La loi n° 2009-967 du 3 août 2009?de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de
l’environnement a accordé une place particulière à l’expertise dans le domaine
de la santé et de la protection de l’environnement. De plus, le constat d’un
système de santé inadapté face à l’émergence de ces risques et d’une crise
environnementale a donné lieu à la création de nouvelles institutions
administratives.
Les premières agences de sécurité sanitaire françaises sont apparues pour
répondre à l’épidémie du sida et à la nécessité de disposer d’une nouvelle
gestion de la santé publique.
Les institutions de sécurité sanitaires environnementales en France
apparaissent aujourd’hui relativement nombreuses et sont marquées par leur
morcellement. Les différentes institutions de sécurité sanitaire en France et
en Europe permettent-elles d’assurer une évaluation et une gestion efficace des
risques en santé environnement ? L’importance des experts intervenant dans
le domaine de la sécurité sanitaire et environnementale (I), en ce qu’elle
compromet les objectifs de santé publique, nécessite une clarification des
rôles d’expert et de gestionnaire en la matière (II).
L’importance des experts dans le
domaine de la santé environnementale
En réaction
à des crises sanitaires à répétition, les agences de sécurité sanitaire sont
apparues comme une réponse institutionnelle, marquant ainsi l’indépendance de
l’expertise, et réservant à l’administration centrale la gestion des risques
sanitaires.
L’expertise est un outil qui relève de la mise en œuvre du principe de
prévention. En renforçant l’expertise préventive, le recours au juge s’inscrit
dans une société durable. Le procès en matière environnementale a tendance à se
centrer sur le rôle de l’expert et à consacrer ainsi l’omniprésence de la
science et de la technique sur la scène judiciaire.
Aux termes
des deux premiers alinéas de l’article L. 1411-1?du Code de la santé publique, " la Nation définit sa
politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de
chacun. La politique de santé relève de la responsabilité de l’État". Autrement dit, l’État a un rôle
prépondérant à travers
la promotion de la santé
publique en réduisant au plus bas les risques sanitaires de la population, en
garantissant la meilleure qualité des soins et l’équité des individus vis-à-vis de la santé. Depuis 1996,
le Parlement vote chaque année une loi
de financement de la
sécurité sociale (« LFSS »). Cette loi fixe un objectif prévisionnel de dépenses d’Assurance
maladie pour l’année suivante et propose les orientations de la politique de
santé et de sécurité sociale. Ces différents pouvoirs appartiennent au
ministère de la santé qui a autorité sur la Direction générale de la
santé (« DGS »). Le ministère élabore et met en œuvre, en liaison avec les autres
ministres compétents, les règles relatives à la politique de protection de la
santé contre les divers risques susceptibles de l’affecter. Ensuite, il prépare
et met en œuvre la politique du gouvernement dans le domaine de la protection de
la santé. La Direction générale de la santé, quant à elle, conçoit et
contribue à la mise en œuvre en œuvre de la politique de santé : elle
assure principalement la coordination des agences de sécurité sanitaire et
exerce ses missions de sécurité sanitaire en partenariat avec de nombreux
organismes et institutions publics ou privés intervenant dans le champ de la
santé publique. Il existe également d’autres institutions de santé publique,
notamment la Direction générale de l’offre de soins (« DGOS »), le Haut
Conseil de la santé publique (HCSP) qui contribuent à la définition des objectifs pluriannuels de santé publique ,
et le Comité
national de la santé publique mis en place par la loi du 1er juillet 1998 afin de coordonner l’action des
différents départements ministériels en matière de sécurité sanitaire et de
prévention, et de contribuer à l’élaboration de la politique du gouvernement
dans les domaines de la sécurité sanitaire et de la prévention.
En France,
les agences de sécurité sanitaire se sont multipliées très rapidement, à chaque
fois en réponse à une crise sanitaire, comme déjà indiqué. La création de ces
institutions s’est également inscrite dans une volonté de transformation de
l’administration de la santé et de l’expertise scientifique.
La création de ces agences a permis de doter l’administration d’une nouvelle
légitimité, de bénéficier de moyens humains et financiers plus importants et
d’offrir plus de transparence à l’expertise scientifique. Ces nouvelles structures,
chargées de l’évaluation des risques, ont remplacé les groupes d’experts
internes aux administrations. Un nouveau principe est ainsi apparu, celui de la
séparation de l’évaluation et de la gestion des risques (II). L’objectif est de
préserver l’aspect purement scientifique de l’expertise en empêchant les autres
dimensions de la gestion des risques d’interférer. Les agences disposent d’un
simple pouvoir d’expertise. Les agences de sécurité sanitaire apparaissent très
nombreuses et diverses au regard de leurs missions et de leurs modes de
fonctionnement.
Le manque
d’homogénéité de ces institutions se traduit, d’une part, par l’absence de
forme juridique commune : certaines ont adopté le modèle des
établissements publics administratifs, alors que d’autres sont des
établissements publics industriels et commerciaux, des groupements d’intérêt
public, ou encore des autorités publiques indépendantes. D’autre part, les
agences n’ont pas toujours les mêmes prérogatives et certaines agences vont
au-delà de leur mission d’expertise. La montée en puissance du dispositif
européen contribue également à la complexité du système de sécurité sanitaire.
La nécessaire séparation des
rôles d’expert et de gestionnaire dans le dispositif de sécurité en santé
environnementale
Le
dispositif de sécurité sanitaire apparaît aujourd’hui ambigu à bien des égards.
Afin de remédier à ces différents problèmes, il convient de réaffirmer et
sauvegarder le principe de séparation des rôles d’expert et de gestionnaire,
mais également de regrouper les agences sanitaires pour limiter l’émiettement.
La diversité
des agences sanitaires se retrouve également dans leurs prérogatives.
Normalement, le principe de séparation de l’évaluation des risques et de la
gestion des risques veut que ces agences n’aient qu’un pouvoir d’expertise et
non un pouvoir décisionnel. Pourtant, certaines agences sont dotées de
prérogatives ambiguës, jetant le trouble sur le respect de ce principe. La
séparation des rôles d’experts et de gestionnaire correspond pourtant au socle
du système de santé. Certaines agences sanitaires vont bien au-delà de
l’expertise et prennent en compte des considérations relevant du domaine des
gestionnaires.
Certaines d’entre elles, comme l’Anses,
possèdent un véritable pouvoir de police administrative. En effet, selon les
termes des articles L. 5145-2-1 et suivants
du Code de la santé publique, l’Anses
est notamment dotée d’un pouvoir de réglementation et de sanction dans certains
domaines. C’est ainsi que le règlement européen REACH prévoit, au-delà de
l’évaluation des risques pour la santé et l’environnement, une évaluation
socio-économique des risques. l’Anses
réalise alors une évaluation socio-économique des produits chimiques dans le
cadre de ce dispositif.
Depuis le 1er juillet
2015, l’Anses dispose de
nouvelles compétences, anciennement dévolues au ministère de l’Agriculture. Le
directeur général de l’Anses peut
désormais délivrer des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits
phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants. Il résulte de ce désordre
institutionnel un chevauchement des compétences entraînant une perte de
cohérence dans l’application des techniques d’évaluation du risque et dans
l’application des stratégies de gestion du risque.
Afin de rendre le système plus performant et de répondre à
cet enjeu de « bonne administration » de la sécurité sanitaire,
il apparaît nécessaire de rendre le dispositif actuel,
français comme européen, plus homogène. C’est dans cette optique que s’inscrit
l’article 166 de la loi du 26 janvier 2016
de modernisation de notre système de santé qui a prévu la
création, par voie d’ordonnance, de l’Agence nationale de santé publique (ANSP
– « Santé publique France »).
Finalement, il convient de constater la nécessité, d’une
part, de structurer de façon plus homogène les institutions de la santé
publique, et d’autre part de clarifier les rôles d’expert et de gestionnaire
des risques sanitaires.
Il convient ainsi de limiter autant que possible la
présence du décideur dans les collectifs d’experts et ne pas mélanger
l’expertise avec les autres composantes de la gouvernance des risques.
L’expertise doit sans aucun doute occuper toute sa place, mais seulement sa
place, sans compter d’ailleurs sur le fait que la question de la prévention des
conflits d’intérêts dans le domaine de l’expertise sanitaire constitue un sujet
qui attire l’attention.
Christian Huglo,
Avocat à la Cour, Docteur en droit,
Directeur général SAS Huglo Lepage Avocats
Codirecteur du Jurisclasseur Environnementa