Dans un récent rapport, la Cour des comptes,
chargée d’analyser la valorisation à l’international des musées tricolores en
matière d’ingénierie culturelle, incite notamment les établissements à protéger
juridiquement leurs actifs face à la concurrence, à renforcer la vente de
produits dérivés, ou encore à contribuer davantage à la création ex nihilo d’établissements à l’étranger.
A la demande du Sénat, la
Cour des comptes a analysé la valorisation à l’international, par les musées
nationaux, de leur marque et de leur savoir-faire en matière d’ingénierie
culturelle. Dans un rapport de mars 2019, rendu public le 12 juin dernier, l’Institut dresse dans un premier temps un tableau plutôt
positif : les grands établissements culturels français contribuent selon
elle « de façon significative » à la diplomatie d’influence et
au rayonnement de la France sur la scène internationale. « Leur
notoriété participe pleinement de l’image de la France dans le monde »,
souligne la juridiction financière, qui indique en outre que les musées ont
accumulé au fil du temps un capital de compétences « de très haut
niveau ».
D’autant qu’avec la globalisation des échanges, des possibilités
amplifiées d’action à l’international sont apparues, ce qui a poussé ces
établissement à développer des stratégies de développement à l’international,
notamment via l’exportation de prestations et la valorisation de leurs
marques. Cependant, pour les rapporteurs, le potentiel des musées français
n’est pas encore suffisamment exploité : il faut, estiment-ils, tirer
davantage profit de la demande internationale.
Une demande qui s’avère d’ailleurs en forte croissance. Et si la Cour
des comptes note que les pays émergents sont « demandeurs de l’expertise
et des collections des musées français pour assurer la “montée en gamme” de
leur propre potentiel muséal », elle pointe qu’aucune évaluation
précise de cette demande n’a jusqu’à présent été réalisée par les acteurs du
secteur. Une cartographie de cette demande serait ainsi « indispensable »
pour que les musées français puissent « en tirer pleinement
parti ».
Les musées
doivent « conforter leur stratégie entrepreneuriale », selon la
Cour des comptes
Face à la constitution d’un nouveau marché mondial de l’ingénierie et
des transferts culturels, la Cour des comptes recommande déjà aux musées
tricolores de veiller à entretenir leur réputation « sur une scène
culturelle désormais mondialisée » pour attirer toujours plus de
visiteurs et de mécènes étrangers. Elle appelle par ailleurs les musées à « conforter
leur stratégie entrepreneuriale », en appuyant la dimension
internationale de la stratégie « d’entreprise culturelle »
dans laquelle ils sont engagés depuis le début des années 2000.
Selon elle,
la démarche entrepreneuriale que la nouvelle donne culturelle « pousse
les musées à adopter » consisterait d’abord en la protection juridique
de leurs actifs face à la concurrence, « préalable indispensable pour
garder la maîtrise exclusive de leur politique de valorisation ». La
Cour des comptes dresse en effet le constat que chaque établissement mène une
politique qui lui est spécifique en matière de dépôt de marque, le ministère de
la Culture n’ayant pas élaboré de cadre de référence, « pas plus qu’il
ne s’assure, par un suivi approprié, que l’étendue et le niveau de protection
de ces marques soient cohérents avec les risques encourus », déplore
la juridiction financière. Les rapporteurs recommandent ainsi aux musées
d’accomplir des démarches pour le dépôt et l’enregistrement de leur marque, de
leur assurer une extension internationale suffisante « pour être
prémunis contre son utilisation indue ou frauduleuse à l’étranger »,
et de mettre en place des dispositifs de veille.
« Les
droits afférents à l’image extérieure des musées, notamment de leur bâtiment,
souvent prestigieux ou emblématique au plan architectural, relèvent d’un cadre
juridique insuffisamment protecteur, alors même que les possibilités d’usage
commercial de cette image par des tiers sont démultipliées avec la diffusion de
celle-ci sur Internet », considère par ailleurs la Cour des comptes, qui en appelle à une
réforme des dispositions en vigueur afin de compléter la protection des
domaines nationaux instituée par la loi du 7 juillet 2016.
Autre enjeu
pour une meilleure stratégie entrepreneuriale : plus de présence et de
partenariats à l’international. Le rapport précise que cela pourrait passer par
la mise en œuvre d’une « véritable politique de promotion » via
la politique de communication et d’animation culturelle.
Les rapporteurs insistent en outre sur la mobilisation des ressources
humaines, qui doit être, à leur sens, accentuée : « Au-delà de
compétences et savoir-faire de leurs agents (...), la prospection et la
représentation à l’étranger reposent, pour l’essentiel, sur l’implication
personnelle des équipes de direction. »
« Adapter et renouveler leur
offre en conséquence »
Se livrant à un inventaire des pratiques permettant de valoriser
l’ingénierie et les marques culturelles, la Cour des comptes pointe que la
plupart pourraient être renforcées, à l’instar de la vente de produits dérivés.
En effet, alors que ces derniers représentent la pratique la plus évidente de
valorisation directe par les musées de leurs marques, ils ne font toutefois « pas
l’objet de développements spécifiques à l’international, en-dehors des
expositions montées à l’étranger », souligne le rapport, qui exhorte
ainsi les établissements culturels à « adapter et renouveler leur offre
en conséquence ». Et notamment via leurs sites Internet,
puisque « les outils numériques offrent l’opportunité d’amplifier la
notoriété des musées et de valoriser leurs collections à l’échelle
internationale », rappellent les rapporteurs.
Bonne nouvelle : en dépit de ce retard, la juridiction financière
constate l’essor de deux pratiques : les licences de marque et le
cobranding ou partenariat de marques, qui « offrent de réels leviers de
rayonnement global pour les marques des musées ». Bien que limitées,
elles peuvent ainsi constituer une source de recettes « intéressante »
pour les musées, ajoute la Cour des comptes.
D’autres activités, mises en place depuis de nombreuses années,
produisent de bons résultats qui peuvent être encore améliorés. Outre le prêt
d’œuvres à titre gracieux, les institutions françaises ont en effet développé
depuis vingt ans une activité de coproduction d’exposition, qui permettent une
mutualisation des coûts d’organisation d’expositions temporaire, et une
activité de vente d’exposition « clés en main » à l’étranger,
itinérante ou sur mesure, qui présente pour les musées prestataires
l’opportunité de dégager des ressources propres additionnelles « parfois
très significatives », comme pour le musée Picasso-Paris avant sa
réouverture. Une activité qui a « pris de l’ampleur » suite à
l’émergence de nouveaux acteurs qui disposent souvent d’infrastructures et de
moyens financiers mais pas de collections, et auxquels il s’agit donc de
répondre favorablement, enjoint la Cour des comptes.
Cette dernière l’affirme : le bilan de ces pratiques de
valorisation de l’ingénierie et des marques culturelles montre qu’elles
permettent aux grands musées français d’être reconnus comme « des
acteurs majeurs de la scène culturelle internationale, tout en constituant un
supplément modéré de ressources ». Leurs recettes restent en effet,
pour l’heure, minoritaires dans le total des ressources propres, représentant
ainsi par exemple, pour la période 2012-2018, 0,8 million d’euros pour le Château de Versailles et 1,7 million d’euros pour le musée du Louvre. « La tarification de
ces prestations reste encore décidée au cas par cas et pourrait faire l’objet
d’une formalisation plus poussée, de même que le suivi des ressources nettes
apportées par les expositions », observent les rapporteurs.
Ces derniers opèrent également un focus sur un nouveau type d’offre, et
encouragent au développement « d’une offre globale circonscrite à des
opérations singulières ». En effet, l’ouverture du musée Guggenheim de
Bilbao en 1998 avait marqué, expliquent-ils, le départ d’une « nouvelle
forme d’activité internationale, réservée à quelques institutions muséales de
réputation mondiale, consistant à participer ou même à initier la création ex
nihilo d’établissements à l’étranger en y présentant, dans un bâtiment emblématique
construit à cet effet, des œuvres issues de leurs fonds patrimoniaux ».
Cependant, la Cour déplore qu’une telle activité reste « relativement
ponctuelle ». Ainsi, en France, seuls deux musées se sont jusqu’à
présent positionnés sur ce genre d’opération : le Centre Pompidou avec les
Centres Pompidou provisoires, et le Louvre, avec la création du Louvre Abou
Dabi.
La création de structures ad
hoc jugée indispensable
La Cour des comptes attire aussi l’attention sur la nécessité de
mobiliser des acteurs pour, dit-elle, « consolider la position de la
France sur le marché de l’expertise culturelle ». Elle juge à cet
effet que la création de structures ad hoc apparaît « indispensable
à la bonne réalisation de projets de très grande ampleur, nécessitant une
mobilisation conjointe de plusieurs établissements sur la durée », et
félicite à ce titre la récente création d’un comité conjoint de pilotage de
l’expertise culturelle associant les ministères de la Culture et de l’Europe et
des Affaires étrangères ainsi que les opérateurs de soutien. But de la manœuvre
: instituer un dialogue régulier et développer une vision plus
transversale des projets en cours. Mais il faut faire plus, considère la
juridiction financière. Selon elle, cette initiative pourrait être soutenue par
la mise en place d’un réseau numérique partagé. Celui-ci « constituerait
à la fois un annuaire de l’offre d’expertise disponible et un espace de partage
des ressources méthodologiques, des expériences et des bonnes pratiques entre
les établissements culturels nationaux et territoriaux. Il pourrait être ouvert
à l’expertise culturelle en général et non au seul champ muséal ».
Bérengère
Margaritelli