étrangers, tous les représentants des barreaux de France et d’Outre-mer, les représentants du Conseil national
des barreaux, de la Conférence des bâtonniers, nos élus locaux, politiques et
institutionnels, des délégations d’investisseurs étrangers et les acteurs économiques
du territoire Marseille Provence. Ce fut l’occasion de signer la Déclaration des
droits de l’humanité qui sera portée à l’ONU et de rendre un hommage à Simone
Veil. Ceux qui sont venus demandent à renforcer leurs liens avec Marseille et
nous recevrons une délégation d’investisseur en octobre. Pour nous, c’est mission
accomplie.
Comment voyez-vous le métier d’avocat demain avec l’importance
grandissante des nouvelles technologies ?
La profession d’avocat est charnière dans la sécurisation
des échanges numériques. J’ai prêté serment avec l’abolition de la peine de
mort, aujourd’hui, il nous faut défendre la peine de vie, car c’est parfois
difficile d’être confronté à la cybercriminalité ou même aux questions éthiques
qui se posent avec la digitalisation. Le port numérique des libertés passe par
Marseille et ses avocats en sont les garants. De plus, J’ai eu à coeur de
réunir une équipe et de mettre en place pour le barreau un incubateur, car
depuis 25 ans j’accompagne des sociétés du numérique et des start-up. C’est pourquoi, nous avons réussi ce projet en trois mois.
Car au-delà du digital qui n’a rien de nouveau, j’espère que le numérique sera
associé à notre barreau comme d’autres spécialités, le maritime en particulier.
Pourquoi avoir réuni de nombreux confrères étrangers pour
signer la Déclaration universelle des droits de l’humanitéde Corinne Lepage ?
Pourquoi cette déclaration est-elle importante pour vous ?
Je suis très impliquée dans le droit de l’environnement et
le risque industriel, les pollutions. J’ai plaidé des dossiers significatifs
dans ces matières. Je me suis intéressée au droit de l’eau, patrimoine mondial
de l’humanité, et je me suis fait la réflexion durant le forum mondial de l’eau
en 2012 à Marseille, que manquer à ce droit pouvait par extrapolation être considéré
comme un crime contre l’humanité. Quand j’ai représenté Marseille à la MedCop
22 de Tanger, l’an passé, j’ai naturellement sympathisé avec Corinne Lepage.
Elle a rédigé une déclaration, non pas des droits de l’homme, mais de l’humanité.
Il nous est apparu légitime d’y associer les défenseurs naturels que sont les
avocats.
J’ai pensé aussi qu’il serait dommage qu’il n’y ait que nous
qui en profitions. J’aime partager, échanger et transmettre. Je me suis donc
dit qu’il fallait proposer de signer la Déclaration des droits de l’humanité au
président du Conseil national des barreaux, mais aussi aux bâtonniers des villes
amies ou jumelées avec Marseille.
Voilà pourquoi nous avons toute une table de bâtonniers
étrangers. Que faut-il changer au barreau de Marseille ? Quels sont vos projets
phares ?
Ce n’est pas le changement qui importe, c’est le progrès.
Pour être force de progrès, nous avons
un barreau jeune, dynamique, prêt à s’inscrire dans des actions novatrices de
défense. Nous avons créé un incubateur, qui est un laboratoire d’idée et de
nouvelles méthodologies. Nous avons la chance d’être nombreux et de développer des
spécialités différentes. Le territoire s’enrichit de nouveaux pôles de compétences
qui nécessitent la sécurisation juridique. Nous avons une tradition maritime et
une tradition pénale qui sont reconnues au niveau national et international.
Enfin, nous venons d’avoir des députés avocats qui pourront porter des projets
de loi pour améliorer la condition de tous.
Je voudrais réunir autour du thème de la paix en Méditerranée,
un certain nombre de barreaux de proximité en 2018. En effet cette date me
paraît significative dans ces temps troublés, car elle constitue le centenaire
de l’armistice en Europe. On reproche aux avocats de trop parler aux diplomates de
trop parler aux Méditerranéens, de trop parler … et même certains misogynes le
reprochent aux femmes… Mais, sans la parole, quelle paix peut-on durablement
construire et quelle économie peut-on bâtir ? Les avocats du barreau de Marseille
se mobilisent pour un échange dynamique qui sera en accord avec l’actualité.
Propos recueillis par
Victor Bretonnier