Sophie Jonval a été élue le 25 janvier
dernier présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.
Succédant à Jean Pouradier Duteil, elle va, durant deux ans, porter la voix de
la profession auprès des pouvoirs publics. Pour le Journal Spécial des Sociétés, elle
revient sur son parcours, les priorités de son mandat et les enjeux de la
profession.
Pouvez-vous nous présenter
votre parcours ?
Après mes études de droit à l’Université de Caen,
j’ai obtenu mon examen d’aptitude à la profession de greffier de tribunal de
commerce (cet examen est aujourd’hui remplacé par un concours dont la première
édition s’est déroulée le 8 février).
Puis, j’ai été nommée greffier des tribunaux de
commerce de Lisieux et Honfleur en 1998. En 2005, je me suis installée à Bayeux
où j’ai exercé mes fonctions jusqu’en 2009, date à laquelle en raison d’une
réforme de la carte judiciaire, j’ai été nommée greffier associée au tribunal
de commerce de Caen.
Comment souhaitez-vous
porter la voix de la profession auprès des pouvoirs publics ? Vous
semblent-ils à l’écoute ?
La profession que je représente souhaite s’inscrire
dans les projets du gouvernement notamment en matière de digitalisation.
Nous nous sommes engagés depuis plus de trente ans
dans la modernisation de nos outils. Depuis l’informatisation des greffes au
début des années 80,
nous sommes devenus aujourd’hui acteurs de la dématérialisation et de la
digitalisation avec notamment le tribunal digital actuellement en construction.
Par ailleurs, depuis maintenant
dix ans, la profession offre la possibilité d’effectuer les formalités au RCS
de manière totalement dématérialisée. Ce service efficace et rapide nous permet
de répondre aux exigences de simplification de la vie des entreprises voulues
par les pouvoirs publics qui sont très à l’écoute sur ces sujets.
Le 129e Congrès
des greffiers des tribunaux de commerce, qui s’est tenu à La Rochelle le 28 septembre dernier, était consacré à la juridiction commerciale 2.0. Dans
ce prolongement, vous avez affirmé vouloir travailler sur le virage numérique
de la profession, et notamment sur le « tribunal digital » ?
En quoi cela consiste-t-il ?
En effet, nous travaillons actuellement à la
construction du tribunal digital qui permettra au justiciable de saisir son
juge en ligne. L’entrée dans cette juridiction se fera au moyen d’une identité
numérique judiciaire que nous serons bientôt en mesure de délivrer aux
dirigeants d’entreprise. Les documents de la procédure seront ensuite échangés
par voie électronique, le dirigeant ou son conseil étant connectés au tribunal
digital par des moyens d’identification sécurisés. Bien entendu, le processus
doit intégrer la signature électronique des jugements et leur communication
électronique, qu’il convient de dissocier de l’open data des décisions
de justice dans laquelle nous sommes également investis.
La profession vous
semble-t-elle prête à s’adapter aux nouvelles technologies, tout en conservant,
pour reprendre vos mots, « ses valeurs et ses missions de contrôle et
d’authentification » ?
Vous abordez ici un sujet capital, une société qui
devient numérique est à la fois plus efficace et plus fragile, notre mission de
contrôle doit donc rester au cœur du dispositif digitalisé qu’il soit
judiciaire ou extrajudiciaire. En effet, le greffier, lorsqu’il procède à une
formalité au RCS, exerce un contrôle de légalité des actes de société, mais pas
seulement. Une partie majeure de notre contrôle est souvent méconnue : il
s’agit notamment du contrôle de l’identité des déclarants, de leur capacité
commerciale par la consultation du casier judiciaire ou du fichier national des
interdits de gérer, des pièces justificatives fournies à l’appui du dossier…
Nous effectuons également un contrôle de permanence
et de cohérence des informations détenues dans les différents registres (mises
à jour des adresses, mentions des procédures collectives…). Ce contrôle garantit
la sécurité juridique et la transparence dans la vie des affaires. La création
d’entreprise ouvre droit à des prestations notamment sociales. Les greffiers
des tribunaux de commerce effectuent une véritable mission de police économique
indispensable à l’assainissement du tissu social et économique ainsi qu’à la
lutte contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme.
Nous souhaitons continuer à mettre en œuvre avec
efficacité ces missions de contrôle tout en innovant dans la digitalisation au
service des entreprises. Les outils évoluent, les générations et les sociétés
également. Les greffiers sont pleinement investis dans l’innovation et la
digitalisation, tout en restant attentifs au niveau de sécurité juridique des
formalités et des procédures. Il est en effet évident qu’une procédure de
recouvrement digitalisée doit garantir au justiciable le respect des règles
procédurales et de ses droits fondamentaux.
Comment la profession
aborde-t-elle la blockhain qui « est en ce moment sur toutes les
lèvres », comme vous l’avez exprimé lors des vœux de la profession le
25?janvier dernier ?
Concernant la blockchain, nous étudions
actuellement les possibilités de l’utiliser dans le cadre de nos
missions ; ce nouvel outil d’échanges sécurisés est très séduisant et
ouvre de nouveaux horizons !
L’année 2017 a vu la mise en place du FNIG – Fichier national des interdits de gérer.
Comment souhaitez-vous renforcer, durant votre mandant, les missions de
contrôle du greffier de tribunal de commerce, notamment dans le cadre de la
lutte contre la fraude ?
Le FNIG nous permet en effet de renforcer notre
contrôle en bloquant, en amont de l’immatriculation au RCS, les personnes qui
sont interdites de gérer. Il s’ajoute aux outils de contrôle dont nous
disposons déjà et permettent de lutter efficacement contre la fraude. Sur ce
sujet, nous travaillons en étroite collaboration avec la Délégation nationale
de lutte contre la fraude et Tracfin.
La mise en place du registre des bénéficiaires
effectifs depuis août 2017?constitue une étape marquante dans ce processus. Les informations de ce
registre, recueillies et contrôlées par le greffier, sont mises à la
disposition des autorités en charge de la lutte contre la fraude, le
blanchiment et le financement du terrorisme. Nous avons démontré notre capacité
à mettre en œuvre ce registre dans un délai contraint par la directive. Nous
avons investi de façon conséquente dans l’embauche et la formation des
collaborateurs ainsi que dans l’adaptation de nos outils techniques pour un
résultat satisfaisant : le registre est opérationnel.
Le 8 février dernier, les greffiers ont assisté au premier concours d’accès à
la profession. Qu’est-ce que cela représente pour vous et pour la
profession ?
La mise en place du concours représente une étape
majeure dans l’histoire de notre profession. Si nous avons toujours décrié la
méthode qui a présidé à sa mise en place, nous avons, dans nos relations avec
les différents ministères, présenté des propositions constructives en vue de
l’efficience dudit concours. La première édition a commencé par les épreuves
écrites ce 8?février.
Viendront ensuite les épreuves orales durant la semaine du 26 mars. Nos lauréats
effectueront des stages d’une année dans les greffes des tribunaux de commerce.
J’accueillerai donc en 2019?les premiers confrères qui seront nommés à la fin de leur stage.
Parmi vos priorités de
mandature, vous avez exprimé le souhait d’« accroître la présence de la
profession auprès des institutions européennes ». Comment
souhaitez-vous mener cette mission ?
La profession travaille en lien avec les institutions
européennes depuis plusieurs années. Dans ce cadre, le Registre du commerce
français est reconnu comme étant l’un des plus aboutis et modernes. Nous sommes
régulièrement invités à partager avec nos homologues et la Commission notre
expérience de la digitalisation.
Nous suivons avec attention les travaux liés à la
directive relative à l’insolvabilité des entreprises, au paquet numérique et à
la digitalisation des procédures qui touchent aux entreprises.
Je souhaite que nous passions à l’étape ultérieure en
devenant force de proposition dans notre domaine par la valorisation de nos
atouts en termes de sécurité juridique et de modernisation des outils de
digitalisation mis à disposition des entreprises.
L’immatriculation des
associations au Registre du commerce et des sociétés – et le fait qu’elles
soient soumises aux mêmes règles de publicité légales que leurs cocontractants
– vous apparaît-elle nécessaire ? Pourquoi ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que la liberté
d’association, qui est une des valeurs de notre République, doit être préservée
et il n’y a pas lieu de soumettre l’ensemble des associations à
l’immatriculation des entreprises.
Toutefois, de nombreuses associations exercent une
véritable activité économique et sont soumises à l’impôt sur les sociétés.
Certaines emploient des dizaines voire des centaines de salariés. Il s’agit
donc d’étendre la protection du Registre du commerce à ces associations qui ont
un impact sur notre économie. L’immatriculation de ces associations leur
permettra de gagner en visibilité sur la scène économique et apportera
également, pour les pouvoirs publics, la transparence et la confiance
économique souhaitées dans ce domaine. C’est déjà le cas dans de nombreux États
européens.
Il appartiendra au législateur de positionner le
curseur afin que ne soient concernées que les associations qui sont dans la
même position économique qu’une société.
Parmi les cinq
propositions formulées aux candidats lors de la précédente élection
présidentielle, le CNG avait exprimé le souhait de « rationaliser les
dispositifs de traitement des difficultés des entreprises au sein d’un tribunal
économique unique » et « d’avancer à 2018?la mise en œuvre de l’extension de la compétence des
tribunaux de commerce pour le contentieux des artisans ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
S’agissant de l’extension de la compétence des
tribunaux de commerce au contentieux des artisans, les greffiers sont prêts.
C’est pour cette raison que nous avions proposé de mettre en œuvre cette
réforme dès cette année. Il apparaît toutefois que l’intégration des artisans
dans le collège électoral des juges des tribunaux de commerce ne peut être mise
en œuvre qu’en 2021.
Nous continuons de porter la proposition du tribunal économique unique
pour la prévention et le traitement des difficultés des entreprises qui sont
aujourd’hui répartis entre les tribunaux de commerce et les tribunaux de grande
instance (TGI).
Cette dichotomie de traitement juridictionnel est
obsolète et inadaptée d’autant que le Code de commerce traite de la même façon
les procédures amiables et collectives des entreprises sans distinction de la
nature de l’activité exercée ni du statut juridique du débiteur.
L’objectif est donc de disposer d’une seule
juridiction compétente pour prévenir et traiter les difficultés des
entreprises, quel que soit leur activité ou leur statut, afin d’assurer
l’égalité de traitement entre tous les acteurs économiques au sein d’une même
juridiction et d’alléger la charge des tribunaux de grande instance dont les
moyens humains et matériels seraient ainsi libérés au profit de procédures
relevant de la compétence naturelle des TGI.
Que retenez-vous des deux
années de mandature de votre prédécesseur Jean Pouradier Duteil ? Quels
engagements souhaitez-vous prolonger ?
La participation de la profession à la rédaction des
décrets d’application de la Loi Macron a été un moment particulièrement lourd à
porter. Il a fallu continuer à défendre notre métier, ses atouts et ses valeurs,
tout en s’inscrivant dans un axe constructif, sans pour autant être toujours
entendus. Les propositions de la profession aux candidats et au nouveau
gouvernement nous ont permis de nous affranchir de ce passé douloureux, en
renouant avec une attitude constructive.
Nous nous projetons dans une nouvelle relation avec
les pouvoirs publics que nous espérons empreinte de respect, de confiance et
d’un souci mutuel d’avancer sur les sujets d’actualité. Ces qualités auront
marqué la présidence de Jean Pouradier Duteil, que je remercie pour le travail
accompli, et constituent l’engagement quotidien des greffiers des tribunaux de
commerce que j’ai l’honneur de représenter en qualité de présidente du Conseil
national.
Propos recueillis par Constance Périn et Cécile Leseur
Biographie de Sophie
Jonval
Âgée de 44 ans,
mariée et mère de deux enfants (8 et 12 ans), Sophie Jonval a
été nommée en 1998 greffier associée des
tribunaux de commerce d’Honfleur et de Lisieux, puis greffier du tribunal de
commerce de Bayeux en 2005. Elle est associée du greffe de Caen depuis décembre
2008.
Elle est membre du Conseil national depuis 2012 comme déléguée de la
cour d’appel de Caen, membre du Bureau depuis 2014, où elle a été
successivement chargée de mission puis vice-présidente.
Elle a été membre de la commission disciplinaire
(2014), de la commission sociale mixte paritaire (2014), de la commission
prospective (2016) et inspecteur des greffes depuis 2014.
Le bureau 2018/2019 :
• Présidente : Sophie Jonval, greffier associée du tribunal de
commerce de Caen ;
• Vice-Président : Jean-Marc Bahans, greffier
associé du tribunal de commerce de Bordeaux ;
• Secrétaire : Philippe Gourlaouen, greffier associé du tribunal de
commerce de Lorient ;
• Trésorier : Serge SuperchI, greffier associé du tribunal de
commerce de Lyon ;
• Chargée de mission : Caroline Chateau,
greffier associée du tribunal de commerce de Nanterre ;
• Chargée de mission : Ariane
Merquit-Couchot, greffier associée du tribunal de commerce de Fréjus ;
• Chargé de
mission : Thomas
Denfer, greffier associé du tribunal de commerce de Paris.