Jeudi 13 décembre dernier, l’Observatoire de
la récidive et de la désistance a remis, par l’intermédiaire de sa présidente,
Henriette Chaubon, son premier rapport annuel à la ministre de la Justice. Le
document d’une quarantaine de pages fait état de la grande difficulté de cerner
la récidive, multiforme et complexe à analyser. L’Observatoire propose par
ailleurs plusieurs pistes permettant d’étudier cette récidive sous un angle
plus « humain », et s’étend
sur la notion de « désistance » – soit le fait de sortir de la délinquance,
phénomène assez peu étudié en France jusqu’alors.
Longtemps,
il n’a existé aucune statistique sur la récidive, relève l’Observatoire de la
récidive et de la désistance. Ce dernier met en avant l’intérêt d’une étude
publiée fin mars 2017 par la
sous-direction de la statistique et des études dont les statistiques dressent
un état des lieux révélateur. Ainsi, de 2005 à 2014, 3,1 millions de
personnes ont été condamnées pour 5,5 millions de condamnations prononcées – dont 1,3 millions ont été condamnés au
moins deux fois. Autres chiffres percutants : 335 000 personnes condamnées entre 2005 et 2014 l’ont été 5 fois et plus, et parmi elles, 88 000 l’ont été 10 fois et plus. L’étude distingue
par ailleurs selon que les condamnations concernent les mêmes infractions ou
des infractions diverses. « Elle fournit des enseignements précieux sur
la part des condamnations de multi condamnés ou de mono condamnés selon les
domaines d’infractions sanctionnées : 78 % des condamnés pour outrage, 77 % des condamnés pour atteintes
aux biens et 75 % des condamnés
pour infractions à la législation sur les produits stupéfiants sont des multi
condamnés », reprend
l’Observatoire dans son rapport. L’étude pré-citée démontre également,
explique-t-il, que des peines plus lourdes sont prononcées à l’encontre des
multi-condamnés : l’emprisonnement ferme ou mixte est prononcé pour 11 % des primo condamnés, pour 34 % des réitérants et 41 % des récidivistes. En outre,
plus le multi-condamné affiche de condamnations, plus le délai entre les
infractions des deux premières condamnations tend à diminuer : de 31 mois quand il y a 2 condamnations à 14 mois quand il y en a 6 et plus. Autre point : il y
aurait eu une légère augmentation de la part de multi-condamnés parmi les
condamnés, qui passe de 48 %
en 2006 à 52 % en 2014. Pour l’Observatoire,
cette augmentation est à mettre en lien « avec une politique pénale de
réponse pénale systématique et graduée et à l’inscription au casier judiciaire
des compositions pénales ».
La délicate mesure de la récidive
Si des
statistiques ont pu émerger, les chiffres sont toutefois à manier avec
précaution. Il s’avère notamment que les taux de récidive en fonction de la
nature de l’infraction sont particulièrement complexes à interpréter.
L’Observatoire met en exergue une étude publiée en 2011, là encore réalisée par
la sous-direction de la statistique et des études, qui montre qu’entre 2004 et 2011, les infractions
présentant les taux les plus importants de récidive dans un délai de huit ans
sont des infractions liées au transport dans la majorité des cas (81,7 %), suivies par des infractions
liées à la police des étrangers (59,3 %), aux stupéfiants (45,7 %), aux vols, recels aggravés et escroqueries (43,7%), et aux violences volontaires
(40 %). À
l’inverse, les taux les plus faibles de récidive concernent les atteintes aux
mœurs (35,7 %), les
atteintes à l’ordre économique (29,1 %) et les homicides ou blessures involontaires (12,3 %). Or « ces résultats ne
signifient pas forcément que les vols et escroqueries sont, par exemple, plus
marqués par la récidive que les atteintes à l’ordre économique »,
souligne l’Observatoire de la récidive et de la désistance. Ces taux, obtenus à
partir des infractions enregistrées entre 2004 et 2011, dépendent de plusieurs
facteurs. Par exemple, le temps de procédure judiciaire. Quand ce dernier est
long, l’observation de la récidive sur huit ans peut ainsi être insuffisante. « Dans
le même ordre d’idée, il faut reconnaître une spécificité de la grande
criminalité en matière de trafic de stupéfiants où la récidive prend la forme
d’une délinquance continue », affirme l’Observatoire.
Les
recherches sur la récidive sont principalement fondées sur des données
enregistrées par les institutions, expose l’Observatoire. En France, les
connaissances sur le phénomène de récidive sont tirées principalement de
l’exploitation du casier judiciaire national et du fichier national des
détenus. Elles permettent de déterminer certains facteurs de récidive, et de
mettre à la disposition de l’administration des données chiffrées. Prédicteur
le plus significatif de la récidive : les antécédents judiciaires. Les
travaux précédemment cités réalisés par la sous-direction de la statistique et
des études ont ainsi permis de mettre en avant que
« la présence d’antécédents judiciaires lors de la condamnation
influence fortement le risque de récidive "toutes choses égales par
ailleurs". Un condamné ayant des antécédents judiciaires dans les huit
ans qui précèdent sa condamnation présente ainsi 2,1 fois plus de risque de récidiver
qu’un primo condamné ».
L’âge est un autre prédicteur important. « Plus un condamné est jeune
(moins de 26 ans), plus
il aura de risque de récidiver et plus il le fera rapidement », observe Rémi Josnin dans son
étude intitulée « Une approche statistique de la récidive des personnes
condamnées ». Par ailleurs, souligne l’Observatoire, l’enquête de 2011 montre que 78 % des mineurs libérés sont
condamnés à nouveau dans les cinq années suivant leur libération.
Emergence de la notion de
désistance
Alors que
certains récidivent, d’autres tendent, au contraire, à sortir de la
délinquance. Se pose la question : comment ces derniers arrêtent-ils leurs
activités délictuelles ou criminelles ? C’est tout l’objet des travaux sur
la désistance. Ici, l’obstacle est de mesurer un phénomène assez difficilement
observable. Une approche « dynamique » de la désistance
s’appuie notamment sur des études réalisées auprès d’individus « ayant
été relativement engagés dans un véritable style de vie délinquant »,
ce qui met de côté la délinquance que l’on pourrait qualifier d’« occasionnelle ».
« Autrement dit, la désistance renvoie aux processus par lesquels les
individus quittent une délinquance habituelle autour de laquelle est organisée
leur vie (familiale, professionnelle, etc.) pour adopter progressivement un
mode de vie plus conventionnel », résume l’Observatoire. Selon une
approche « sociale » de la désistance, explique-t-il, l’arrêt
de la délinquance résulterait d’une succession d’événements qui modifient peu à
peu les trajectoires de vie des individus : professionnels, familiaux (par
exemple, dans le mariage, l’emploi, l’engagement religieux…). Ces
« turning points » peuvent aussi être imprévisibles : « L’arrêt
de la délinquance résulterait alors, non pas forcément d’un processus conscient
et volontaire, mais d’un enchevêtrement de plusieurs conséquences ».
Les processus de désistance impliquent aussi un « dialogue
interne » à partir duquel les individus « réfléchissent à
leurs expériences passées, et à leur cohérence par rapport à leur mode de vie
présent et à leurs ambitions futures », ajoute l’Observatoire dans son
rapport : l’individu se détache peu à peu de l’identité de délinquant et
du mode de vie qui va avec. Shadd Maruna, professeur de criminologie à
l’Université de Manchester, a pu faire un lien entre désistance et
positionnement des délinquants par rapport à l’image que les autres leur
renvoient. Cela « suppose que les individus doivent "intérioriser"
le changement de regard de leur entourage. A contrario, l’individu qui
reste marqué par le stigmate du délinquant, et notamment qui est vu comme tel
par son entourage, continuera d’adopter des comportements délinquants conformes
à l’image que ses proches lui renvoient, expose le rapport. De manière
générale, il s’agit, pour un individu, de croire en ses capacités de
changement, à la fois celle de s’identifier autrement qu’à travers l’étiquette
du délinquant et celle de modifier ses activités quotidiennes pour qu’elles
deviennent cohérentes avec cette nouvelle identité "normée" ».
Au-delà, pour l’Observatoire, les enjeux socio-politiques de la
désistance sont très importants. « La prise en compte de ce phénomène
modifie la perspective et le regard porté sur la criminalité, comme le relève
Stephen Farrall, professeur de criminologie à l’université de Sheffield ».
Le rapport tient à ce titre à rappeler les apports de la loi du 15 août 2014, « dont l’un des objectifs prioritaires était
l’adaptation des peines et des prises en charge aux parcours individuels, cette
approche étant à même d’assurer une vraie efficacité de l’action entreprise par
l’institution et les professionnels, pour permettre de sortir de la
délinquance ».
Des axes de recherche pour
approfondir les savoirs en matière de récidive et de désistance
L’Observatoire
dresse toutefois un constat : il n’existe pas d’étude sur les parcours
délinquants à proprement parler, dont les résultats permettraient de lutter
plus efficacement contre la délinquance. « Les données dont on dispose
restent insuffisantes pour fonder des politiques publiques et pour évaluer les
dispositions législatives comme les dispositifs de prise en charge mis en œuvre
par les services de l’application des peines, l’administration pénitentiaire et
les différents services publics impliqués dans la réinsertion des personnes condamnées »,
reproche-t-il. En effet, la plupart des personnes n’informent pas les
institutions et les travailleurs sociaux à la sortie de la délinquance, et le
retour en justice ne fait pas forcément l’objet d’une analyse. « Il
reste difficile de déterminer s’ils procèdent d'un échec des mesures mises en
place, d’une inadaptation de la mesure, de l'absence de mesure ou d’événements
étrangers à la mesure », note l’Observatoire. Ce dernier souligne donc
l’intérêt du suivi de cohorte et le nécessaire développement d’analyses à
partir de panels. Il relève en outre que les tribunaux prononcent beaucoup de
courtes peines d’emprisonnement ferme : celles inférieures ou égales à un
an sont passées de 90 000 en 1990 à 106 000 en 2014. À cet effet,
l’Observatoire estime que des travaux devraient être menés en priorité sur les
courtes peines d’emprisonnement, dont le but serait de s’intéresser aux
parcours de vie de délinquants qui ont exécuté ces peines. « Les effets
sur l’emploi, la formation, les relations familiales, le logement, la poursuite
de soins devraient être interrogés, mais aussi les effets sur l’entourage
familial lui-même (santé du conjoint, des enfants, résultats scolaires…)
L’incarcération a-t-elle provoqué des effets uniquement négatifs, désocialisants ?
A-t-elle provoqué une prise de conscience, une volonté de changement, permis la
mise en place d’un suivi ? Il faudra préciser si un aménagement de peine a
été possible et si oui comment ce dernier a été vécu et si non comment a été
vécue la sortie sèche ». Ainsi, propose l’Observatoire, il pourrait
être intéressant d’examiner les placements sous surveillance électronique. En
substance, il s’agirait de chercher à savoir comment cette mesure est perçue et
vécue par la personne et par son entourage : plutôt comme une sanction, ou
plutôt comme une faveur permettant d’échapper à l’emprisonnement ferme, par
exemple. L’Observatoire recommande par ailleurs de faire porter ces recherches
sur un échantillon de personnes condamnées il y a environ cinq ans à une courte
peine d'emprisonnement, sur quelques sites judiciaires et pénitentiaires. Il
reste cependant assez vague sur l’étude en question. « En lien avec les
autorités judiciaires et l'administration pénitentiaire, le parcours de chacun
pourrait être étudié, après avoir établi le contact et recueilli le
consentement de l'intéressé pour un entretien en vue d'établir un récit de
vie », se contente-t-il d’expliquer.
Dans la même
lignée, l’Observatoire suggère de réaliser des entretiens avec des
professionnels « qui n'auraient pas changé d'affectation, pour
recueillir leur point de vue sur la prise en charge de l'intéressé, son rapport
à l'institution, à la mesure », une piste qui pourrait cela dit être
plutôt aléatoire, puisque l'Observatoire précise aussitôt « si tant est
que ce dernier ait laissé un souvenir aux professionnels ».
Autre idée envisagée : un projet de recherche pour lequel serait
constituée une cohorte dans un ou deux établissements pénitentiaires et/ou dans
des établissements du milieu ouvert. Un questionnaire serait passé auprès des
personnes sous-main de justice. Cette étude permettrait de recueillir des
données sur la perception de la peine et des mesures judiciaires en cours ou
passées. L’équipe de recherche pourrait dans un second temps mettre en place un
suivi de cette cohorte avec une série d’enquêtes et d’entretiens dans les
années suivantes.
À partir d'un projet déjà présenté à l'Agence nationale de la recherche
en 2012 mais non retenu, l'Observatoire de la récidive et de
désistance propose en outre de développer un programme de recherche sur les
sorties de délinquance. Cela consisterait en un terrain basé sur trois axes.
Premièrement, une campagne d’entretiens en face à face, réalisés en fonction de
questionnaires passés préalablement. Ensuite, une enquête en détention réalisée
à la fois par questionnaire et entretien, sur les perceptions de la désistance.
Enfin, une « ethnographie urbaine prolongeant les travaux de l’un des
membres de l’équipe, portant plus spécifiquement sur les sorties de trafic de
stupéfiants et les sorties de bande ». Il s’agirait de travailler sur
les parcours des personnes ayant été condamnées en 2012, pour couvrir une
période suffisamment longue du point de vue biographique.
Parmi les
autres pistes, on peut encore noter celle sur la citoyenneté, que
l’Observatoire propose de lier à la désistance. Ce dernier explique que l’idée
est déjà explorée par des chercheurs au Royaume-Uni : l’enquête court
depuis le milieu des années 1990, sur un échantillon de départ de 200 personnes. Il s’agit d’essayer de
cerner comment la trajectoire hors de la délinquance se construit par une
réappropriation de ses prérogatives citoyennes. « Comment cette
inclusion même modeste dans des dispositifs démocratiques locaux, comités de
quartier, instances de parents d’élèves, participation dans une association
locale, resocialise à la chose publique et éloigne d’un mode de vie
délinquant », détaille l’Observatoire. Résultat : les
observations soulignent entre autres un retour au vote (notamment pour les
scrutins locaux) ainsi qu’une amélioration de la perception de l’action des
gouvernants locaux. À voir donc si de telles observations pourraient être
menées en France.
Bérengère Margaritelli
L’Observatoire de la récidive et
de la désistance, en quelques mots
Créé par la loi
pénitentiaire de 2009, l'Observatoire de la récidive et de la désistance a été
installé le 26 avril 2016 par l’ancien ministre de la Justice, Jean-Jacques
Urvoas. Composé de dix-sept membres, parmi lesquels chercheurs, élus et
praticiens, il a pour objectif d’étudier ces deux phénomènes. Par le biais d’un
rapport annuel public, l’Observatoire est ainsi chargé d’exposer les données et
analyses disponibles, et d’énoncer toute recommandation permettant d’améliorer
l’appréhension de ces faits et de mieux lutter contre la délinquance.