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L’expertise dans le domaine de la protection de la santé environnementale

L’expertise dans le domaine de la protection de la santé environnementale
Publié le 08/02/2019 à 14:46



La loi n° 2009-967 du 3 août 2009?de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement a accordé une place particulière à l’expertise dans le domaine de la santé et de la protection de l’environnement. De plus, le constat d’un système de santé inadapté face à l’émergence de ces risques et d’une crise environnementale a donné lieu à la création de nouvelles institutions administratives.
Les premières agences de sécurité sanitaire françaises sont apparues pour répondre à l’épidémie du sida et à la nécessité de disposer d’une nouvelle gestion de la santé publique.


Les institutions de sécurité sanitaires environnementales en France apparaissent aujourd’hui relativement nombreuses et sont marquées par leur morcellement. Les différentes institutions de sécurité sanitaire en France et en Europe permettent-elles d’assurer une évaluation et une gestion efficace des risques en santé environnement ? L’importance des experts intervenant dans le domaine de la sécurité sanitaire et environnementale (I), en ce qu’elle compromet les objectifs de santé publique, nécessite une clarification des rôles d’expert et de gestionnaire en la matière (II).


 


L’importance des experts dans le domaine de la santé environnementale


En réaction à des crises sanitaires à répétition, les agences de sécurité sanitaire sont apparues comme une réponse institutionnelle, marquant ainsi l’indépendance de l’expertise, et réservant à l’administration centrale la gestion des risques sanitaires.


L’expertise est un outil qui relève de la mise en œuvre du principe de prévention. En renforçant l’expertise préventive, le recours au juge s’inscrit dans une société durable. Le procès en matière environnementale a tendance à se centrer sur le rôle de l’expert et à consacrer ainsi l’omniprésence de la science et de la technique sur la scène judiciaire.


Aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 1411-1?du Code de la santé publique, " la Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. La politique de santé relève de la responsabilité de l’État". Autrement dit, l’État a un rôle prépondérant à travers la promotion de la santé publique en réduisant au plus bas les risques sanitaires de la population, en garantissant la meilleure qualité des soins et l’équité des  individus vis-à-vis de la santé. Depuis 1996, le Parlement vote chaque année  une loi de financement de la sécurité sociale (« LFSS »). Cette loi fixe un objectif prévisionnel de dépenses d’Assurance maladie pour l’année suivante et propose les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale. Ces différents pouvoirs appartiennent au ministère de la santé qui a autorité sur la Direction générale de la santé (« DGS »). Le ministère élabore et met en œuvre, en liaison avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de protection de la santé contre les divers risques susceptibles de l’affecter. Ensuite, il prépare et met en  œuvre la politique du gouvernement dans le domaine de la protection de la santé. La Direction générale de la santé, quant à elle, conçoit et contribue à la mise en œuvre en œuvre de la politique de santé : elle assure principalement la coordination des agences de sécurité sanitaire et exerce ses missions de sécurité sanitaire en partenariat avec de nombreux organismes et institutions publics ou privés intervenant dans le champ de la santé publique. Il existe également d’autres institutions de santé publique, notamment la Direction générale de l’offre de soins (« DGOS »), le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) qui contribuent à la définition des objectifs pluriannuels de santé publique , et le Comité national de la santé publique mis en place par la loi du 1er juillet 1998 afin de coordonner l’action des différents départements ministériels en matière de sécurité sanitaire et de prévention, et de contribuer à l’élaboration de la politique du gouvernement dans les domaines de la sécurité sanitaire et de la prévention.


En France, les agences de sécurité sanitaire se sont multipliées très rapidement, à chaque fois en réponse à une crise sanitaire, comme déjà indiqué. La création de ces institutions s’est également inscrite dans une volonté de transformation de l’administration de la santé et de l’expertise scientifique.
La création de ces agences a permis de doter l’administration d’une nouvelle légitimité, de bénéficier de moyens humains et financiers plus importants et d’offrir plus de transparence à l’expertise scientifique. Ces nouvelles structures, chargées de l’évaluation des risques, ont remplacé les groupes d’experts internes aux administrations. Un nouveau principe est ainsi apparu, celui de la séparation de l’évaluation et de la gestion des risques (II). L’objectif est de préserver l’aspect purement scientifique de l’expertise en empêchant les autres dimensions de la gestion des risques d’interférer. Les agences disposent d’un simple pouvoir d’expertise. Les agences de sécurité sanitaire apparaissent très nombreuses et diverses au regard de leurs missions et de leurs modes de fonctionnement.


Le manque d’homogénéité de ces institutions se traduit, d’une part, par l’absence de forme juridique commune : certaines ont adopté le modèle des établissements publics administratifs, alors que d’autres sont des établissements publics industriels et commerciaux, des groupements d’intérêt public, ou encore des autorités publiques indépendantes. D’autre part, les agences n’ont pas toujours les mêmes prérogatives et certaines agences vont au-delà de leur mission d’expertise. La montée en puissance du dispositif européen contribue également à la complexité du système de sécurité sanitaire.


 


La nécessaire séparation des rôles d’expert et de gestionnaire dans le dispositif de sécurité en santé environnementale


Le dispositif de sécurité sanitaire apparaît aujourd’hui ambigu à bien des égards. Afin de remédier à ces différents problèmes, il convient de réaffirmer et sauvegarder le principe de séparation des rôles d’expert et de gestionnaire, mais également de regrouper les agences sanitaires pour limiter l’émiettement.


La diversité des agences sanitaires se retrouve également dans leurs prérogatives. Normalement, le principe de séparation de l’évaluation des risques et de la gestion des risques veut que ces agences n’aient qu’un pouvoir d’expertise et non un pouvoir décisionnel. Pourtant, certaines agences sont dotées de prérogatives ambiguës, jetant le trouble sur le respect de ce principe. La séparation des rôles d’experts et de gestionnaire correspond pourtant au socle du système de santé. Certaines agences sanitaires vont bien au-delà de l’expertise et prennent en compte des considérations relevant du domaine des gestionnaires.


Certaines d’entre elles, comme l’Anses, possèdent un véritable pouvoir de police administrative. En effet, selon les termes des articles L. 5145-2-1 et suivants du Code de la santé publique, l’Anses est notamment dotée d’un pouvoir de réglementation et de sanction dans certains domaines. C’est ainsi que le règlement européen REACH prévoit, au-delà de l’évaluation des risques pour la santé et l’environnement, une évaluation socio-économique des risques. l’Anses réalise alors une évaluation socio-économique des produits chimiques dans le cadre de ce dispositif.


Depuis le 1er juillet 2015, l’Anses dispose de nouvelles compétences, anciennement dévolues au ministère de l’Agriculture. Le directeur général de l’Anses peut désormais délivrer des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants. Il résulte de ce désordre institutionnel un chevauchement des compétences entraînant une perte de cohérence dans l’application des techniques d’évaluation du risque et dans l’application des stratégies de gestion du risque.


Afin de rendre le système plus performant et de répondre à cet enjeu de « bonne administration » de la sécurité sanitaire,


il apparaît nécessaire de rendre le dispositif actuel, français comme européen, plus homogène. C’est dans cette optique que s’inscrit l’article 166 de la loi du 26 janvier 2016


de modernisation de notre système de santé qui a prévu la création, par voie d’ordonnance, de l’Agence nationale de santé publique (ANSP – « Santé publique France »).


Finalement, il convient de constater la nécessité, d’une part, de structurer de façon plus homogène les institutions de la santé publique, et d’autre part de clarifier les rôles d’expert et de gestionnaire des risques sanitaires.


Il convient ainsi de limiter autant que possible la présence du décideur dans les collectifs d’experts et ne pas mélanger l’expertise avec les autres composantes de la gouvernance des risques. L’expertise doit sans aucun doute occuper toute sa place, mais seulement sa place, sans compter d’ailleurs sur le fait que la question de la prévention des conflits d’intérêts dans le domaine de l’expertise sanitaire constitue un sujet qui attire l’attention.


Christian Huglo,

Avocat à la Cour, Docteur en droit,

Directeur général SAS Huglo Lepage Avocats

Codirecteur du Jurisclasseur Environnementa


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