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Entretien avec Olivier Tournillon, nouveau bâtonnier du Val-de-Marne

Entretien avec Olivier Tournillon, nouveau bâtonnier du Val-de-Marne
Publié le 10/01/2020 à 09:30

Le 1er janvier dernier, Maître Olivier Tournillon, avocat associé au sein du cabinet Modere & Associés, a débuté son mandat de bâtonnier du Val-de-Marne, et ce, pour une durée de deux ans. Élu le 5 novembre dernier, le successeur de la bâtonnière Pascale Taelman défend un barreau « plus fort, plus fier et plus uni ». Quelles sont les priorités de son mandat et quel regard porte-t-il sur les évolutions et réformes qui touchent aujourd’hui la profession ? Entretien.


 


Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?


Après une année de prépa en 1987, j’ai débuté mon cursus universitaire en droit en 1988 et ai prêté serment il y a 23 ans. Cela fait neuf ans que j’ai commencé mon mandat au sein du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne, et cinq ans en tant qu’administrateur CARPA.


 


Vous avez été président de l’UJA du Val-de-Marne et secrétaire du Conseil de l’Ordre. Votre engagement n’est donc pas nouveau. Pourquoi vous êtes-vous présenté au bâtonnat ?


Cet engagement, en parallèle de l’exercice de la profession, m’est apparu évident, nécessaire et même logique, car en tant qu’avocat inscrit dans une « communauté », j’ai aussi eu envie de faire avancer son organisation. C’est pourquoi j’ai voulu présenter ma candidature cette année à l’élection au bâtonnat, dans le but de servir mes confrères et mes consœurs, lesquels m’ont adressé leur confiance, et je les en remercie.


 


Sur quelles priorités souhaiteriez-vous construire votre mandat et quelle orientation souhaitez-vous lui donner ?


Ma candidature s’est principalement construite sur deux axes : la prévention et le développement.


La prévention d’abord. J’ai pour volonté, durant ces deux années de mandat, d’aider mes confrères à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Des difficultés économiques notamment, dépendantes inévitablement du tissu économique du département. Je souhaite ainsi défendre leur capacité d’existence, tout en favorisant dans le Val-de-Marne l’accès à un avocat pour tous les citoyens.


Le développement ensuite. J’ambitionne de redonner au barreau toute sa place au cœur de la cité. Pour cela, je n’envisage pas de n’user que de techniques communicationnelles, même si, bien sûr, faire connaître nos actions est inévitablement important. La profession d’avocat a perdu sa place dans la société. L’avocat est indépendant, ce qui peut faire peur, et c’est, de surcroît, une profession organisée. Ne visant pas à conférer à l’avocat un monopole, je souhaite toutefois lui redonner toute sa place en qualité de conseil. Mes confrères doivent être visibles, formés, et heureux d’exercer afin d’être disponibles pour leur clientèle. Pour résumer, je souhaite redonner du souffle aux avocats du Val-de-Marne.


 


Quelles actions retenez-vous particulièrement de votre prédécesseure, Pascale Taelman ?


Je retiens principalement sa volonté de faire bouger les choses avec conviction et pragmatisme. Elle a su associer son Conseil de l’Ordre dans toute les tâches liées au barreau, afin que celui-ci puisse fonctionner le mieux possible. Impulsée par Madame le bâtonnier, la commission déontologie a notamment créé sous son mandat une structure aidant à régler les situations conflictuelles. Cela s’est avéré bénéfique dans de nombreux cas.


En tant que bâtonnier, je soutiens vivement cette initiative. Il est en effet important de désamorcer en amont des situations avant qu’elles ne s’aggravent. De même, je souhaite également m’appuyer, tout au long de mon mandat, sur le Conseil de l’Ordre. Deux années, ça passe vite, et tout seul on ne peut pas grand-chose. En groupe, on peut plus et mieux !


 


Justement, quelles actions voudriez-vous mettre en place pour maintenir la cohésion au sein du barreau ? 


Le barreau du Val-de-Marne se compose de 570 avocats, et certains clivages et tensions sont parfois palpables. Je souhaite toutefois réaffirmer que je suis aujourd’hui le bâtonnier de tous : c’est un prérequis. Dans ce cadre, je veille à ce que tous les avocats aient plaisir à être un membre du barreau.


Je souhaite aussi redonner du lien social. Depuis le RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats), les avocats se voient peu et n’échangent quasiment plus avec les magistrats ; cela a inévitablement modifié les rapports.
De plus, le virtuel peut aussi amoindrir la volonté de convaincre. Je souhaite que les avocats réapprennent à communiquer pour mieux échanger et exercer.
Le barreau du Val-de-Marne ne dispose, par exemple, d’aucune association autre que professionnelle. À travers des centres d’intérêt communs et l’organisation de manifestations culturelles, j’aimerais redonner au barreau une nouvelle impulsion afin qu’il y règne une plus grande cohésion et convivialité. En juin dernier, par exemple, s’est tenu l’événement « Peintres de Palais », durant lequel les membres  et personnels du tribunal de Créteil et du barreau ont exposé leurs œuvres. Ce fut une belle manifestation. Ce genre d’événement permet aussi d’échanger une passion et de partager un intérêt commun.


 


Quelle place la médiation, et les MARD en général, occupent-ils dans le Val-de-Marne ?


À Créteil, à la fin des années 90 et début 2000, le barreau a créé une association de médiation, laquelle a malheureusement disparu depuis. Toutefois, le recours à une méthode qui ambitionne de contourner l’aspect conflictuel d’un procès reste bien présent. Pour preuve, certains confrères se forment aujourd’hui pour devenir avocats médiateurs. Il serait profitable que le barreau puisse lui aussi proposer une liste d’avocats médiateurs diplômés, notamment via la formation qualifiante de l’IFOMENE, l’Institut de Formation à la médiation et à la négociation.
Les formations sont coûteuses, mais le barreau encourage les confrères qui souhaiteraient s’investir dans cette voie.

 



« Pour résumer, je souhaite redonner du souffle
aux avocats du Val-de-Marne »


  


En cette période de mobilisation contre la réforme des retraites, quel regard portez-vous sur cette actualité ?


C’est un projet que je trouve très violent, et qui révèle surtout la méconnaissance globale du régime des avocats par ceux qui l’ont proposé, car il faut rappeler que le régime des retraites des avocats n’est pas un régime spécial, mais un régime autonome.


D’abord une méconnaissance historique. Créé en 1948 et autonome depuis 1954, les avocats ont mis en place un régime solidaire qui s’autofinance.


Une méconnaissance économique ensuite, car ce régime ne coûte rien au régime général.


Les attaques ainsi subies, dues à un manque de connaissance – et s’inscrivant certainement aussi dans un contexte de tension – sont perçues de façon brutale par les avocats. L’agitation sociale actuelle vise en effet à tout remettre à plat, et ce, sans apporter la moindre distinction. Je sais toutefois que les parlementaires s’y intéressent, et cherchent à comprendre précisément la situation afin de participer largement au débat législatif.


À titre d’exemple, si le projet venait à être validé en l’état, les cotisations des avocats seraient multipliées par deux et, pour la moitié des avocats du Val-de-Marne, aurait des conséquences très lourdes (pour ceux gagnant entre 0 et 40 000 euros par an). Il faut savoir qu’en termes de retraite, les avocats reversent déjà une part pour financer les régimes spéciaux. Aujourd’hui, le régime de base d’un avocat s’élève à 1 480 euros, quels que soient la durée ou le montrant des cotisations. Avec la nouvelle réforme, ce montant baisserait à 1 000 euros.


Aujourd’hui, la profession est attractive, mais l’impact de la réforme est important, ce qui explique la forte mobilisation des avocats qui se battent pour défendre et conserver son régime autonome. Nous étions en effet plus de 20 000 à manifester le 16 septembre dernier, et cela continue. J’ai soutenu la Justice morte du 5 décembre et ai été présent le 6 janvier dernier, et le serai de nouveau le 3 février prochain, pour défendre notre régime au nom des avocats du Val-de-Marne, à l’appel du CNB.


 


Vous qui participez à la formation des futurs avocats en intervenant, depuis 2010, au sein de l’EFB, quel regard portez-vous sur la formation actuelle ?


La formation d’avocat a, pendant longtemps, été dépendante du bâtonnier. Aujourd’hui, la direction de l’École assure une stabilité dans les programmes. Les élèves qui entrent à l’EFB sont issus de cursus divers et de parcours universitaires très différents. L’important est de déterminer le dénominateur commun pour tous les étudiants. La déontologie apparaît être ce socle commun, et a totalement sa place au sein de l’École. C’est donc dans ce domaine que j’interviens au sein de l’EFB. Les étudiants sont très intéressés et en ont souvent, au départ, des idées fausses, parfois véhiculées par les séries télévisées. De plus, avec l’émergence des réseaux sociaux, l’emballement et les addictions sont fréquentes. Il est donc important que la déontologie soit au cœur de la formation des futurs avocats. 


 


Vous dites que vous envisagez de renforcer le « lien social mis à mal par la dématérialisation ». Numérisations, algorithmes, legaltechs… Comment envisagez-vous l’avocat de demain ? Comment souhaitez-vous accompagner la profession vers cette mutation ? Celle-ci est-elle, pour vous, synonyme de déshumanisation ?


On n’ira pas contre l’évolution numérique. Toutefois, il est du rôle de l’avocat d’en tirer le meilleur parti. L’avocat ne doit pas perdre son ADN, ni devenir « victime » de ces nouveautés (notamment avec le poids de l’opinion publique qui, aujourd’hui, peut « noter » un avocat directement sur Internet, une opinion qui peut parfois avoir un impact très négatif).


Le digital est inévitablement source de facilité. Toutefois, en ce qui concerne les recherches dans les bases de données, l’accès n’est pas toujours évident. Je pense alors que le papier a encore toute sa place, même si, je l’avoue, la nouvelle génération est déjà très à l’aise avec ces nouveaux outils.


De plus, comme évoqué plus haut avec le RPVA, le numérique peut parfois être vecteur de déshumanisation et bloquer les échanges humains. Apportant une souplesse de gestion, il tend aussi à aseptiser les échanges. Les avocats et les magistrats ne se rencontrent plus physiquement. Il ne faut pas confondre progrès et mauvaise raison. Le digital améliore le fonctionnement, mais n’est pas un palliatif des moyens humains.


Enfin, concernant les legaltechs qui promettent des services juridiques à moindre coût, là encore, cette concurrence « débridée » me dérange. Il ne faut pas tomber dans une logique consumériste et mercantile.
Le droit n’est pas une consommation. L’avocat, c’est aussi de la confiance, une déontologie, un conseil. Cela est-il numérisable ? Je ne pense pas.


 


Dans cette mutation, vous envisagez également d’accompagner les avocats dans l’organisation et la structuration de leurs cabinets. Pouvez-vous nous en dire plus ?


En effet, il existe une réelle demande de la part des confrères. Le but n’étant pas d’imposer un mode d’exercice, mais de trouver celui qui semble la plus adapté aux besoins. Depuis la loi de 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, les avocats ont la possibilité de se constituer en SCP, plus récemment en société à forme commerciale (SEL), et il existe à présent les sociétés pluriprofessionnelles. Il faut que les avocats qui en ressentent le besoin puissent utiliser cet outil pour se développer. Il permet en effet de mutualiser les coûts (sources documentaires, loyer, bureautique…), et de répondre à l’inflation législative, tout en mettant en place des activités complémentaires. Il faut toutefois, là encore, être vigilant et bien réfléchir aux conditions. Comment les droits, les pouvoirs et le capital seront répartis ? Je ne suis pas pour un cloisonnement (un expert-comptable et un avocat en droit des affaires par exemple peuvent parfaitement être complémentaires), et je pense qu’il est important de bien faire les choses, et défends personnellement le partage proportionnel, avec une égalité de rémunération, et ce, indépendamment de la clientèle apportée. Je suis pour une rémunération de la force de travail. 


 


Cette année s’est tenu le premier Grenelle des violences conjugales. Quel est, selon vous, le rôle de l’avocat dans ce genre d’affaire ?


L’avocat y a toute sa place, notamment dans l’accompagnement des victimes. Mais pour considérer le problème dans son intégralité, il est également important de s’intéresser à l’auteur, qui lui aussi doit être accompagné. La vocation pédagogique du procès pénal est nécessaire, tant pour la victime que pour l’auteur. Il est donc du rôle de l’avocat de s’assurer que ce travail de pédagogie a bien été compris.


Le TGI de Créteil a d’ailleurs été désigné tribunal pilote pour tester une filière d’urgence du traitement judiciaire des violences conjugales. Il est en effet primordial d’accélérer les procédures, mais pas au détriment de la qualité.


Il faut toutefois être vigilant, et pour que ce sujet conserve toute l’importance qui est la sienne, nous devons éviter « l’hystérisation ». Cette problématique ne peut être traitée dans l’urgence, et à ce titre, l’effet d’annonce n’est jamais bon. Elle nécessite une pédagogie, et ce dès le plus jeune âge, notamment auprès des élèves dans les écoles. De plus, il faut revoir les mentalités et éviter, de façon générale, la violence qui n’a jamais été une réponse valable. Le vivre ensemble, c’est la responsabilité de tous.


 


Quel regard portez-vous sur l’ouverture à la profession aux juristes d’entreprise ?


Je suis plutôt favorable à ce que les juristes deviennent avocats. L’inverse me dérange un peu plus, car l’avocat est un professionnel indépendant. Je ne sais pas si le juriste, de par la hiérarchie intrinsèque à l’entreprise, peut profiter de la même indépendance. En entreprise, il peut exister un mélange de déontologie. Je souhaite surtout que l’on préserve l’indépendance de l’avocat.


 


Quel autre métier auriez-vous pu exercer et pourquoi ?


À part avocat, je ne sais pas. Petit, je voulais être pilote d’avion – mon grand-père était commandant de bord à Air France, et engagé durant la guerre dans l’Armée de l’air –, mais la nécessaire maîtrise des mathématiques dans ce type de cursus m’a vite fait déchanter. Puis, j’ai voulu être biologiste… mais là encore, les mathématiques sont inévitablement présentes. Je me suis inscrit à la fac de droit, puis j’ai effectué un stage, en licence, au sein d’un cabinet d’avocat. J’ai alors su que c’était ce que je voulais faire. De plus, j’ai été encouragé par mon oncle, le magistrat Pierre Capoulade, qui nous a quittés à l’automne 2018, qui a été moteur dans ce choix.


 


Quelle est la loi qui devrait être reformée selon vous, et pourquoi ? Ou quelle est la loi/réforme qui vous a particulièrement marqué ?


Il n’y a pas de loi en particulier. Toutefois, je me souviens du volume du Code civil quand j’étais encore étudiant, qui avoisinait celui des années 50. En le comparant avec celui d’aujourd’hui, je ne peux que regretter cette inflation législative qui pèse, laquelle oblige une veille attentive. Il existe aussi un blocage réglementaire qui est pénalisant.
Il faut arrêter avec les « lois de circonstance », surtout qu’il existe déjà des textes. Il me semble qu’il serait préférable de revenir à la stricte définition de la loi.


 


Propos recueillis par Constance Périn


 


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