Le 6 et 7 décembre
prochains se tiendra le Congrès national des tribunaux de commerce 2018. à cette occasion, le Journal Spécial des Sociétés a souhaité recueillir l’expertise de Georges Richelme, président de la
conférence des juges consulaires. Interview.
Monsieur Richelme,
vous êtes président de la conférence des juges consulaires. Voulez-vous vous
présenter à nos lecteurs en quelques mots ?
J’ai été élu à la présidence de la conférence
générale des juges consulaires de France il y a maintenant deux ans. J’ai
été juge consulaire pendant 18 ans au tribunal de commerce de Marseille,
tribunal que j’ai présidé de 2012 à 2015. Par ailleurs, ma carrière professionnelle
s’est déroulée en grande partie au sein du groupe Eurocopter (aujourd’hui
Airbus helicopters) dont j’étais le directeur juridique.
Les juges consulaires
abattent un travail considérable chaque année. Pourriez-vous nous indiquer en
quelques chiffres clés leur activité en 2017 ?
Les 3 386 juges des 134 tribunaux de
commerce et des 7 chambres commerciales des TGI d’Alsace Moselle ont rendu
en 2017 un
peu plus d’un million de décisions qui se répartissent schématiquement
ainsi : 60 %
pour les procédures relevant des difficultés des entreprises et 40 % pour le
contentieux général. Quant à la qualité globale de ces décisions, je relèverai
simplement que le taux d’appel des décisions rendues par les tribunaux de
commerce est de 13,7 %
et le taux d’infirmation de 4,9 %, où il ressort que 95 % de ces
décisions sont confirmées en appel.
Diriez-vous que les
attributions des tribunaux de commerce aujourd’hui sont adaptées aux pratiques
économiques actuelles ?
L’article L. 721-3 du Code de commerce qui délimite le périmètre de
compétences du tribunal de commerce date d’une époque où l’on parlait de droit
commercial et non de droit des affaires et encore moins de droit économique.
Or, depuis, de nombreuses règles de droit commercial ont été étendues à des non
commerçants, le droit des entreprises en difficulté ou des pratiques
restrictives de concurrence en sont de bons exemples. Pour autant, les règles
de compétence n’ont pas été modifiées et les litiges portant sur les
matières économiques se répartissent toujours entre tribunal civil et tribunal
de commerce.
Sur le fond, pensez-vous
qu’une extension de leurs compétences optimiserait leur efficacité ?
La question qui se pose n’est pas à mon avis tout à
fait celle-là, mais celle de savoir si cette répartition de compétences a
encore un sens. Cette complexité de répartition nuit sans doute à la lisibilité
et à l’attractivité du droit. Ce n’est donc pas l’optimisation du tribunal de
commerce qui est visée, mais le traitement du litige pour le justiciable,
acteur économique, qui ne peut que souhaiter que son litige soit traité
rapidement devant le bon tribunal.
Sur la forme, comment le
tribunal de commerce devrait-il se transformer pour accompagner les évolutions
technologiques des affaires et de la justice ?
Bien sûr, le tribunal de commerce va devoir se
transformer, mais ce n’est par l’effet de l’évolution des compétences, même si
celle-ci aura évidemment des conséquences sur la formation et le fonctionnement
des juges. Le tribunal de commerce évoluera nécessairement mais sous l’effet de
la transformation numérique qui va modifier profondément les organisations et
les procédés. Le numérique introduit un focus « justiciable » dans le
processus judiciaire, comme il a introduit le focus « client » pour
les entreprises. En outre, le tribunal numérique permettra le partage de
compétences entre tribunaux basé sur la spécialisation des juges, ce qui
permettra de gagner en efficacité, de ne plus délocaliser sur des tribunaux
spécialisés et donc de redonner du sens à la carte judiciaire actuelle.
Le gouvernement en place
réforme beaucoup. Certaines dispositions ont-elles un impact direct sur les
tribunaux de commerce ?
Effectivement, la loi Pacte comporte un certain
nombre de dispositions qui vont impacter en particulier le droit des procédures
collectives. Par ailleurs, en supprimant les délégués consulaires, elle modifie
le collège électoral des juges des tribunaux de commerce. En revanche, il
faudra être attentif aux conséquences des autorisations données au
gouvernement, tant dans Pacte que dans la loi de réforme de la Justice, de
modifier des pans de notre droit par voie d’ordonnances.
Existe-t-il, à votre
connaissance, des pays qui pourraient inspirer le législateur français pour une
conception des tribunaux de commerce en phase avec l’économie moderne et ses
acteurs ?
L’exemple le plus édifiant nous vient de Belgique,
qui a adopté, au mois d’avril de cette année, une loi réformant le droit des
entreprises, abandonnant nombre de concepts du Code de 1804. Elle intègre une
nouvelle dimension de l’entreprise qui englobe l’ensemble des acteurs actifs
sur le plan économique, qui relèveront du « tribunal des entreprises »,
compétent pour tous les litiges des ressortissants de l’ancien tribunal de
commerce, mais aussi pour les associations et les professions libérales. Il est
intéressant de noter dans l’exposé des motifs du projet de loi que cette
réforme est engagée dans un but d’attractivité du droit belge pour qu’il puisse
favoriser des investissements étrangers.
Pourriez-vous dire
quelques mots sur le congrès des juges consulaire à Tours, au mois de
décembre ?
À Tours, nous présenterons, les
résultats de notre réflexion sur l’évolution de ce que pourrait être un
tribunal des activités économiques, mais aussi notre vision du tribunal
numérique. De plus, il me semble qu’il est particulièrement important, tant
pour les juges consulaires que pour les professions qui sont dans l’orbite des
tribunaux de commerce, d’être attentifs à nos travaux.
Propos recueillis par C2M