En vent nouveau souffle sur la finance
française. Alors qu’il y a, à peine quelques années de cela, nos plus hautes
autorités politiques qualifiaient la finance d’« ennemie », la
France fait aujourd’hui figure de pionnière dans la reconnaissance de la
technologie blockchain dont le Bitcoin est l’application la plus connue du
grand public.
En effet, face à l’essor de cette nouvelle
technologie qui ambitionne à terme de révolutionner le monde des affaires et
l’ensemble de l’économie, notre gouvernement a choisi, contrairement à certains
pays comme les États-Unis ou la Chine, d’encourager ses applications pour en
faire un outil de compétitivité économique.
On rappellera, à titre liminaire, que la
blockchain ou chaîne de blocs est un « mode d’enregistrement de
données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans
l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence
étant protégés contre toute modification (1) ». Cette technologie
permet de crypter et de sécuriser des échanges sans intermédiaire. à terme, elle pourrait ainsi remplacer
la plupart des « tiers de confiance » centralisés (métiers de banques,
notaires, cadastres, etc.) par des systèmes informatiques distribués capables
d’enregistrer les transactions entre deux utilisateurs efficacement et de
manière vérifiable et permanente.
En pratique, cette technologie recouvre trois
principales applications :
- Enregistrer des transactions de manière
sécurisée, immuable et décentralisée
- Transférer des actifs numériques tels que des
crypto-monnaies
- Stocker et encoder numériquement des contrats
permettant leur exécution ultérieure de manière automatique (contrats dits
intelligents ou encore « smart contracts »)
Sur le plan légal, une ordonnance du 9 décembre 2017 est venue, tout d’abord,
consacrer le rôle de la blockchain définie pour l’occasion comme un « dispositif
d’enregistrement électronique partagé » (DEEP) pour représenter et
transmettre les titres financiers non cotés (émission ou cession). L’objectif
de ce texte est double. Il vise à dématérialiser le registre des comptes titres
tout en admettant le transfert de propriété sans passer par un ordre de
mouvement pour les émetteurs grâce à la technologie blockchain.
Même si des interrogations demeurent quant aux
caractéristiques que devra respecter ce nouveau dispositif pour être légalement
reconnu (2), ce texte n’en reste pas moins novateur en ce qu’il est le premier
à donner valeur légale à la technologie blockchain en France.
Une autre application de la technologie
blockchain consiste dans l’émission d’actifs numériques dont les plus connus
sont les crypto-monnaies notamment au travers d’ICOs (Initial Coin Offering).
Cette opération consiste pour une société, généralement à un stade peu avancé
de maturité, à offrir au public via une plateforme basée sur la technologie
blockchain, non pas des valeurs mobilières comme dans le cadre d’une IPO (Initial
Purchase Offering) mais des actifs numériques appelés « tokens »
ou « jetons » qui seront échangeables contre des
crypto-monnaies grâce à la technologie blockchain.
La particularité de ces jetons réside dans la
nature différente des droits qu’ils confèrent à leur titulaire : ce peut
être un droit financier ou politique mais surtout, et c’est là que réside
l’innovation, un droit d’accès ou d’utilisation d’une application ou d’un
service qui sera développé par la société émettrice grâce aux fonds levés. En
pratique, cette nouvelle façon de lever des fonds se fait la plupart du temps
en trois phases : une pré-annonce du lancement de l’offre d’émission, la
publication d’un executive summary décrivant sommairement le projet à
financer, puis d’un « livre blanc » ou « white paper »
qui détaille les éléments commerciaux, technologiques et financiers de l’offre
dont notamment les modalités d’acquisition des jetons et des droits qu’ils
confèrent, l’utilisation des fonds levés ainsi que la durée de l’ICO.
Pour les jeunes sociétés en recherche de
financement, l’intérêt d’une ICO est triple : (i) elle permet tout d’abord
de toucher un public d’investisseurs extrêmement large en très peu de temps
puisque grâce à la technologie blockchain, un investisseur où qu’il soit sur la
planète pourra souscrire à l’ICO sans intermédiation ; (ii) ce type d’opération
permet ensuite de financier des sociétés à un stade de développement très
précoce – ce que ne permet pas une IPO qui suppose une maturité du business
model de l’émetteur ainsi que l’existence de résultats financiers antérieurs ;
et enfin (iii), une ICO peut être réalisée dans des délais extrêmement courts
par rapport à un processus classique de levée de fonds auprès de business
angels ou de fonds de capital-risque qui prendra souvent plusieurs mois
alors qu’une ICO pourra être réalisée en quelques jours ou quelques semaines
seulement.
Ainsi en 2017, quatre milliards de dollars ont
été levés dans le monde via des ICOs selon une étude du cabinet EY. Si nous
partageons l’enthousiasme que suscite le développement de ce mode alternatif de
financement, certains risques associés à ce type d’opération ne peuvent être
complètement éludés : absence de fiabilité des informations communiquées sur
les projets à financer, forte volatilité du cours des crypto-monnaies (le cours
du Bitcoin est passé de 20 000 dollars en décembre 2017 à moins de
7 000 dollars aujourd’hui), faible sécurité de certaines plateformes
favorisant le risque d’escroquerie.
Face à ce constat, l’AMF a lancé, en octobre
2017, une consultation publique sur l’opportunité de réglementer ce type d’opérations.
Les résultats de cette consultation publiés le 22 février dernier sont très
clairs et militent en faveur de la définition d’un nouveau cadre
juridique spécifique aux ICOs prévoyant des garanties appropriées pour les
investisseurs, notamment en matière de fiabilité de l’information,
d’utilisation sécurisée de la blockchain ou de séquestre des fonds levés.
Prenant acte des résultats de cette
consultation, le gouvernement a décidé d’agir vite et a indiqué que le prochain
plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (loi dite
« PACTE ») dont le projet sera présenté en Conseil des
ministres dans les prochaines semaines, instituera une procédure de visa
optionnel, c’est-à-dire la possibilité pour l’AMF de donner un visa aux entreprises
émettrices de jetons qui respecteront certaines obligations de nature à
protéger les investisseurs.
à l’avenir,
deux types d’ICO devraient donc coexister : celles visées par l’AMF qui devront
respecter certaines préconisations destinées à protéger les investisseurs, et
celles visées par l’AMF qui continueront à exister mais qui deviendront
probablement moins attractives pour les investisseurs.
Gageons que ce nouveau cadre législatif, s’il
est adopté rapidement, assurera une meilleure protection des investisseurs tout
en conférant un avantage compétitif à la France dans la bataille qui s’annonce
rude pour faire de Paris, la première place financière d’Europe post-Brexit.
1) Définition donnée par le vocabulaire de l’informatique
et de l’Internet publié au JO du 23 mai 2017.
2)
Ce texte n’entrera toutefois en vigueur qu’une fois publié son décret
d’application prévu au plus tard le
1er juillet 2018
Stéphane Bénézant
Avocat associé,
Cabinet Granrut