Le 15 novembre dernier s’est tenue la
troisième édition du Grenelle du droit au Palais Brongniart. Avocats, juristes
d’entreprise, notaires, magistrats, mais aussi personnalités politiques se sont
réunis autour d’un programme chargé qui a débuté par une plénière intitulée « La société et le droit, vers un changement de
paradigme ? », qui s’est poursuivie par quatre ateliers. Legal privilege, numérique, extraterritorialité, avocat en
entreprise… les intervenants ont abordé, au cours de cette plénière, toutes les
questions touchant à l’évolution du droit dans notre société moderne.
Comme les deux années précédentes, cette 3e édition du
Grenelle du droit a été organisée de concert par le Cercle Montesquieu et
l’AFJE (Association française des juristes d’entreprise). Anne-Sophie Le Lay,
vice-présidente du Cercle Montesquieu, et Marc Mossé, président de l’AFJE ont
donc introduit et modéré ensemble la plénière « La société et le droit,
vers un changement de paradigme ». Cette dernière a réuni Marie-Aimée
Peyron, bâtonnier du barreau de Paris ; Bernard Spitz, président de la
Commission Europe du MEDEF ; Bertrand Savouré, président de la Chambre des
Notaires de Paris ; Paul-Louis Netter, président du tribunal de Commerce
de Paris ; Olivier Cousi, bâtonnier élu du barreau de Paris ;
Delphine Gallin, présidente de l’ACE ; Jean François de Montgolfier,
directeur des Affaires civiles et du Sceau ; et Raphaël Gauvain, député
LREM à l’origine du rapport sur la protection des entreprises contre les lois
et mesures à portée extraterritoriale.
« Ce rendez-vous est désormais devenu incontournable pour
l’ensemble des professions juridiques. Nous sommes heureux de rassembler de
façon très consensuelle l’ensemble des professions juridiques, y compris les
pouvoirs publics » s’est réjoui Marc Mossé. « Nous allons
aujourd’hui nous poser la question du juriste dans la société, et toutes les
évolutions à venir »,
a déclaré à son tour Anne-Sophie Le Lay avant de lancer la discussion.
Le président de l’AFJE a commencé par faire une remarque globale, à
l’origine selon lui du premier Grenelle : nos sociétés sont de plus en
plus en demande de droit, elles sont en outre travaillées par des fractures
nationales et internationales, et par une révolution industrielle inédite,
c’est-à-dire le numérique, qui bouleverse tous les cadres.
À partir de ce constat général, comment le droit peut être une réponse,
un outil ? Comment peut-on
produire du droit dans ce temps de révolution industrielle et quelles
conséquences en tirer en termes d’organisation de la filière juridique
(formation, organisation, interprofessionnalité) ? N’y aura-t-il pas
demain qu’une seule grande profession du droit ?
Paul-Louis Netter,
Marie-Aimée Peyron et Jean-François de Montgolfier
MONDIALISATION ET
EXTRATERRITORIALITÉ
Bernard Spitz s’est tout d’abord exprimé au nom des entreprises
françaises. Pour lui, nous sommes engagés dans la mondialisation, dans une
sorte de compétition que nous acceptons, à condition qu’il y ait des règles du
jeu et que celles-ci soient les mêmes pour tous.
Ces règles du jeu, ce sont les règles de droit. Celles-ci se cumulent
les unes aux autres du fait de la variété des sujets, et de la multiplicité des
émetteurs de droit.
Dans ce monde globalisé, la question de l’extraterritorialité est, à
son avis, non seulement économique, mais également stratégique. C’est une
question de souveraineté.
Selon ce dernier également, la mise en place du legal
privilege serait une des conditions pour rétablir l’équité au sein de la
compétition internationale entre les États de l’Union européenne, et
particulièrement la France, et les géants comme les États-Unis et la Chine.
En effet, à son avis, la régulation actuelle est
généralement asymétrique. Les Européens ont tendance à appliquer à la lettre la
réglementation européenne et mondiale, contrairement aux autres. Pour cette
raison, selon le président de la commission Europe du MEDEF, « nous
sommes les naïfs qui n’ont pas la capacité de se défendre dans cette
compétition ».
Pour le député Raphaël Gauvain, cette question du
droit comme élément de stratégie est essentielle.
Pour lui en effet, le droit c’est le prolongement de
la guerre économique à l’œuvre actuellement. « Les entreprises sont
confrontées en permanence à des conflits de lois, elles doivent donc s’adapter »
a-t-il affirmé.
Mais pour cela, on doit leur donner les moyens
législatifs afin qu’elles puissent se défendre pleinement au sein de cette
compétition internationale, a-t-il préconisé.
Prenant ensuite la parole au nom de la profession
d’avocat, Marie-Aimée Peyron a affirmé que ce besoin de droit, ce rôle du droit
comme outil stratégique est, depuis un moment déjà, entré dans la culture des
avocats.
En effet, la principale préoccupation d’un avocat
(surtout d’affaires) est de savoir comment positionner au mieux ses clients
dans ce marché international. « Quel meilleur outil que le droit ? »
a-t-elle interpellé l’assistance.
« La justice consulaire a-t-elle pris la
pleine mesure de ce besoin de droit ? » a ensuite demandé Marc
Mossé au président du tribunal de commerce de Paris.
Pour ce dernier, ce qui est frappant, c’est de voir
que les entreprises ont assez rapidement pris la mesure de la mondialisation,
de même que les avocats (Paris est ainsi devenue une place internationale de
droit). Cependant, les juridictions sont quant à elles restées pendant très
longtemps dans leur « pré carré ». « Pensant qu’il
fallait d’abord rendre la justice chez soi, elles n’ont pas pris la mesure de
cette mondialisation » a affirmé Paul-Louis Netter.
Heureusement, a-t-il ajouté, le Brexit a été un
déclic. En effet, à ce moment-là, « on a pris conscience que les
justiciables qui allaient bénéficier de décisions venant de la London court,
n’auraient plus l’exequatur, dans toute l’Union européenne ».
Les juridictions ont donc fini par prendre en compte
les besoins des entreprises et des justiciables, d’où la création des chambres
internationales, notamment à la cour d’appel de Paris.
Avec la révolution numérique et le poids de plus en
plus important des données personnelles, on a l’impression d’une forme « d’individualisation
de la norme juridique ». « En même temps qu’une globalisation,
n’y a-t-il pas un risque d’individualisation extrême de la norme juridique ? »
a ensuite demandé le président de l’AFJE à Jean-François de Montgolfier,
représentant de la Chancellerie.
« Nous sommes évidemment conscients de ces
évolutions », a déclaré le directeur des Affaires civiles et du Sceau.
C’est un véritable défi pour celui qui prépare la norme, de définir quelle est
la place du droit, de même que son propre rôle en tant que rédacteur du droit
parmi tant d’autres, a-t-il ajouté.
Ce qui est certain, a affirmé Jean-François de
Montgolfier, c’est que « si le droit français est un droit qui ne peut
fonctionner sans la puissance publique française, on a aucune chance de
l’exporter ailleurs, et on a toutes les chances que ceux qui ont la possibilité
de choisir leur droit ne choisissent pas celui-là ».
Pour que le droit français ne soit pas seulement
l’instrument de la puissance publique française, il faut donc, selon lui,
envisager un renouveau du droit privé : « On doit se saisir de ce
droit pour en faire un outil de résolution des problèmes » a-t-il
préconisé.
La discussion s’est ensuite concentrée sur la
fabrique du droit et le foisonnement des acteurs du droit aujourd’hui.
PROLIFÉRATION DU DROIT ET MULTIPLICATION
DES ACTEURS
À l’heure actuelle, a fait remarquer Anne-Sophie Le Lay, les
entreprises fabriquent beaucoup de droits : programmes de compliance, soft
law, jurisprudence... sans oublier la justice prédictive et les modes
alternatifs de résolution des différends (MARD). Bonne ou mauvaise
tendance ?
« Le législateur aujourd’hui n’est plus
seul », a reconnu Pierre Berlioz, « il y a beaucoup d’acteurs
du droit ». En outre, ces dernières années ont été marquées, d’après
le directeur de l’EFB, par l’apparition de nouvelles formes de doctrine. Elles
émanent de la part d’Autorités nouvellement créées. Ces dernières sont
présentes dans plusieurs domaines (concurrence, bourse…). Elles viennent, selon
lui, « construire un droit pour satisfaire un besoin d’immédiateté ».
Ces autorités viennent donner dans le détail la procédure à suivre.
Pour le directeur de l’EFB, l’apparition de ces multiples
recommandations « constituent une évolution particulière du droit qui
présente un risque de contradiction ». En effet, a-t-il expliqué,
quand plusieurs Autorités s’expriment sur un même sujet – en matière de données
personnelles par exemple – une confusion des normes aucunement sécurisante et
contraire à l’objectif initial peut apparaître.
Pour Pierre Berlioz, « par la foi qu’on leur accorde, la
contrainte qu’elles provoquent, et en raison de leur degré de précisions »
l’émergence de ces nouvelles autorités peut être perturbante.
De même que face à la justice prédictive, on peut en effet être tenté de
suivre le schéma dicté par ces Autorités sans vraiment se poser de questions.
« Or il faut avoir conscience que ce sont de simples tendances »
a affirmé le directeur de l’EFB.
Paul-Louis Netter a acquiescé à ces propos : cette production
massive de guides de conformité, « c’est extraordinairement angoissant
pour les entreprises » a-t-il jugé. « Cela conduit à une
application sans nuances » a-t-il ajouté.
D’où la question suivante : les entreprises doivent-elles être
celles qui fabriquent le droit ou bien être associées le plus en amont
possible à ces nouvelles règles ? En général, comment celles-ci se
positionnent face à ces nouveaux enjeux de prévention de la corruption ou/et de
cybercriminalité ?
Pour répondre à cette question, Bernard Sptiz est revenu sur la création
– il y a 10-15 ans – des Autorités administratives indépendantes. Pour
lui, ces Autorités ont été créées afin qu’il n’y ait pas trop de décalage entre
le droit, les lois et le réel.
À l’époque, la logique de l’État était la
suivante : « on va faire des règles globales sur lesquelles les
grands principes seront appliqués, et on va mettre de la souplesse en confiant
à des autorités indépendantes, le soin d’évaluer le degré d’adaptabilité des
expériences ou des pratiques, en conformité avec les règles générales »
a expliqué le président de la Commission Europe du MEDEF.
Or, selon lui, ce schéma est actuellement en train d’exploser, car nous
ne sommes plus dans une optique « d’adaptabilité dans le temps »,
mais dans une sorte d’immédiateté.
Cela est très préoccupant. « On assiste à la fois à une folie
d’immédiateté dans le temps, à un empilement de normes, souvent contradictoires
et confuses, et en même temps à une multiplication des acteurs dans un monde
globalisé. S’ajoute à cela la révolution technologique » a expliqué
Bernard Spitz. Ce qui inquiète également ce haut-fonctionnaire, c’est
qu’aujourd’hui, ceux qui n’ont pas de réponses immédiates se sentent obligés de
la créer : les réseaux sociaux, les ONG se chargent ainsi d’édicter les
règles.
« On change vraiment de paradigme, et pour les entreprises
c’est vraiment troublant, même si elles essaient aussi d’émettre des normes (soft
law par exemple) », a-t-il ajouté.
Pour ce dernier, les entreprises devraient en tout cas davantage
s’engager dans la production de normes (RSE, écologie…).
« Chaque acteur doit essayer de trouver sa place et jouer
collectivement, car à la fin des fins on est tous perdants quand il y a ce type
de rapport de force » a-t-il prêché.
Selon le président de la Chambre des notaires de Paris Bertrand Savouré
également, « un certain nombre de dangers sont liés à l’immédiateté ».
Pour lui en effet, « la parole de la norme doit être une parole rare.
Plus la norme sera immédiate et rapide, plus on a un risque d’incohérence entre
les différentes normes édictées » a-t-il affirmé.
Anne-Sophie Le Lay a ensuite interrogé ses invités sur le sujet des
MARDS, des nouvelles formes de droit qui attestent, selon elle, d’une demande
de droit grandissante dans nos sociétés.
MÉDIATION, ARBITRAGE : LES
NOUVELLES FORMES DE DROIT
Pour le président de la Chambre des notaires de Paris, les notaires sont
d’abord des conciliateurs, et non des médiateurs. Ils ont ainsi l’obligation de
trouver le meilleur dénominateur commun entre les parties.
Ces derniers doivent créer le droit à leur mesure et l’appliquer de
manière cohérente à leurs clients au quotidien.
La médiation est cependant très importante, a-t-il reconnu. Les notaires
ont ainsi l’ambition de développer les MARDS dans les litiges familiaux,
notamment l’arbitrage.
De son côté, Delphine Gallin a déclaré que les avocats-conseils
d’entreprise sont historiquement dédiés au conseil et à l’accompagnement des
entreprises. « L’anticipation du risque fait partie de l’essence même
de notre accompagnement et de la manière dont on exerce auprès de nos clients.
C’est presque dans nos gènes que d’envisager la conciliation avant le conflit »
a-t-elle expliqué.
En outre, a-t-elle ajouté, l’entreprise, c’est d’abord une sphère
d’individus, et des conflits humains à gérer.
Pour elle enfin, il y a une déjudiciarisation énorme de notre société,
les MARDS constituent en ce sens une forme d’adaptabilité et de survie, tout
comme l’adaptation des professionnels du droit aux nouvelles technologies.
Olivier Cousi a semblé tout à fait d’accord avec cette analyse. Pour ce
dernier, pour que la réponse des juristes soit efficace, « il faut
rentrer dans une logique d’adaptation au numérique ».
Aujourd’hui, a-t-il précisé, plus de 70 % des questions en matière
juridique sont exprimées directement sur Google.
Or, la réponse offerte par les professions du droit est majoritairement
non numérique, a-t-il noté. Au barreau de Paris par exemple, il y a encore
selon lui du travail à faire en ce sens.
En outre, pour le bâtonnier élu du barreau de Paris, le juriste doit
remplir de multiples fonctions aujourd’hui. Il est un chef de projet, doit
savoir gérer un contrat dans plusieurs juridictions, être un partenaire du chef
d’entreprise. Il est également porteur d’une éthique, il peut donc discuter les
normes, les soft laws, les règles de conformité.
Nos professions sont-elles organisées pour répondre à ces nouveaux
enjeux ? a demandé Marc Mossé, rebondissant sur cette dernière remarque.
Se tournant vers Raphaël Gauvain, il a fait référence au rapport
de ce dernier (Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et
protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale)
dans lequel la première proposition concerne
l’extraterritorialité : « La création de l’avocat entreprise pour
rendre concret le principe de confidentialité au bénéfice des juristes en
entreprise. »
Bertrand Savouré,
Pierre Berlioz et Delphine Gallin
RAPPORT GAUVAIN : LE STATUT
DE L’AVOCAT EN ENTREPRISE
Tout d’abord, « quel est le rapport entre les lois
extraterritoriales et le sujet des avocats en entreprise qui a déjà fait
l’objet d’une dizaine de rapports ? » a commencé Raphaël Gauvain.
Lorsque la mission a été lancée il y a six mois, la question de
l’avocat en entreprise n’était pas du tout envisagée, a-t-il reconnu. Il était
seulement question de moderniser la loi de blocage de 68, et de contrer le Cloud
Act américain.
Cependant, a ajouté le député, « quand on a commencé nos
travaux et à entendre les individus qui œuvrent pour la défense des entreprises
dans les procédures extraterritoriales (directeurs juridiques, avocats…), ce
qui nous a tout de suite frappés c’est la problématique de la confidentialité
des avis juridiques des entreprises » a expliqué le député LREM. En
effet, l’Hexagone est un des seuls pays au monde à ne pas protéger les avis
juridiques internes de ses entreprises.
Or, dans la plupart des autres États, les avis internes et les
consultations des juristes d’entreprises sont protégés, aussi bien dans le
cadre d’un procès civil qu’au cours d’une enquête menée par une autorité
administrative ou judiciaire.
Faisant référence à une affaire en 2014 dans laquelle la BNP, accusée
d'avoir violé l'embargo américain contre l'Iran, Cuba et le Soudan, avait dû
payer près de 10 milliards de dollars aux autorités américaines, Raphaël
Gauvain a certifié que la communication par la BNP de ses avis juridiques
internes au procureur américain « a pesé extrêmement lourd dans
l’ampleur de sa condamnation ».
Ainsi, si la BNP avait été une entreprise italienne, espagnole, ou
allemande, « elle aurait eu la possibilité de ne pas communiquer ces
documents au procureur américain » a-t-il affirmé.
C’est pourquoi, afin de rendre les entreprises françaises moins
vulnérables devant la montée en puissance des lois a portée extraterritoriale,
notamment américaines, le rapport Gauvain a fait de la protection des avis
juridiques internes des entreprises sa proposition n° 1.
Cette mesure a été acceptée par tous, a affirmé Raphaël Gauvain,
cependant, le sujet est beaucoup plus large que ça.
Tout d’abord, a-t-il poursuivi, cette proposition pose un vrai problème
aux enquêteurs français. En effet, avec cette mesure, les avis juridiques
internes des entreprises ne sont plus opposables à ces derniers non plus…
Les juges d’instruction, l’AFA… s’inquiètent par conséquent de ne plus
pouvoir mener d’enquêtes.
C’est pourquoi le rapport Gauvain propose également de créer un nouveau
droit, de protéger ces documents via un legal privilege à la
française. La problématique sera ensuite de définir qui va disposer de cette
nouvelle protection.
Selon le député Gauvain, il a deux solutions : « soit on
crée l’avocat en entreprise, soit, à l’exemple des Belges, on crée une nouvelle
profession réglementée en dotant les juristes d’entreprise de ce nouveau legal
privilege ».
Dans son rapport, ensuite Gauvain exclut cette deuxième option, « car
ça risque de ne pas remplir l’objectif initial ». En effet, a-t-il
précisé, « si on veut que ce legal privilege soit reconnu par
les tribunaux civils comme en procédure pénale, il faut que le titulaire de ce
droit soit membre d’un barreau ».
En outre, a-t-il ajouté, « alors qu’on ne cesse de parler d’une
grande profession du droit qui passerait par un rapprochement entre les
juristes et les avocats, créer une nouvelle profession réglementée, reviendrait
à revenir en arrière », a-t-il estimé.
Dans le rapport, Raphaël Gauvain et ses trois collaborateurs proposent
donc de créer le statut d’avocat en entreprise.
Une proposition qui n’est pas sans provoquer des craintes de la part
des avocats, celle notamment de se voir submergés par les juristes
d’entreprise.
Pour que la transition se fasse en douceur, le rapport propose une voie
d’équilibre, selon les termes du député LREM. Une voie où l’on créerait un
tableau B au sein du barreau qui serait consacré aux avocats salariés en
entreprises. Ainsi, dans un premier temps, « ça ne serait pas tout de
suite généralisé à l’ensemble de la profession ; mais ça serait le choix
de certains barreaux d’ouvrir un tableau B, et surtout le choix de
l’entreprise de réserver par exemple le statut d’avocat en entreprise à
uniquement son directeur juridique, à ses plus proches collaborateurs ou à
l’ensemble des juristes d’entreprise » a expliqué Raphaël Gauvain.
Enfin, dernière garantie : l’avocat en entreprise n’aura pas la
possibilité de plaider pour son entreprise.
En effet, une autre crainte de certains avocats est celle de ne plus
avoir de dossiers à plaider, les entreprises préférant prendre des avocats
salariés pour les représenter.
« Ce que le rapport propose, c’est donc une réforme des petits
pas » a conclu le député à l’origine de cette proposition.
Se voulant rassurante pour les avocats encore sceptiques quant à la
création de l’avocat en entreprise, Marie-Aimée Peyron a précisé que « 60 %
des 30 000?avocats du barreau de Paris ne mettent
jamais les pieds dans un tribunal ». De même, a-t-elle ajouté, « la
plupart de mes interlocuteurs sont des avocats omis ».
En outre, depuis deux ans et demi, le barreau de Paris a mis en
place une disposition conforme au Conseil consultatif des barreaux européens au
terme de laquelle un avocat du barreau de Paris peut également devenir avocat
en entreprise dans tout pays où cela est autorisé.
Ainsi, a précisé le bâtonnier de Paris, chez Microsoft Londres, par
exemple, les avocats français restent inscrits au tableau du barreau de Paris
et peuvent être mutés dans le monde entier. Cependant, puisque notre loi ne
reconnaît pas (encore) le statut d’avocat en entreprise, si ces derniers sont
mutés à Paris, ils doivent immédiatement démissionner du barreau de Paris…
Bref, le barreau de Paris est prêt à expérimenter ce statut de l’avocat
en entreprise, a assuré Marie-Aimée Peyron. « Voyons l’avenir, soyons
ambitieux » s’est-elle écriée enthousiaste.
Le bâtonnier élu Olivier Cousi a promis de son côté que « les
actions en faveur de cette réforme seront poursuivies au cours de mon mandat ».
Quant à Delphine Gallin, elle a fait part de son souhait d’un « changement
plus abrupt ». « Je ne vois pas comment on pourrait avancer
positivement si on ne fait pas une réforme pleine » a-t-elle ajouté en
ce sens.
Certes, a-t-elle reconnu, en province certains barreaux voient
dans cette réforme un point de rupture territoriale, une rupture entre les
barreaux de province et le barreau de Paris. Il faudra donc, selon la
présidente de l’ACE avant tout apaiser cette crainte, « car cette
réforme représente pour nous avocat un extraordinaire moyen de se rapprocher de
l’entreprise (…). Elle nous permettra de renforcer notre place, de nous faire
entrer dans l’entreprise aux côtés du chef d’entreprise » a-t-elle
assuré.
Bernard Spitz a décrété de son côté qu’il y avait urgence :
« ce n’est pas seulement le problème des grandes entreprises, mais de
toutes. Pour qu’on puisse se battre à armes égales avec les autres pays »
a-t-il déclaré.
Enfin, Jean-François de Montgolfier l’a assuré : « avec le
rapport Gauvain, on est sur un changement de paradigme, car celui-ci recherche
d’abord l’intérêt des entreprises ». Ce dernier espère donc que ce
rapport sera vraiment suivi d’effets.
Raphaël Gauvain,
Olivier Cousi et Bernard Spitz
ET MAINTENANT ?
Pour créer l’avocat en entreprise, il reste à l’heure actuelle deux
obstacles à franchir, a précisé Raphaël Gauvain.
D’abord, répondre à l’inquiétude des enquêteurs qui s’interrogent sur
la possibilité de pouvoir continuer à enquêter si un secret leur est opposable
à l’intérieur de l’entreprise. Le gouvernement travaille donc à la définition
du périmètre de cette confidentialité, « afin de trouver le bon
équilibre. »
Deuxième obstacle : la profession d’avocat connaît des divisions
réelles sur le sujet, avec des avocats qui ont des conceptions du métier qui
s’opposent. Pour certains, « l’avocat, c’est avant tout une vie de
palais, pour d’autres c’est différent ».
Donc « soit on fait une réforme abrupte, soit quelque chose de
pas complètement satisfaisant, mais qui marque une vraie avancée. Nous y
travaillons » a affirmé le député LREM.
Pour ce dernier en tout cas, il faut se méfier des réformes trop
radicales (cf. loi Macron de 2015). C’est pourquoi « la réforme des
petits pas n’est pas une absence de réforme ; c’est une réforme
d’équilibre » a-t-il assuré.
Ce dont il est certain en revanche, c’est qu’un débat autour de cette
proposition aura également lieu à l’Assemblée nationale, en amont.
Au terme de cette plénière, Marc Mossé a voulu faire part de son avis
en tant que directeur juridique et ancien avocat.
Selon lui, le Rapport Gauvain répond d’abord à une
question fondamentale : comment faire pour que le droit français soit
puissant, influent, et que nos entreprises puissent être compétitives et bien
protégées ?
Il faut, selon lui, faire cette réforme sans
affecter les principes de l’État de droit, sans créer des divisions au sein des
grands principes de l’État de droit.
Avec le Cercle Montesquieu, il a co-écrit, il y a
peu, un courrier aux pouvoirs publics, a-t-il déclaré à l’occasion de ce
Grenelle.
Dans cette missive, l’AFJE comme le Cercle font le
souhait « d’une réforme ambitieuse, mais qui n’exclut pas de régler les
détails ».
« On ne peut pas ignorer aujourd’hui ce qu’est
la réalité du travail des juristes d’entreprise, discriminer entre les juristes
au sein d’une entreprise, ni même affaiblir – in fine – ce que l’on veut
atteindre comme objectif, c’est-à-dire l’intérêt général. Nous sommes donc
prêts à faire des petits pas, mais un grand pas pour le droit français » a-t-il affirmé en conclusion.
Maria-Angélica
Bailly