Think tank créé à l’initiative de
l’ex-bâtonnier Jean Castelain et de l’avocate Danielle Monteaux, le Cercle
accueilli le professeur Jean-François Delfraissy,
président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le 11 avril dernier,
à la Maison de l’Amérique latine. À la tête de l’institution depuis
fin 2016, le professeur a exposé sa mission passionnante qui se trouve
sous le feu des projecteurs alors que se déroulent les états généraux de la bioéthique
jusqu’en juillet 2018.
La
bioéthique ne donne pas beaucoup de réponses, elle nous invite plutôt à
partager quelques questions. Ce n’est pas de la morale, certains la définissent
comme une morale en action. Plus loin, elle recherche une forme d’équilibre
entre les avancées de la science ou de la technologie, et une évolution
sociétale. Même si des valeurs intangibles demeurent, le Français de 2015 ne
vit pas comme celui de 1950. Les progrès sont extraordinaires. Actuellement,
50 % des connaissances se renouvellent tous les cinq ans. On dénombre
3000 publications par jour dans le domaine du biomédical. Comment
concilier une société qui se porte bien avec des moyens techniques apparaissant
vite et pas tous forcément bon à valider ?
La loi
française révise son périmètre bioéthique tous les sept ans. La dernière
occurrence remonte à 2011. À cette époque, les députés avaient souhaité pour
l’avenir qu’avant leurs travaux, se tiennent des états généraux de réflexion et
de dialogue citoyen, menés par le Comité consultatif national d’éthique.
Effectivement entamés fin janvier 2018, ils se termineront le
2 juillet 2018. Le CCNE, autonome et indépendant traite ses sujets
apolitiques, sans influences gouvernementales. L’élaboration des textes par les
services de l’État, les ministères de la Recherche, de la Santé, de la Justice,
aboutira sans doute à un dépôt en octobre et une discussion jusqu’au début de
2019.
Jean-Michel
Delfraissy parle d’une mission impossible. Comment faire participer à un débat,
des citoyens qui ne s’intéressent pas particulièrement à la bioéthique ?
Des phénomènes générationnels se manifestent, la complexité des thèmes abordés
multiplie les arguments, certains points comme la PMA ou la fin de vie opposent
des opinions très affirmées, voire militantes.
Le
rapport de synthèse de la consultation menée sera vraisemblablement rendu en
juin. La méthode repose sur quatre outils :
-
280 débats en région rassemblant au total plus de 30 mille
individus ;
- des
auditions au sein du CCEN, d’associations des courants majeurs de pensée
religieux et autres, d’instances scientifiques ;
- un
site en ligne qui a recensé plus de 300 mille passages et plus de
50 mille contributions ;
- un
comité citoyen constitué de vingt-deux membres portant un regard critique
sur les travaux en cours, plus précisément sur la fin de vie et sur la
génomique.
Contrairement
à ce qu’on pourrait croire en raison des informations médiatisées, les
positions extrêmes n’accaparent pas les discussions. À ce stade du processus,
une minorité de dix débats sur cent quatre-vingts accomplis n’ont pas
débouché sur des résultats utiles aux organisateurs conformément à leurs
attentes. Le site web a reçu pour l’instant environ 30 mille
contributions sur les 50 mille attendues en fin de phase de concertation,
40 % s’adresse à la PMA. Il semble donc que le modèle d’écoute passant par
Internet entraîne un filtrage qui, probablement, distord l’opinion publique. De
la même façon, plus du tiers des échanges en province se déroulent avec une population
de jeunes et des clivages générationnels surgissent. Jean-Michel Delfraissy en
a bien conscience. Pour lui, tous les outils mis en œuvre sont mauvais,
néanmoins il est possible d’en sortir une image des courants d’idées les plus
répandus.
La fin de
vie touche essentiellement la population du 4e âge et appelle
la discussion sur sa prise en charge. L’EPHAD constitue-t-elle l’unique
solution ? Ne devrait-on pas s’inspirer des schémas utilisés à
l’étranger ? Quel budget y allouer ? Parallèlement à ces options se
profilent des choix économiques. Doit-on systématiquement, avec nos moyens
finis, financer l’innovation qui séduit tout le monde ? Cependant, passé
un certain seuil, ce qui est octroyé d’un côté manque d’un autre. Ainsi en
va-t-il de la qualité de nos EPHAD et nos unités de soins palliatifs. Ce
problème économique est une véritable question d’éthique que la France n’a pas
encore considérée contrairement à d’autres pays plus courageux.
Soit la
bioéthique et ses experts défendent la vérité permanente et expliquent des
valeurs qui perdurent depuis Platon, soit ils tiennent compte des évolutions
sociétales et s’inscrivent dans une époque. Sans commander totalement
l’éthique, les modifications de la civilisation doivent y prendre place peu à
peu.
Transplantation,
révolution de la génétique moderne… avec de telles innovations technologiques,
comment situer le problème éthique ? Exemple : les Mormons, à Salt
Lake City, engrangent une banque mondiale de données sociétales et génomiques
(avec l’accord des individus enregistrés). Parallèlement, en France, existe le
dogme du « don anonyme et gratuit ». Aujourd’hui, suite au don de
gamètes et aux naissances ainsi permises il y a trente ans, quelques
adultes issus de ces fécondations réclament un accès aux origines, au père
biologique. Si le séquençage d’un proche du donneur se trouve dans la base de
données des Mormons, l’information est disponible. La marche du monde existe, à
nous de réfléchir pour apprendre à vivre avec.
Quelquefois,
témoin de situations cliniques particulièrement onéreuses et conscient du
déficit faramineux de la Sécurité sociale, le cotisant met en balance la santé
d’un patient et les réalités comptables. Le médecin, pour sa part, a suivi une
formation pétrie d’humanité. Il délivre le meilleur traitement dans l’état
actuel des connaissances, sans se soucier d’argent. La question ne se pose pas
pour lui. Alors, bien sûr, le problème économique joue un rôle, mais ce n’est
pas l’unique acteur de cette histoire multifacettes. Et si dans le secteur des
compagnies d’assurances, des barèmes précis procurent des valeurs pour un décès
ou un handicap, dans celui de l’hôpital français, la vie n’a pas de prix.
Pour le
président du CCEN, ce sujet éthique difficile intéresse toute la société. La
décision n’appartient ni aux médecins, ni aux laboratoires, ni aux politiques,
etc. Le citoyen doit essayer de comprendre les choix de financement à accorder
et se prononcer. L’Angleterre l’a fait. Les états généraux sur la bioéthique
mériteraient de se prolonger par une consultation autour de « la
démocratie sanitaire ».
C2M