Ancien Secrétaire de la Conférence, Olivier
Cousi a intégré le Cabinet Gide en 1986 et en devient associé en 1993. Membre
du Conseil de l’Ordre de 2006 à 2008, il fut notamment en charge de la
Commission internationale de l’Ordre sous les bâtonnats d’Yves Repiquet et de
Christian Charrière-Bournazel. Entrée en 1992 comme collaboratrice de Jean René
Farthouat, Nathalie Roret est, quant à elle, devenue associée en 1997. Élue
pour siéger au Bureau du Conseil national des barreaux pour la mandature
2015-2017, elle est actuellement membre du Comité d’éthique du barreau de Paris. En binôme, ces derniers sont
aujourd’hui candidats aux élections au bâtonnat de Paris, qui se tiendront les
4 et 6 décembre prochains. Ils confient au Journal Spécial de Sociétés
leur vision de la justice, mais aussi les priorités pour le barreau, plaçant la
protection des avocats au cœur de leurs propositions.
Quels sont vos sentiments sur les réformes
de la justice ?
Les réformes
de la justice nous inspirent une réelle inquiétude. Nous sommes soucieux de la
direction que prennent ces réformes législatives, extrêmement nombreuses, au
regard notamment des libertés fondamentales.
La déjudiciarisation
est le leitmotiv du gouvernement, alors que les avocats veulent au contraire
davantage de juges, plus de contacts, moins de visioconférences, des
fonctionnaires pour enregistrer les plaintes de leurs clients et des hommes et
des femmes pour juger ! Il n’est pas admissible de limiter l’accès au juge
et de restreindre les droits de la défense et les libertés publiques.
Le projet de
loi de programmation pour la Justice est avant tout une grande déception pour
les avocats, plus encore eu égard à la qualité des concertations qui l’ont
précédé et qui laissait imaginer que la parole des avocats serait prise en
compte. Il est bien aimable de nous écouter dans les groupes de travail où nous
sommes tolérés, mais ce n’est pas suffisant, nous voulons être entendus.
Les avocats
sont en colère : les mesures de la réforme participent à la mise à
distance des justiciables et engendrent des inégalités de traitement aux dépens
des plus vulnérables. On assiste à la mise en place d’une logique de résultats
aux dépens des moyens éminemment nécessaires pour répondre aux besoins de
justice des citoyens.
En
substance : généralisation des atteintes aux libertés publiques, création
des tribunaux criminels départementaux, fin des jurés populaires, fin de
l’oralité des débats, limitation des contacts humains, multiplication des cas
de visioconférence, plaintes électroniques, atteintes au principe de la
collégialité, recul généralisé du contrôle de l’autorité judiciaire sur
l’activité policière, élargissement des pouvoirs du parquet, allongement du
délai pour être autorisé à déposer une plainte avec constitution de partie
civile, comparution différée, construction de nouvelles places de prison,
suppression des tribunaux d’instance, etc.
Nous
pourrions encore citer la loi sécurité publique du 28 février 2017, la proposition de
filtrage des pourvois en cassation, la très révoltante loi asile et immigration
qui entérine elle aussi le recours généralisé à la visioconférence, un régime
d’exception pour Mayotte ou encore des dispositions prévoyant l’enfermement
d’enfants mineurs en centre de rétention, la controversée loi Gauvain sur le
secret des affaires, ou encore les atteintes portées aux droits des salariés
par la réforme née des ordonnances dites « Macron » du 22 septembre 2017.
Mais ce
n’est pas tout, ces réformes s’inscrivent dans une tendance sécuritaire et
liberticide dangereuse. Sur les quatre dernières années, on peut compter plus
de dix lois relatives à la sécurité intérieure ou à la lutte contre le
terrorisme.
Confrontés à
ces atteintes, nous autres, avocats, sommes forcés de manifester, de
sensibiliser l’opinion publique, de rédiger des pétitions, d’écrire des lettres
ouvertes, de multiplier les incidents, de former des recours contre l’État pour
ne pas rester totalement inutiles à regarder s’effondrer l’édifice.
Enfin, nous
dirons pour conclure que ces réformes de la justice, si elles nous inquiètent
indéniablement, nous rendent plus vigilants, et certainement plus combatifs.
Quelles seraient les priorités de votre mandat ?
Si nous sommes élus, nos priorités se fixeront sur la protection des
avocats : de tous les avocats.
Depuis maintenant plusieurs mois, nous avons pu échanger avec beaucoup
de nos confrères, et certains nous ont fait part de leurs grandes difficultés, de
leurs craintes, de leur exaspération. Ce n’est pas conseiller et défendre qui
affectent, ce n’est pas leur activité, c’est bien souvent leurs conditions
d’exercice ou la faiblesse de leurs bénéfices. Cette morosité économique, nous
devons la combattre.
Nous avons reçu des collaborateurs qui ont le sentiment que le cabinet
qui les emploie ne joue pas le jeu de la collaboration libérale, et qui sont
effrayés à l’idée de se retrouver mis à la porte s’ils osent contester la
situation, alors même qu’on ne leur a pas permis de développer de clientèle
personnelle ou de se former. Pour ceux-là, nous entendons généraliser
l’assurance de perte de collaboration, mais ce n’est pas tout. Il ne suffit pas
de mettre un pansement sur une plaie béante, si nous sommes élus, nous
développerons la pratique des « sentinelles de la collaboration »,
à savoir des confrères volontaires pour venir au secours de collaborateurs en
difficulté et recenser les abus afin qu’ils soient sanctionnés.
Nous avons entendu des avocats installés, individuels ou en petites
structures, en situation de grande précarité, qui sont acculés par leurs
charges et ne travaillent finalement que pour payer ces dernières, très
lourdes. Ces mêmes avocats qui ne comptent plus les factures impayées et n’ont
pas le temps de saisir le bâtonnier en vue du recouvrement de leurs honoraires.
Nous entendons réfléchir à un moyen de baisser le montant des indemnités de
l’assurance de responsabilité civile, basé sur l’ancienneté et non sur le
chiffre d’affaires. Il ne s’agit pas ici d’égalité, mais bien de solidarité.
Nous souhaitons aussi faciliter le recouvrement des honoraires.
Nous avons échangé avec des avocates qui ont vu leur contrat de
collaboration terminer à l’annonce de leur grossesse. Cette situation est
inadmissible et elle doit être sanctionnée. Il est essentiel d’aider les
avocats à mener une vie de famille sereine, à concilier carrière et vie privée,
à exploser enfin le plafond de verre qui a pu prospérer pendant des années au
barreau.
Nous avons également rencontré des avocats de cabinets d’affaires à la
limite du burn-out. Nous souhaitons prendre des mesures en vue de
rétablir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des avocats.
Beaucoup de confrères ont émis le souhait d’être accompagnés dans le
grand saut qu’est l’installation. L’Ordre doit être un protecteur, un
facilitateur. Nous voulons proposer des parrains et marraines de l’installation
à ces confrères, qui pourraient les aider à se lancer. Nous souhaitons aussi
leur offrir un kit de l’installation clés en main, ou encore négocier des prêts
et facilités de caisse auprès des organismes bancaires pour le moment de la
première installation. Enfin, un audit des charges structurelles qui pèsent sur
les avocats s’impose, ne serait-ce que pour être en mesure de les diminuer
significativement en faisant jouer la concurrence.
Parallèlement, nombre des confrères qui interviennent en contentieux
ont évoqué les difficultés de plus en plus palpables générées par la
dégradation des relations avec les magistrats, qui se détériorent au fil du
temps, plus encore depuis le déménagement du Palais de justice. Nombreux sont
les avocats qui nourrissent un ressentiment profond à l’endroit des magistrats,
et on ne peut que le comprendre eu égard à ce qu’ils nous confient parfois.
Cependant, avocats et magistrats sont contraints de se fréquenter. Ils doivent
donc se respecter et renouer le dialogue. Nous tâcherons donc, pour le
bien-être des avocats qui souffrent de ces relations dégradées – et encore et
surtout pour les justiciables qui en pâtissent – de renouer le dialogue,
d’organiser des rendez-vous mensuels entre avocats et magistrats, de garantir
l’accès au juge et de faire remonter les doléances justifiées des avocats, pour
tenter de trouver des solutions.
La
protection que nous entendons offrir s’entend également par une volonté d’être
aux côtés de ceux de nos confrères qui auront été indûment écoutés,
perquisitionnés, mis sous pression, en leur offrant une assistance effective.
Il nous paraît enfin important de réconcilier la grande majorité des
avocats parisiens avec les instances et institutions ordinales, en rendant leur
fonctionnement plus transparent en poursuivant la dynamique mise en place ces
derniers temps et en ouvrant les portes de ces instances à ceux de nos
confrères qui le souhaiteraient.
Comment compteriez-vous agir en faveur de la
parité ?
C’est l’un des enjeux majeurs de notre société. La place des femmes –
au sein du barreau comme au sein de la société – a trop longtemps été piétinée
au profit de celle des hommes.
La profession d’avocat se féminise, le barreau se diversifie et c’est
une excellente chose.
Nous ne pouvons plus tolérer les agissements du passé, d’autant que les
femmes sont de redoutables avocates ! Les sentinelles de la collaboration,
que nous avons évoquées tout à l’heure, seront là aussi pour recenser les
comportements sexistes ou désobligeants et les signaler. Nous serons
intransigeants avec cette question.
Il n’est pas normal, il n’est pas juste, il n’est pas admissible que
les avocates gagnent moins d’argent que les avocats. Il n’est pas acceptable
qu’elles n’évoluent pas aussi vite, qu’elles soient sous-représentées dans
l’actionnariat des cabinets, qu’elles soient pénalisées par la maternité, que
certaines soient contraintes de quitter une profession qu’elles aiment parce
qu’elles n’arrivent pas à concilier enfants en bas âge et carrière.
L’Ordre doit aider les mères de jeunes enfants à trouver des solutions
de garde. L’Ordre doit également garantir l’effectivité des indemnités de
maternité et en faire l’avance au cabinet, pour éviter que l’avocate en congé
maternité n’ait à se préoccuper des problématiques de trésorerie du cabinet.
Il faut changer de prisme. L’Ordre doit, parallèlement, valoriser
toutes les initiatives visant à parvenir à la parité. Nous pourrions créer un
« Label Parité » pour les cabinets soucieux de l’égalité
femmes-hommes, un prix, une récompense, pour les cabinets d’avocats qui
mettraient un point d’honneur à faire avancer ce combat ô combien fondamental.
Nous travaillons sur ces sujets avec des femmes, brillantes,
talentueuses et engagées, qui ont – avec toutes les difficultés que l’on peut
imaginer – réussi à mener de front rôle de mère et carrière d’avocate :
elles sont une référence. Conscientes des difficultés, des sacrifices, des
frustrations, portées par Nathalie Roret, associée de son cabinet, pénaliste
reconnue dans son domaine, femme, mère, il est évident que sous leur impulsion,
la place des femmes au barreau sera un thème majeur de ce mandat.
Quelle serait votre plus-value singulière
pour le barreau ?
Nous sommes déterminés.
La dernière élection au bâtonnat de 2016 nous a énormément appris. Elle nous a renforcés dans nos convictions.
Nous avons rencontré des centaines des confrères, de tous les horizons :
des représentants de nos institutions professionnelles et de nos syndicats, des
avocats moins exposés à la vie institutionnelle du barreau, des avocats
expérimentés et des avocats venant de rejoindre la profession. C’est une
expérience extrêmement enrichissante.
Nous avons changé, évolué.
Nous avons beaucoup travaillé. Nous sommes prêts. Et nous avons envie
de faire bouger les lignes, en restant proches de tous les avocats, accessibles
et disponibles.
Nos succès, mais aussi nos échecs dont nous tirons chaque fois un
enseignement, nous ont rendus plus forts et plus combatifs.
Nous nous connaissons bien. Nous sommes complémentaires. Nous avons –
aussi – su rester unis dans la défaite. Nul doute que nous le serons tout
autant dans le cadre de ce mandat, que nous abordons avec enthousiasme et
passion.
À aucun moment, après cette défaite qui loin de faire de nous de
malheureux candidats désabusés, nous a remis au travail, il n’a été question de
se présenter l’un sans l’autre dans cette aventure extraordinaire qu’est
l’élection au bâtonnat.
Cette volonté de nous investir aux côtés des avocats au service de la
profession donne du sens à notre exercice professionnel.
Nous avons une très bonne connaissance des institutions et de leur
fonctionnement. Nous savons distinguer entre ce qui est de l’Ordre du
réalisable à l’échelle du barreau et ce qui ne relève pas des pouvoirs du
bâtonnier.
Nos expériences professionnelles et ordinales nous ont donné cette
envie de continuer, plus encore, plus fort, à nous investir pour l’avenir des
avocats, pour un barreau de Paris fort, pour un service public de la justice
digne de ce nom, pour des avocats épanouis, respectés, protégés.
Et quel meilleur moyen, alors, que le bâtonnat et le vice-bâtonnat pour
nous permettre de mettre toute notre énergie et notre expérience au service de
la profession.
Pour finir, nous dirons que nous avons une ambition pour le barreau de
Paris et une vision claire de notre mission. Nous aimerions faire rayonner le
barreau et réduire les inégalités qui y existent.
Comment imagineriez-vous accompagner les
mutations de la profession ?
Le barreau d’aujourd’hui n’est plus le même que celui d’il y a vingt
ans. Nous devons accompagner les mutations de la profession. Les institutions
ne doivent pas être déconnectées des réalités de l’exercice de nos confrères.
Pour cela, l’Ordre doit s’ouvrir davantage, être plus accessible, plus
transparent.
Digitalisation, internationalisation, flexibilité, complexification de
la norme, inter-professionnalité, croissance fulgurante du nombre
d’avocats : les mutations de la profession doivent nous amener à
réfléchir, à accepter de changer les choses, à évoluer.
Une des mutations les plus importantes a trait aux nouvelles technologies.
Plus qu’une mutation, c’est une véritable révolution numérique qui bouleverse
tous les secteurs d’activité.
Nous l’avons dit, nous voulons un Ordre numérique. Nous devons être des
avocats connectés !
Or, le retard se creuse quotidiennement entre la demande de droit – des
particuliers comme des entreprises – qui s’exprime directement en ligne sur les
moteurs de recherche et l’offre des avocats qui est trop souvent, soit
inexistante, soit difficilement visible sur les réseaux. Des entreprises
commerciales de prestations de services juridiques en ligne en profitent pour
prospérer et occuper cet espace laissé vacant par les avocats.
Nous avons besoin d’un choc numérique pour que les avocats soient en
mesure de se positionner, de se défendre et de développer leur activité sur ce
marché du droit en ligne.
Cela passera par la défense systématique du périmètre d’exercice des
avocats sur le marché des services juridiques en ligne, par la promotion des
avocats connectés auprès du grand public, par la rédaction d’une charte éthique
et déontologique de l’avocat connecté, par l’encadrement rigoureux des legaltech
partenaires ainsi que par la création d’un Pôle numérique, qui sera chargé de
sécuriser, de former et d’accompagner les avocats. Nous souhaitons organiser un
Campus numérique et la délivrance d’un certificat pour ceux qui auront suivi
une formation spécifique. Nous souhaitons aussi que tous les avocats du barreau
de Paris puissent avoir une adresse e-mail sécurisée. Enfin, nous créerons une
permanence numérique unique pour répondre aux questions des avocats dans leur
processus de sécurité informatique et de transformation numérique et dans leurs
choix des prestataires.
Évidemment, la révolution numérique est loin d’être la seule mutation
affectant la profession d’avocat. Nous devrons aussi travailler sur les
questions liées à l’inter-professionnalité et à la multi-professionnalité, qui
est un point particulièrement important pour rester compétitifs. La question de
l’avocat en entreprise est aussi une préoccupation qui divise les avocats. Le management
des cabinets d’avocats est pareillement en pleine évolution. Les cabinets
doivent donc réfléchir à introduire davantage de flexibilité dans les modes de
collaboration et à admettre plus de diversité dans les parcours individuels.
L’avocat d’aujourd’hui est aussi un avocat qui communique, qui gère son
image, son langage. Mais cette communication digitale de l’avocat, comme son
éventuelle médiatisation, doit s’inscrire dans les limites du serment prêté,
des principes essentiels, de la déontologie et de la confraternité.
Nous avons également remarqué que les avocats ont de plus en plus le
souhait de donner du sens à leur exercice, de participer à un projet collectif,
d’adhérer aux valeurs du cabinet dans lequel ils exercent et de jouir d’un
meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Nous devons
les y encourager.
Enfin, la formation – initiale comme continue – des
avocats est un enjeu crucial de compétitivité et de développement. L’accent
sera mis sur la formation, pour la rendre accessible à tous, plus diversifiée,
plus adaptée à chaque avocat, pour conserver le niveau d’excellence des
avocats.
En tout état de cause, quelles que soient les mutations et évolutions
au sein de la profession, dans notre projet, l’avocat restera toujours le
garant du respect des droits fondamentaux, pour une justice humanisée et
incarnée, soucieuse des droits de la défense et de la protection des plus
faibles.
Propos
recueillis par Cécile Leseur