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Entretien avec Sophie Jonval, Présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

Entretien avec Sophie Jonval, Présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
Publié le 20/02/2018 à 12:23

Sophie Jonval a été élue le 25 janvier dernier présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Succédant à Jean Pouradier Duteil, elle va, durant deux ans, porter la voix de la profession auprès des pouvoirs publics. Pour le Journal Spécial des Sociétés, elle revient sur son parcours, les priorités de son mandat et les enjeux de la profession.




Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?


Après mes études de droit à l’Université de Caen, j’ai obtenu mon examen d’aptitude à la profession de greffier de tribunal de commerce (cet examen est aujourd’hui remplacé par un concours dont la première édition s’est déroulée le 8 février).


Puis, j’ai été nommée greffier des tribunaux de commerce de Lisieux et Honfleur en 1998. En 2005, je me suis installée à Bayeux où j’ai exercé mes fonctions jusqu’en 2009, date à laquelle en raison d’une réforme de la carte judiciaire, j’ai été nommée greffier associée au tribunal de commerce de Caen.


 


Comment souhaitez-vous porter la voix de la profession auprès des pouvoirs publics ? Vous semblent-ils à l’écoute ?


La profession que je représente souhaite s’inscrire dans les projets du gouvernement notamment en matière de digitalisation.


Nous nous sommes engagés depuis plus de trente ans dans la modernisation de nos outils. Depuis l’informatisation des greffes au début des années 80,
nous sommes devenus aujourd’hui acteurs de la dématérialisation et de la digitalisation avec notamment le tribunal digital actuellement en construction. Par ailleurs, depuis maintenant
dix ans, la profession offre la possibilité d’effectuer les formalités au RCS de manière totalement dématérialisée. Ce service efficace et rapide nous permet de répondre aux exigences de simplification de la vie des entreprises voulues par les pouvoirs publics qui sont très à l’écoute sur ces sujets.


 


Le 129e Congrès des greffiers des tribunaux de commerce, qui s’est tenu à La Rochelle le 28 septembre dernier, était consacré à la juridiction commerciale 2.0. Dans ce prolongement, vous avez affirmé vouloir travailler sur le virage numérique de la profession, et notamment sur le « tribunal digital » ? En quoi cela consiste-t-il ?


En effet, nous travaillons actuellement à la construction du tribunal digital qui permettra au justiciable de saisir son juge en ligne. L’entrée dans cette juridiction se fera au moyen d’une identité numérique judiciaire que nous serons bientôt en mesure de délivrer aux dirigeants d’entreprise. Les documents de la procédure seront ensuite échangés par voie électronique, le dirigeant ou son conseil étant connectés au tribunal digital par des moyens d’identification sécurisés. Bien entendu, le processus doit intégrer la signature électronique des jugements et leur communication électronique, qu’il convient de dissocier de l’open data des décisions de justice dans laquelle nous sommes également investis.


 


La profession vous semble-t-elle prête à s’adapter aux nouvelles technologies, tout en conservant, pour reprendre vos mots, « ses valeurs et ses missions de contrôle et d’authentification » ?


Vous abordez ici un sujet capital, une société qui devient numérique est à la fois plus efficace et plus fragile, notre mission de contrôle doit donc rester au cœur du dispositif digitalisé qu’il soit judiciaire ou extrajudiciaire. En effet, le greffier, lorsqu’il procède à une formalité au RCS, exerce un contrôle de légalité des actes de société, mais pas seulement. Une partie majeure de notre contrôle est souvent méconnue : il s’agit notamment du contrôle de l’identité des déclarants, de leur capacité commerciale par la consultation du casier judiciaire ou du fichier national des interdits de gérer, des pièces justificatives fournies à l’appui du dossier…


Nous effectuons également un contrôle de permanence et de cohérence des informations détenues dans les différents registres (mises à jour des adresses, mentions des procédures collectives…). Ce contrôle garantit la sécurité juridique et la transparence dans la vie des affaires. La création d’entreprise ouvre droit à des prestations notamment sociales. Les greffiers des tribunaux de commerce effectuent une véritable mission de police économique indispensable à l’assainissement du tissu social et économique ainsi qu’à la lutte contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme.


Nous souhaitons continuer à mettre en œuvre avec efficacité ces missions de contrôle tout en innovant dans la digitalisation au service des entreprises. Les outils évoluent, les générations et les sociétés également. Les greffiers sont pleinement investis dans l’innovation et la digitalisation, tout en restant attentifs au niveau de sécurité juridique des formalités et des procédures. Il est en effet évident qu’une procédure de recouvrement digitalisée doit garantir au justiciable le respect des règles procédurales et de ses droits fondamentaux.


 


Comment la profession aborde-t-elle la blockhain qui « est en ce moment sur toutes les lèvres », comme vous l’avez exprimé lors des vœux de la profession le 25?janvier dernier ?


Concernant la blockchain, nous étudions actuellement les possibilités de l’utiliser dans le cadre de nos missions ; ce nouvel outil d’échanges sécurisés est très séduisant et ouvre de nouveaux horizons !


 


L’année 2017 a vu la mise en place du FNIG – Fichier national des interdits de gérer. Comment souhaitez-vous renforcer, durant votre mandant, les missions de contrôle du greffier de tribunal de commerce, notamment dans le cadre de la lutte contre la fraude ?


Le FNIG nous permet en effet de renforcer notre contrôle en bloquant, en amont de l’immatriculation au RCS, les personnes qui sont interdites de gérer. Il s’ajoute aux outils de contrôle dont nous disposons déjà et permettent de lutter efficacement contre la fraude. Sur ce sujet, nous travaillons en étroite collaboration avec la Délégation nationale de lutte contre la fraude et Tracfin.


La mise en place du registre des bénéficiaires effectifs depuis août 2017?constitue une étape marquante dans ce processus. Les informations de ce registre, recueillies et contrôlées par le greffier, sont mises à la disposition des autorités en charge de la lutte contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous avons démontré notre capacité à mettre en œuvre ce registre dans un délai contraint par la directive. Nous avons investi de façon conséquente dans l’embauche et la formation des collaborateurs ainsi que dans l’adaptation de nos outils techniques pour un résultat satisfaisant : le registre est opérationnel.


 


Le 8 février dernier, les greffiers ont assisté au premier concours d’accès à la profession. Qu’est-ce que cela représente pour vous et pour la profession ?


La mise en place du concours représente une étape majeure dans l’histoire de notre profession. Si nous avons toujours décrié la méthode qui a présidé à sa mise en place, nous avons, dans nos relations avec les différents ministères, présenté des propositions constructives en vue de l’efficience dudit concours. La première édition a commencé par les épreuves écrites ce 8?février. Viendront ensuite les épreuves orales durant la semaine du 26 mars. Nos lauréats effectueront des stages d’une année dans les greffes des tribunaux de commerce. J’accueillerai donc en 2019?les premiers confrères qui seront nommés à la fin de leur stage.


 


Parmi vos priorités de mandature, vous avez exprimé le souhait d’« accroître la présence de la profession auprès des institutions européennes ». Comment souhaitez-vous mener cette mission ?


La profession travaille en lien avec les institutions européennes depuis plusieurs années. Dans ce cadre, le Registre du commerce français est reconnu comme étant l’un des plus aboutis et modernes. Nous sommes régulièrement invités à partager avec nos homologues et la Commission notre expérience de la digitalisation.


Nous suivons avec attention les travaux liés à la directive relative à l’insolvabilité des entreprises, au paquet numérique et à la digitalisation des procédures qui touchent aux entreprises.


Je souhaite que nous passions à l’étape ultérieure en devenant force de proposition dans notre domaine par la valorisation de nos atouts en termes de sécurité juridique et de modernisation des outils de digitalisation mis à disposition des entreprises.


 


L’immatriculation des associations au Registre du commerce et des sociétés – et le fait qu’elles soient soumises aux mêmes règles de publicité légales que leurs cocontractants – vous apparaît-elle nécessaire ? Pourquoi ?


Tout d’abord, je tiens à préciser que la liberté d’association, qui est une des valeurs de notre République, doit être préservée et il n’y a pas lieu de soumettre l’ensemble des associations à l’immatriculation des entreprises.


Toutefois, de nombreuses associations exercent une véritable activité économique et sont soumises à l’impôt sur les sociétés. Certaines emploient des dizaines voire des centaines de salariés. Il s’agit donc d’étendre la protection du Registre du commerce à ces associations qui ont un impact sur notre économie. L’immatriculation de ces associations leur permettra de gagner en visibilité sur la scène économique et apportera également, pour les pouvoirs publics, la transparence et la confiance économique souhaitées dans ce domaine. C’est déjà le cas dans de nombreux États européens.


Il appartiendra au législateur de positionner le curseur afin que ne soient concernées que les associations qui sont dans la même position économique qu’une société.


 


Parmi les cinq propositions formulées aux candidats lors de la précédente élection présidentielle, le CNG avait exprimé le souhait de « rationaliser les dispositifs de traitement des difficultés des entreprises au sein d’un tribunal économique unique » et « d’avancer à 2018?la mise en œuvre de l’extension de la compétence des tribunaux de commerce pour le contentieux des artisans ». Qu’en est-il aujourd’hui ?


S’agissant de l’extension de la compétence des tribunaux de commerce au contentieux des artisans, les greffiers sont prêts. C’est pour cette raison que nous avions proposé de mettre en œuvre cette réforme dès cette année. Il apparaît toutefois que l’intégration des artisans dans le collège électoral des juges des tribunaux de commerce ne peut être mise en œuvre qu’en 2021.


Nous continuons de porter la proposition du tribunal économique unique pour la prévention et le traitement des difficultés des entreprises qui sont aujourd’hui répartis entre les tribunaux de commerce et les tribunaux de grande instance (TGI).


Cette dichotomie de traitement juridictionnel est obsolète et inadaptée d’autant que le Code de commerce traite de la même façon les procédures amiables et collectives des entreprises sans distinction de la nature de l’activité exercée ni du statut juridique du débiteur.


L’objectif est donc de disposer d’une seule juridiction compétente pour prévenir et traiter les difficultés des entreprises, quel que soit leur activité ou leur statut, afin d’assurer l’égalité de traitement entre tous les acteurs économiques au sein d’une même juridiction et d’alléger la charge des tribunaux de grande instance dont les moyens humains et matériels seraient ainsi libérés au profit de procédures relevant de la compétence naturelle des TGI.


 


Que retenez-vous des deux années de mandature de votre prédécesseur Jean Pouradier Duteil ? Quels engagements souhaitez-vous prolonger ?


La participation de la profession à la rédaction des décrets d’application de la Loi Macron a été un moment particulièrement lourd à porter. Il a fallu continuer à défendre notre métier, ses atouts et ses valeurs, tout en s’inscrivant dans un axe constructif, sans pour autant être toujours entendus. Les propositions de la profession aux candidats et au nouveau gouvernement nous ont permis de nous affranchir de ce passé douloureux, en renouant avec une attitude constructive.


Nous nous projetons dans une nouvelle relation avec les pouvoirs publics que nous espérons empreinte de respect, de confiance et d’un souci mutuel d’avancer sur les sujets d’actualité. Ces qualités auront marqué la présidence de Jean Pouradier Duteil, que je remercie pour le travail accompli, et constituent l’engagement quotidien des greffiers des tribunaux de commerce que j’ai l’honneur de représenter en qualité de présidente du Conseil national.


 


Propos recueillis par Constance Périn et Cécile Leseur


 


 


Biographie de Sophie Jonval



Âgée de 44 ans, mariée et mère de deux enfants (8 et 12 ans), Sophie Jonval a été nommée en 1998 greffier associée des tribunaux de commerce d’Honfleur et de Lisieux, puis greffier du tribunal de commerce de Bayeux en 2005. Elle est associée du greffe de Caen depuis décembre 2008.


Elle est membre du Conseil national depuis 2012 comme déléguée de la cour d’appel de Caen, membre du Bureau depuis 2014, où elle a été successivement chargée de mission puis vice-présidente.


Elle a été membre de la commission disciplinaire (2014), de la commission sociale mixte paritaire (2014), de la commission prospective (2016) et inspecteur des greffes depuis 2014.


 


Le bureau 2018/2019 :


• Présidente : Sophie Jonval, greffier associée du tribunal de commerce de Caen ;


• Vice-Président : Jean-Marc Bahans, greffier associé du tribunal de commerce de Bordeaux ;


• Secrétaire : Philippe Gourlaouen, greffier associé du tribunal de commerce de Lorient ;


• Trésorier : Serge SuperchI, greffier associé du tribunal de commerce de Lyon ;


• Chargée de mission : Caroline Chateau, greffier associée du tribunal de commerce de Nanterre ;


• Chargée de mission : Ariane Merquit-Couchot, greffier associée du tribunal de commerce de Fréjus ;


• Chargé de mission : Thomas Denfer, greffier associé du tribunal de commerce de Paris.


 


 


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