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ICO : un nouveau mode de financement en voie d’encadrement

ICO : un nouveau mode de financement  en voie d’encadrement
Publié le 29/04/2018 à 09:00

En vent nouveau souffle sur la finance française. Alors qu’il y a, à peine quelques années de cela, nos plus hautes autorités politiques qualifiaient la finance d’« ennemie », la France fait aujourd’hui figure de pionnière dans la reconnaissance de la technologie blockchain dont le Bitcoin est l’application la plus connue du grand public.


En effet, face à l’essor de cette nouvelle technologie qui ambitionne à terme de révolutionner le monde des affaires et l’ensemble de l’économie, notre gouvernement a choisi, contrairement à certains pays comme les États-Unis ou la Chine, d’encourager ses applications pour en faire un outil de compétitivité économique.


On rappellera, à titre liminaire, que la blockchain ou chaîne de blocs est un  « mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification (1) ». Cette technologie permet de crypter et de sécuriser des échanges sans intermédiaire. à terme, elle pourrait ainsi remplacer la plupart des « tiers de confiance » centralisés (métiers de banques, notaires, cadastres, etc.) par des systèmes informatiques distribués capables d’enregistrer les transactions entre deux utilisateurs efficacement et de manière vérifiable et permanente.


En pratique, cette technologie recouvre trois principales applications :


- Enregistrer des transactions de manière sécurisée, immuable et décentralisée


- Transférer des actifs numériques tels que des crypto-monnaies


- Stocker et encoder numériquement des contrats permettant leur exécution ultérieure de manière automatique (contrats dits intelligents ou encore « smart contracts »)


Sur le plan légal, une ordonnance du  9 décembre 2017 est venue, tout d’abord, consacrer le rôle de la blockchain définie pour l’occasion comme un « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP) pour représenter et transmettre les titres financiers non cotés (émission ou cession). L’objectif de ce texte est double. Il vise à dématérialiser le registre des comptes titres tout en admettant le transfert de propriété sans passer par un ordre de mouvement pour les émetteurs grâce à la technologie blockchain.


Même si des interrogations demeurent quant aux caractéristiques que devra respecter ce nouveau dispositif pour être légalement reconnu (2), ce texte n’en reste pas moins novateur en ce qu’il est le premier à donner valeur légale à la technologie blockchain en France.


Une autre application de la technologie blockchain consiste dans l’émission d’actifs numériques dont les plus connus sont les crypto-monnaies notamment au travers d’ICOs (Initial Coin Offering). Cette opération consiste pour une société, généralement à un stade peu avancé de maturité, à offrir au public via une plateforme basée sur la technologie blockchain, non pas des valeurs mobilières comme dans le cadre d’une IPO (Initial Purchase Offering) mais des actifs numériques appelés « tokens » ou « jetons » qui seront échangeables contre des crypto-monnaies grâce à la technologie blockchain.


La particularité de ces jetons réside dans la nature différente des droits qu’ils confèrent à leur titulaire : ce peut être un droit financier ou politique mais surtout, et c’est là que réside l’innovation, un droit d’accès ou d’utilisation d’une application ou d’un service qui sera développé par la société émettrice grâce aux fonds levés. En pratique, cette nouvelle façon de lever des fonds se fait la plupart du temps en trois phases : une pré-annonce du lancement de l’offre d’émission, la publication d’un executive summary décrivant sommairement le projet à financer, puis d’un « livre blanc » ou « white paper » qui détaille les éléments commerciaux, technologiques et financiers de l’offre dont notamment les modalités d’acquisition des jetons et des droits qu’ils confèrent, l’utilisation des fonds levés ainsi que la durée de l’ICO.


Pour les jeunes sociétés en recherche de financement, l’intérêt d’une ICO est triple : (i) elle permet tout d’abord de toucher un public d’investisseurs extrêmement large en très peu de temps puisque grâce à la technologie blockchain, un investisseur où qu’il soit sur la planète pourra souscrire à l’ICO sans intermédiation ; (ii) ce type d’opération permet ensuite de financier des sociétés à un stade de développement très précoce – ce que ne permet pas une IPO qui suppose une maturité du business model de l’émetteur ainsi que l’existence de résultats financiers antérieurs ; et enfin (iii), une ICO peut être réalisée dans des délais extrêmement courts par rapport à un processus classique de levée de fonds auprès de business angels ou de fonds de capital-risque qui prendra souvent plusieurs mois alors qu’une ICO pourra être réalisée en quelques jours ou quelques semaines seulement.


Ainsi en 2017, quatre milliards de dollars ont été levés dans le monde via des ICOs selon une étude du cabinet EY. Si nous partageons l’enthousiasme que suscite le développement de ce mode alternatif de financement, certains risques associés à ce type d’opération ne peuvent être complètement éludés : absence de fiabilité des informations communiquées sur les projets à financer, forte volatilité du cours des crypto-monnaies (le cours du Bitcoin est passé de 20 000 dollars en décembre 2017 à moins de 7 000 dollars aujourd’hui), faible sécurité de certaines plateformes favorisant le risque d’escroquerie.


Face à ce constat, l’AMF a lancé, en octobre 2017, une consultation publique sur l’opportunité de réglementer ce type d’opérations. Les résultats de cette consultation publiés le 22 février dernier sont très clairs et militent en faveur de la définition d’un nouveau cadre juridique spécifique aux ICOs prévoyant des garanties appropriées pour les investisseurs, notamment en matière de fiabilité de l’information, d’utilisation sécurisée de la blockchain ou de séquestre des fonds levés.


Prenant acte des résultats de cette consultation, le gouvernement a décidé d’agir vite et a indiqué que le prochain plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (loi dite « PACTE ») dont le projet sera présenté en Conseil des ministres dans les prochaines semaines, instituera une procédure de visa optionnel, c’est-à-dire la possibilité pour l’AMF de donner un visa aux entreprises émettrices de jetons qui respecteront certaines obligations de nature à protéger les investisseurs.


à l’avenir, deux types d’ICO devraient donc coexister : celles visées par l’AMF qui devront respecter certaines préconisations destinées à protéger les investisseurs, et celles visées par l’AMF qui continueront à exister mais qui deviendront probablement moins attractives pour les investisseurs.


Gageons que ce nouveau cadre législatif, s’il est adopté rapidement, assurera une meilleure protection des investisseurs tout en conférant un avantage compétitif à la France dans la bataille qui s’annonce rude pour faire de Paris, la première place financière d’Europe post-Brexit.


1) Définition donnée par le vocabulaire de l’informatique et de l’Internet publié au JO du 23 mai 2017.

2) Ce texte n’entrera toutefois en vigueur qu’une fois publié son décret d’application prévu au plus tard le
1er juillet 2018



Stéphane Bénézant

Avocat associé,

Cabinet Granrut


 


 


 


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