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Entretien avec Vincent Maurel, nouveau bâtonnier des Hauts-de-Seine

Entretien avec Vincent Maurel, nouveau bâtonnier des Hauts-de-Seine
Publié le 03/02/2019 à 09:30

Le 1er janvier dernier, Maître Vincent Maurel, succèdant au bâtonnier Pierre-Ann Laugery, a pris ses fonctions à la tête du barreau des Hauts-de-Seine. Agé aujourd’hui de 45 ans, il a prêté serment il y a exactement vingt ans, le 11 janvier 1999. Vincent Maurel est avocat associé au sein du cabinet d’affaires Fidal, qu’il a rejoint en 1998. Il est également vice-président de la caisse nationale des barreaux français (CNBF). Il a enfin été Secrétaire de la Conférence en 2000, a siégé au Conseil de l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine de 2011 à 2016 ainsi qu’au Conseil d’administration de l’HEDAC de 2013 à 2016. Il représentera désormais les plus de 2 200 avocats du barreau pour un mandat de deux ans. Quelles seront les priorités de son bâtonnat ?




Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?


J’ai débuté mes études de droit à l’Université de Poitiers, où j’ai obtenu ce que l’on appelait à l’époque un DESS-DJCE (avec certificat en droit fiscal) et un DEA de droit privé.


J’ai également étudié la Common Law, en Irlande d’abord durant six mois, à l’Université de Galway, puis en Angleterre, à l’Université de Cambridge, au Trinity College, où j’ai passé une année entière.


J’ai ensuite intégré l’école de formation des avocats de Versailles, devenue depuis l’HEDAC, avant de rejoindre en 1998, après différents stages, le Cabinet Fidal, où j’exerce toujours en qualité d’associé, au sein du département Corporate – Banque Finance.


 


Pourquoi vous êtes-vous présenté au bâtonnat ? Comment définiriez-vous la fonction de « bâtonnier » ? Quelles sont ses principales missions ?


J’ai très vite pris goût à la vie ordinale, comme Secrétaire de la Conférence d’abord, puis rapidement ensuite en rejoignant le Conseil de l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine en 2011.
À la même date, j’ai été élu délégué de la CNBF pour les avocats du ressort de la cour d’appel de Versailles.


Peu de temps après, j’ai également pris des fonctions au sein du Conseil d’administration de l’HEDAC et du Conseil Régional de Discipline.


Ces différentes fonctions et mandats m’ont permis d’apprécier notre profession sous de très nombreuses facettes, de travailler sur de nombreuses questions la concernant, de la formation initiale à la liquidation des droits quand sonne l’heure de la retraite… C’est ainsi assez naturellement que j’ai souhaité profiter et faire profiter de cette expérience en présentant ma candidature au bâtonnat.


Les missions du bâtonnier sont d’abord celles de représentation de l’Ordre et de porte-parole des avocats d’une part, de gardien de la discipline et d’arbitre entre les confrères qui connaissent un différend, d’autre part.


Le bâtonnier a aussi pour mission de gérer l’Ordre et de présider le Conseil de l’Ordre.


Mais au-delà de ces missions traditionnelles, je crois que le bâtonnier doit être présent pour chacun de ses confrères lorsqu’ils rencontrent des difficultés. Il doit également « animer » la vie de son barreau : à l’heure de la dématérialisation et alors que l’on se croise de moins en moins, au Palais notamment, il convient de créer de la convivialité à travers des événements qui permettent aux avocats de se retrouver et d’échanger.


 


Sur quelles priorités souhaiteriez-vous construire votre mandat ? Quelle orientation souhaitez-vous lui donner ?


Mon objectif premier est de favoriser l’entrepreneuriat et le développement de nos activités dans un contexte technologique et concurrentiel de plus en plus exigeant.


Mes priorités iront ainsi vers la formation, afin de permettre aux avocats de s’approprier les nouveaux métiers et les nouvelles missions qui s’offrent à nous (MARD, missions de compliance, activités accessoires…) ainsi que notre déontologie. Celle-ci ne doit en effet pas être vue comme une contrainte mais comme une source d’opportunités, avec notamment des règles nouvelles en matière de publicité, d’interprofessionalité, de structures d’exercice, de financement, d’exercice voire d’intégration d’activités non réglementées…


La réalisation de cet objectif passe également par la maîtrise des nouvelles technologies : je vais donc poursuivre les travaux initiés par mon prédécesseur, le bâtonnier Laugery, sur la mise en place de conventions avec des legaltechs au profit des avocats du barreau. Je souhaite également ouvrir la réflexion sur la création d’un incubateur. Je veux toutefois éviter les gadgets. Nous allons donc nous nourrir de l’expérience acquise en la matière par les différents barreaux qui ont déjà créé un incubateur, en nous rapprochant notamment du Réseau National des Incubateurs de Barreaux (RNIB).


Enfin, deux projets me tiennent particulièrement à cœur :


celui de l’ouverture de notre barreau à l’international : je souhaite d’une part, poursuivre et renforcer notre participation aux travaux de la CIB et de l’UIA ainsi que les jumelages qui viennent d’être mis en place avec les barreaux de Beyrouth et de Mons, et d’autre part, créer de nouveaux partenariats avec d’autres barreaux étrangers, africains notamment ;


celui de la solidarité : je souhaite regrouper les bonnes volontés, nombreuses parmi nos confrères, actifs comme honoraires, afin d’aider de multiples façons ceux de nos confrères qui en ont besoin (par l’information, par le tutorat, par l’orientation…).


 


La parité sera-telle au centre de vos préoccupations ?


Non. Mais ne vous méprenez pas : j’y suis favorable, bien sûr. Mais de fait, elle existe aujourd’hui, et c’est tant mieux : le Conseil de l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine se compose de 13 consœurs et 11 confrères. Sur 22 Commissions, 12 sont présidées ou animées par des consœurs.


Notez que je n’ai pas été convaincu et ne le suis toujours pas, par les règles électorales mises en place il y a quelques années pour assurer la parité dans les Conseils de l’Ordre avec les fameux binômes. Ces règles restreignent ceux ou celles qui veulent candidater sur leurs seules idées. Elles les obligent à se trouver un « co-binôme », au détriment du message qu’elles ou qu’ils pourraient initialement souhaiter porter. Certains mêmes renoncent, ne trouvant personne avec qui se présenter.


Il est certain que cette réforme a accéléré la mise en place de la parité au sein des Conseils, mais je pense que celle-ci était quoiqu’il en soit inéluctable : rappelons qu’aujourd’hui, la profession se compose de femmes à 56 %, et que cette tendance est haussière. Il conviendrait à présent de réfléchir à d’autres modalités électorales : l’instauration de collèges hommes/femmes est une piste à explorer.


Dans l’immédiat, je suis toutefois bien plus intéressé par la question de l’égalité des rémunérations et des promotions au sein des cabinets d’avocats (les deux sujets étant d’ailleurs très souvent liés) ainsi que par la lutte contre les discriminations et le harcèlement.


 


M. le bâtonnier Pierre-Ann Laugery et M. le bâtonnier Vincent Maurel lors de la Rentrée de la Conférence du barreau des Hauts-de-Seine, le 16 novembre 2018.



Le barreau des Hauts-de-Seine est jeune (créé en 1972) mais « dynamique, solidaire et un barreau d’affaires ». Comment le décririez-vous ? Quelles sont ses spécificités ?


Vous l’avez parfaitement décrit en quelques mots ! Le barreau des Hauts-de-Seine est en effet le premier barreau d’affaires, deux tiers de ses membres étant associés ou collaborateurs de ce que nous appelons les « grandes structures » : cabinets de réseaux anglo-saxons et grands cabinets français, qui étaient à l’origine des conseils juridiques.


La fusion des professions est maintenant ancienne, et l’on peut dire qu’elle a particulièrement réussi dans notre barreau. Celui-ci a su mixer les deux cultures, pour prendre le meilleur de chacune d’entre elles.


Ainsi, bien que barreau d’affaires, il n’en est pas moins ouvert aux autres secteurs du droit, où il est également particulièrement dynamique et vigilant. Il a été à la pointe du combat contre les cages de verre, qu’il a initié. Il a également organisé et accueilli en décembre dernier les 19es Assises des Avocats d’Enfants. À la Défense. Tout un symbole.


Cette spécificité se traduit par une répartition équilibrée entre avocats issus des deux cultures au sein du Conseil de l’Ordre, où règne une excellente harmonie. Aucun préjugé n’y a sa place et toutes les questions qui y sont discutées, qu’elles concernent la vie du palais ou des préoccupations propres à l’activité de conseil, le sont dans un esprit de concorde, avec la volonté de bien comprendre et d’y apporter les bonnes solutions.


Bref, notre barreau illustre aujourd’hui parfaitement la richesse et la diversité de notre profession.


 


En cette période de mobilisation, quel regard portez-vous sur la réforme de la Justice ?


Un regard attristé. Je regrette un terrible gâchis. Il est certain que la Justice mérite d’être réformée. Nous avons notamment évoqué les nouvelles technologies, et l’on peut difficilement concevoir que la Justice ne s’adapte pas lorsque la société évolue.


Mais sans m’attarder sur le fond, à propos duquel beaucoup a déjà été dit et écrit, et qui est inacceptable sur de nombreux points (sur la place de la victime dans la procédure pénale, sur le transfert à la CAF de la révision des pensions alimentaires, sur l’éloignement des citoyens de la justice et des juges…), on ne peut que regretter la méthode.


Les avocats ont le sentiment d’avoir été trompés… Et aujourd’hui, alors que vient de s’ouvrir le grand débat national voulu par notre Président, il est incompréhensible que les discussions parlementaires autour du projet de loi Justice n’aient pas été suspendues afin que la Justice de demain fasse elle aussi l’objet de ce grand débat…


 


Henri Leclerc était l’invité de la rentrée de la Conférence qui s’est tenue le 16 novembre dernier (voir JSS n° 89 du 12/12/2018). Avez-vous un « mentor », ou une figure qui vous a donné envie de faire ce métier ?


J’avais déjà eu l’occasion d’entendre plaider Henri Leclerc aux assises lorsque j’étais élève-avocat.
Mais j’ai été une fois encore impressionné, pour ne pas dire ému, par son intervention lors de notre rentrée. Celui-ci nous a donné une grande leçon d’éloquence. Il a su également rappeler à chacun d’entre nous ce qu’était l’avocature, sa beauté et les valeurs humanistes qu’elle porte.


Parmi les figures qui m’ont marqué, je citerai Robert Badinter, pour son talent oratoire et, surtout, son combat contre la peine de mort.


Je citerai également, si l’on remonte le temps, ceux qui ont pris la défense d’un homme à rebours d’un pouvoir vengeur, voire sanguinaire : les défenseurs de Louis XVI, et en particulier Malesherbes, qui le paiera de sa vie ; ceux qui ont défendu des militants communistes poursuivis devant la section spéciale de sinistre mémoire, durant l’Occupation, parmi lesquels Jacques Isorni, qui prendra ensuite à la Libération, la défense de collaborateurs. Isorni qui, à la question « De quel côté étiez-vous au moment de la guerre ? », répondit « J’étais du côté des prisonniers. À la Libération, les prisonniers ont changé. Moi, je suis resté du côté des prisonniers ». Traduction, dans la bouche d’un avocat, de la pensée voltairienne selon laquelle il convient de se battre pour que chacun puisse s’exprimer, même si l’on ne partage pas les mêmes idées.


Enfin, je citerai le bâtonnier André Damien, auprès duquel j’ai eu la chance d’apprendre notre déontologie.


 


Quel regard portez-vous sur la formation d’avocat telle qu’elle est actuellement ?


Cette formation est trop longue et parfois mal adaptée.


La plupart des propositions de réforme de la formation initiale adoptées en novembre dernier par le CNB semblent ainsi aller dans le bon sens : hausse du niveau de recrutement, suppression de la passerelle pour les docteurs en droit, diminution de la durée de formation dans les écoles, prééminence de l’épreuve orale de déontologie, dont la note en dessous de la moyenne deviendrait éliminatoire.


Je suis en revanche beaucoup plus sceptique sur la proposition relative à l’accompagnement des jeunes confrères à leur sortie d’école. Si la création d’avocat « accompagnant » en cas d’installation immédiate à titre individuel est adoptée, nous verrons en pratique comment lui donner corps. Mais j’avoue avoir une certaine nostalgie du stage obligatoire de deux ans. À mon sens, nous ne rendons pas service aux jeunes confrères qui viennent d’avoir le CAPA en leur laissant la possibilité de poser directement leur plaque...


Sur le contenu, je crois à la multidisciplinarité et au travail en équipe. Je salue à cet égard le travail remarquable accompli par certaines écoles et en particulier l’HEDAC, avec la mise en place de Modules approfondis de pratiques professionnelles (ou « MAPP ») qui permettent aux élèves-avocats d’appréhender un cas pratique, sous différents angles juridiques. Prenons la restructuration d’entreprise : il leur sera demandé d’analyser celle-ci sous l’angle du droit des sociétés, du droit fiscal, du droit social. Dans un autre secteur, la défense pénale criminelle par exemple, il sera fait appel à des compétences diverses telles que la criminologie, la criminalistique et la défense pénale.


Ainsi, nos futurs confrères vont travailler ensemble de manière transverse, guidés par plusieurs avocats spécialisés.


Je crois également que les écoles d’avocat doivent s’ouvrir aux partenariats. Je citerai à titre d’illustration la convention qui vient d’être signée par l’HEDAC avec HEC Paris, et à travers elle son Mastère Droit et Management International (ou « DMI ») et sa Majeure Stratégie Fiscale et Juridique Internationale.


 


Numérisations, algorithmes, legaltechs… Comment envisagez-vous l’avocat de demain ? Comment souhaitez-vous accompagner la profession vers cette mutation ?


Face aux évolutions technologiques, nous n’avons plus le choix. Il nous faut être agiles et nous approprier celles-ci. Nous devons en être les acteurs et non pas de simples utilisateurs, voire pire, les produits… La multiplication des plateformes de mise en relation crée ce dernier risque.


Il ne faut pas avoir peur du changement, mais il ne faut pas non plus être naïf : notre profession va subir de profondes modifications et beaucoup de nos activités traditionnelles sont appelées à être très sérieusement modifiées, voire à disparaître.
Je prendrai pour seul exemple le droit des sociétés. Depuis quelques années déjà, des missions que je qualifierai de « simples », comme la rédaction de statuts ou l’accompagnement dans le cadre d’actes courants de la vie sociale (approbation des comptes par exemple), sont de plus en plus compliquées à proposer, sauf à accepter des honoraires très bas. Cela s’expliquait principalement par la concurrence d’autres professions réglementées ; cela va terriblement s’accentuer avec la numérisation.
Cela est vrai pour bien d’autres secteurs du droit.


Alors, pour accompagner cette mutation, je l’ai dit : il faut multiplier les formations, faire de notre déontologie un « argument de vente », créer nos propres legaltechs, jouer la carte de l’interprofessionalité.


 


Quel autre métier auriez-vous pu exercer et pourquoi ?


Au lycée, j’avais trois passions. Je les ai toujours d’ailleurs : l’histoire, la politique et le théâtre… Alors peut-être aurais-je pu embrasser un métier en lien avec l’une de ces trois passions. Mais très franchement, je n’ai pas vraiment hésité à la fin de mes études secondaires. Je ne vais pas vous dire que je suis entré en faculté de droit comme on entre en religion, mais je ne me suis pas posé beaucoup de questions. J’ai très vite voulu devenir avocat.


 


Quelle est la loi qui devrait être reformée selon vous, et pourquoi ? Ou quelle est la loi/réforme qui vous a particulièrement marqué ?


Parlons d’une loi très récente : la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale.
Ce n’est pas qu’elle soit marquante en tant que telle, mais disons plutôt qu’elle m’inquiète en ce qu’elle instaure une amende administrative à l’encontre notamment des avocats, qui fourniraient une prestation facilitant une fraude fiscale ou sociale grave.


Avec cette disposition, cette loi, qui pour le reste est parfaitement justifiée par la lutte nécessaire contre la fraude, s’inscrit dans un mouvement général de suspicion à l’égard des avocats qui me déplaît terriblement.


Elle est en outre de nature à remettre en cause notre secret professionnel, à l’instar d’ailleurs d’autres textes qui se profilent. Voyez la Directive Intermédiaire, « DAC 6 », qui met à la charge des intermédiaires, l’obligation de révéler les schémas d’optimisation fiscale transfrontières dits « potentiellement agressifs », et dont nous attendons les textes de transposition. Voyez également le projet de création d’un Examen de Conformité Fiscale, sur lequel travaille Monsieur Gérald Darmanin, dans le cadre de la « Nouvelle Relation de Confiance » qu’il souhaite entre les entreprises et l’administration…


Enfin, pour conclure, je ne mentionnerai pas un texte passé, mais une réforme annoncée, celle des retraites avec la création d’un régime universel, qui impliquerait la disparition de notre Caisse de retraite, la CNBF. Je suis farouchement opposé à une telle disparition. Notre Caisse est équilibrée, pérenne et particulièrement solidaire : solidaire vis-à-vis des caisses déficitaires (auxquelles elle verse chaque année 85 millions d’euros) et solidaire vis-à-vis de ceux d’entre nous qui ont les revenus les plus modestes.


 


Propos recueillis par Constance Périn


 


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