Annoncée en décembre 2017, la création
de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris a été entérinée le
7 février dernier avec la signature de deux protocoles, en présence
de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Dans le contexte du Brexit, cette
chambre nourrit surtout un dessein économique : renforcer l’attractivité
juridique de Paris, « première place d’arbitrage ».
C’est sous les yeux attentifs de la ministre de la
Justice que Chantal Arens, Première présidente de la cour d’appel de
Paris ; Catherine Champrenault, procureur général près de la
cour d’appel de Paris ; Jean Messinesi, président du tribunal de commerce
de Paris ; et Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, ont procédé à la
signature des protocoles de mise en place d’une nouvelle chambre internationale
de commerce, le 7 février dernier, à la cour d’appel de
Paris.
À travers la création de cette chambre, l’objectif
avancé par Nicole Belloubet est clair : « il s’agit de renforcer
l’attractivité économique de Paris et de contribuer au rayonnement de la France
et des juridictions françaises ». « Il est temps de démontrer que la
justice française est capable de s’adapter aux enjeux du monde
contemporain », a martelé la ministre de la Justice.
Si Paris est dotée depuis dix ans d’une chambre
internationale au tribunal de commerce, celle-ci « se sentait un peu
seule », a déploré Jean Messinesi. Le président du tribunal de
commerce de Paris l’a souligné : la création de cette nouvelle chambre à
la cour d’appel est donc destinée à renforcer l’offre juridictionnelle
parisienne en l’enrichissant d’un degré de juridiction pour les appels. La
nouvelle chambre internationale connaîtra ainsi de l’appel des litiges
transnationaux de droit des affaires, soit entre sociétés françaises et
étrangères, soit entre sociétés étrangères, lorsqu’elles ont désigné les
juridictions situées dans le ressort de la cour d’appel de Paris. Quant au
droit applicable au litige, « la cour appliquera au fond le droit
français ou tout autre règle de droit étranger applicable. En revanche, la
procédure civile française sera la seule applicable », a détaillé
Nicole Belloubet. « Les décisions rendues auront autorité de chose
jugée et force exécutoire au sein de l’espace européen », a encore
précisé la ministre.
Reste la question de la langue utilisée lors de
l’audience, eu égard à l’aspect international du litige ; l’utilisation de
l’anglais étant mise en péril par la Constitution, qui requiert l’usage du
français. Toute la difficulté du projet était de trouver un nécessaire
équilibre entre ces deux impératifs, comme l’a affirmé la garde des
Sceaux : « Si la juridiction doit être à même de répondre aux
exigences du commerce international, elle ne doit en aucun cas être perçue
comme un signal de nature à neutraliser les efforts pour favoriser
l’utilisation de la langue française ». Selon la solution trouvée, les
parties, les techniciens et les avocats, lorsqu’ils sont étrangers, sont donc
autorisés à s’exprimer en anglais, mais les débats doivent faire l’objet d’une
traduction en français. L’arrêt final doit être rédigé en français et
accompagné d’une traduction en anglais.
Adapter le système juridictionnel
aux enjeux économiques
Les signataires des deux protocoles se sont tous
accordés à dire que la chambre était destinée à tirer profit du retrait du
Royaume-Uni de l’Union européenne ; un défi majeur. Comme l’a énoncé la
Première présidente de la cour d’appel de Paris Chantal Arens, « il
s’agit d’adapter le système juridictionnel français aux enjeux économiques et
juridiques internationaux contemporains dans un contexte nouveau de Brexit ».
Un contexte qui, selon Nicole Belloubet, « a suscité des inquiétudes,
mais constitue paradoxalement une opportunité ». En effet, après le
Brexit, les décisions rendues par les juridictions britanniques ne
bénéficieront plus de la reconnaissance mutuelle sans procédure de réception et
d’exequatur – signifiant ainsi que les décisions rendues par les tribunaux
britanniques ne seront plus applicables directement dans les juridictions des
pays de l’Union européenne. Les opérateurs internationaux pourraient donc être
enclins à désigner un autre droit que le droit anglais, et/ou d’autres
juridictions. « Cependant, eu égard à la localisation et à la culture
juridique des parties aux contrats juridiques internationaux, il est peu
probable que ces opérateurs renoncent au choix du droit anglais », a
tempéré Catherine Champrenault. Le procureur général en est convaincu :
« pour que les juridictions françaises puissent attirer le contentieux
et localiser en France l’activité judiciaire et juridique qui en résulte, elles
doivent convaincre les opérateurs de leur aptitude à régler les litiges
contractuels internationaux quel que soit le droit applicable ». Sur
ce point, Jean Messinesi a également appelé à un plus grand effort de la part
des magistrats, « pour faire connaître nos talents, notre droit, notre
procédure, mais aussi les avantages en termes de rapidité et de coûts
qu’offrent nos juridictions ».
« Il faut que nous nous ouvrions aux autres et que nous
offrions le bénéfice de notre génie français, associé à notre
compréhension de leur propre approche du droit et résolution des conflits »,
a ajouté le président du tribunal de commerce de Paris. Le bâtonnier au barreau
de Paris Marie-Aimée Peyron a pour sa part garanti que les avocats de la
capitale assureraient la promotion de la chambre, « notamment en
faisant insérer des clauses attributives de compétence au profit des
juridictions internationales ».
En attendant, le modèle anglais reste un exemple en
matière d’attractivité. « Les financiers ne sont pas les seuls à la
City, où œuvrent des milliers d’avocats, de juristes et d’experts, qui
interviennent de façon intense – grâce à la prédominance de la place de Londres
– dans le traitement des contentieux liés au commerce international »,
a commenté Catherine Champrenault. Comme l’a indiqué le procureur général, le
marché des services juridiques appliqué aux seules affaires commerciales a
ainsi représenté outre-Manche en 2016 plus de 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires. À titre de
comparaison, la filière du droit en France dans son ensemble (juristes,
avocats, huissiers, notaires) a atteint la même année un chiffre d’affaires
d’un peu plus de 31 milliards
euros.
Un environnement judiciaire
favorable
Pour répondre aux enjeux économiques auxquels elle
fait face, la chambre commerciale internationale peut s’appuyer sur de solides
acquis, à l’instar d’un rayonnement déjà important des juridictions de la
capitale. « La réputation de Paris est bien établie, s’est ainsi
félicitée la ministre de la Justice. L’institution judiciaire peut
s’enorgueillir de voir œuvrer quotidiennement des magistrats capables
d’utiliser le droit étranger et de pratiquer une langue étrangère ».
Par ailleurs, comme l’a souligné le bâtonnier Marie-Aimée Peyron, « Paris,
place de droit, place d’arbitrage », la capitale occupe le premier
rang européen dans ce domaine. À cet égard, Paris dispose déjà de « l’atout
maître que constitue son succès en matière d’arbitrage international dans la
course-poursuite au marché de la common law », a affirmé le procureur
Catherine Champrennault, puisque, dans la perspective du retrait du Royaume-Uni
de l’Union européenne, Francfort, Bruxelles et Amsterdam souhaitent également
se doter de dispositifs semblables à la chambre commerciale internationale.
La chambre est en outre instituée au sein d’une juridiction reconnue
pour sa compétence. En effet, si la cour d’appel de Paris va devoir s’adapter à
une procédure civile internationalisée, les chambres du pôle économique
traitent déjà régulièrement de dossiers techniques comportant des éléments
d’extranéité, tels que des contrats commerciaux, de transport ou d’énergie. Par
ailleurs, « la cour d’appel dispose d’une expertise reconnue en matière
de droit internat des affaires », a fait valoir la
Première présidente de la cour d’appel de Paris. Chantal Arens a également
vanté « l’hyperspécialisation » de la cour, qui a compétence
exclusive en matière civile et commerciale. « La cour d’appel est en
capacité de dire le droit avec force dans des contentieux complexes,
volumineux, et de rendre des décisions claires, applicables, prévisibles, qui
seront par la suite commentées et fortement analysées par la doctrine »,
a ajouté la Première présidente. « Sans doute notre culture
juridique nationale est un peu éloignée des modes de preuves de pays de common
law, mais l’expérience tirée de la CJUE démontre quotidiennement que ce système
procédural pénètre désormais aussi nos façons de juger », a estimé
Catherine Champrenault, qui a fait le souhait que le parquet fasse office
d’« aiguillon » dans le renouvellement des méthodes
procédurales, « certes nouvelles mais non étrangères à notre
droit ».
Bérengère
Margaritelli