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Inauguration de la chambre commerciale internationale à la cour d’appel de Paris

Inauguration de la chambre commerciale internationale à la cour d’appel de Paris
Publié le 27/02/2018 à 16:16


Annoncée en décembre 2017, la création de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris a été entérinée le 7 février dernier avec la signature de deux protocoles, en présence de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Dans le contexte du Brexit, cette chambre nourrit surtout un dessein économique : renforcer l’attractivité juridique de Paris, « première place d’arbitrage ».




C’est sous les yeux attentifs de la ministre de la Justice que Chantal Arens, Première présidente de la cour d’appel de Paris ; Catherine Champrenault, procureur général près de la cour d’appel de Paris ; Jean Messinesi, président du tribunal de commerce de Paris ; et Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, ont procédé à la signature des protocoles de mise en place d’une nouvelle chambre internationale de commerce, le 7 février dernier, à la cour d’appel de Paris.


À travers la création de cette chambre, l’objectif avancé par Nicole Belloubet est clair : « il s’agit de renforcer l’attractivité économique de Paris et de contribuer au rayonnement de la France et des juridictions françaises ». « Il est temps de démontrer que la justice française est capable de s’adapter aux enjeux du monde contemporain », a martelé la ministre de la Justice.


Si Paris est dotée depuis dix ans d’une chambre internationale au tribunal de commerce, celle-ci « se sentait un peu seule », a déploré Jean Messinesi. Le président du tribunal de commerce de Paris l’a souligné : la création de cette nouvelle chambre à la cour d’appel est donc destinée à renforcer l’offre juridictionnelle parisienne en l’enrichissant d’un degré de juridiction pour les appels. La nouvelle chambre internationale connaîtra ainsi de l’appel des litiges transnationaux de droit des affaires, soit entre sociétés françaises et étrangères, soit entre sociétés étrangères, lorsqu’elles ont désigné les juridictions situées dans le ressort de la cour d’appel de Paris. Quant au droit applicable au litige, « la cour appliquera au fond le droit français ou tout autre règle de droit étranger applicable. En revanche, la procédure civile française sera la seule applicable », a détaillé Nicole Belloubet. « Les décisions rendues auront autorité de chose jugée et force exécutoire au sein de l’espace européen », a encore précisé la ministre.


Reste la question de la langue utilisée lors de l’audience, eu égard à l’aspect international du litige ; l’utilisation de l’anglais étant mise en péril par la Constitution, qui requiert l’usage du français. Toute la difficulté du projet était de trouver un nécessaire équilibre entre ces deux impératifs, comme l’a affirmé la garde des Sceaux : « Si la juridiction doit être à même de répondre aux exigences du commerce international, elle ne doit en aucun cas être perçue comme un signal de nature à neutraliser les efforts pour favoriser l’utilisation de la langue française ». Selon la solution trouvée, les parties, les techniciens et les avocats, lorsqu’ils sont étrangers, sont donc autorisés à s’exprimer en anglais, mais les débats doivent faire l’objet d’une traduction en français. L’arrêt final doit être rédigé en français et accompagné d’une traduction en anglais.


 


Adapter le système juridictionnel aux enjeux économiques


Les signataires des deux protocoles se sont tous accordés à dire que la chambre était destinée à tirer profit du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ; un défi majeur. Comme l’a énoncé la Première présidente de la cour d’appel de Paris Chantal Arens, « il s’agit d’adapter le système juridictionnel français aux enjeux économiques et juridiques internationaux contemporains dans un contexte nouveau de Brexit ». Un contexte qui, selon Nicole Belloubet, « a suscité des inquiétudes, mais constitue paradoxalement une opportunité ». En effet, après le Brexit, les décisions rendues par les juridictions britanniques ne bénéficieront plus de la reconnaissance mutuelle sans procédure de réception et d’exequatur – signifiant ainsi que les décisions rendues par les tribunaux britanniques ne seront plus applicables directement dans les juridictions des pays de l’Union européenne. Les opérateurs internationaux pourraient donc être enclins à désigner un autre droit que le droit anglais, et/ou d’autres juridictions. « Cependant, eu égard à la localisation et à la culture juridique des parties aux contrats juridiques internationaux, il est peu probable que ces opérateurs renoncent au choix du droit anglais », a tempéré Catherine Champrenault. Le procureur général en est convaincu : « pour que les juridictions françaises puissent attirer le contentieux et localiser en France l’activité judiciaire et juridique qui en résulte, elles doivent convaincre les opérateurs de leur aptitude à régler les litiges contractuels internationaux quel que soit le droit applicable ». Sur ce point, Jean Messinesi a également appelé à un plus grand effort de la part des magistrats, « pour faire connaître nos talents, notre droit, notre procédure, mais aussi les avantages en termes de rapidité et de coûts qu’offrent nos juridictions ».
« Il faut que nous nous ouvrions aux autres et que nous offrions le bénéfice de notre génie français, associé à notre compréhension de leur propre approche du droit et résolution des conflits », a ajouté le président du tribunal de commerce de Paris. Le bâtonnier au barreau de Paris Marie-Aimée Peyron a pour sa part garanti que les avocats de la capitale assureraient la promotion de la chambre, « notamment en faisant insérer des clauses attributives de compétence au profit des juridictions internationales ».


En attendant, le modèle anglais reste un exemple en matière d’attractivité. « Les financiers ne sont pas les seuls à la City, où œuvrent des milliers d’avocats, de juristes et d’experts, qui interviennent de façon intense – grâce à la prédominance de la place de Londres – dans le traitement des contentieux liés au commerce international », a commenté Catherine Champrenault. Comme l’a indiqué le procureur général, le marché des services juridiques appliqué aux seules affaires commerciales a ainsi représenté outre-Manche en 2016 plus de 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires. À titre de comparaison, la filière du droit en France dans son ensemble (juristes, avocats, huissiers, notaires) a atteint la même année un chiffre d’affaires d’un peu plus de 31 milliards euros.


 


Un environnement judiciaire favorable


Pour répondre aux enjeux économiques auxquels elle fait face, la chambre commerciale internationale peut s’appuyer sur de solides acquis, à l’instar d’un rayonnement déjà important des juridictions de la capitale. « La réputation de Paris est bien établie, s’est ainsi félicitée la ministre de la Justice. L’institution judiciaire peut s’enorgueillir de voir œuvrer quotidiennement des magistrats capables d’utiliser le droit étranger et de pratiquer une langue étrangère ». Par ailleurs, comme l’a souligné le bâtonnier Marie-Aimée Peyron, « Paris, place de droit, place d’arbitrage », la capitale occupe le premier rang européen dans ce domaine. À cet égard, Paris dispose déjà de « l’atout maître que constitue son succès en matière d’arbitrage international dans la course-poursuite au marché de la common law », a affirmé le procureur Catherine Champrennault, puisque, dans la perspective du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, Francfort, Bruxelles et Amsterdam souhaitent également se doter de dispositifs semblables à la chambre commerciale internationale.  


La chambre est en outre instituée au sein d’une juridiction reconnue pour sa compétence. En effet, si la cour d’appel de Paris va devoir s’adapter à une procédure civile internationalisée, les chambres du pôle économique traitent déjà régulièrement de dossiers techniques comportant des éléments d’extranéité, tels que des contrats commerciaux, de transport ou d’énergie. Par ailleurs, « la cour d’appel dispose d’une expertise reconnue en matière de droit internat des affaires », a fait valoir la Première présidente de la cour d’appel de Paris. Chantal Arens a également vanté « l’hyperspécialisation » de la cour, qui a compétence exclusive en matière civile et commerciale. « La cour d’appel est en capacité de dire le droit avec force dans des contentieux complexes, volumineux, et de rendre des décisions claires, applicables, prévisibles, qui seront par la suite commentées et fortement analysées par la doctrine », a ajouté la Première présidente. « Sans doute notre culture juridique nationale est un peu éloignée des modes de preuves de pays de common law, mais l’expérience tirée de la CJUE démontre quotidiennement que ce système procédural pénètre désormais aussi nos façons de juger », a estimé Catherine Champrenault, qui a fait le souhait que le parquet fasse office d’« aiguillon » dans le renouvellement des méthodes procédurales, « certes nouvelles mais non étrangères à notre droit ».


 


Bérengère Margaritelli


 


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