DROIT

La Défenseure des droits redoute une « embolie » de son institution

La Défenseure des droits redoute une « embolie » de son institution
Claire Hédon redoute que son institution ne puisse plus répondre à toutes les sollicitations
Publié le 26/03/2024 à 16:49

Dans un rapport paru le 26 mars, Claire Hédon déplore des réformes « rompant des équilibres existant parfois de longue date ». La digitalisation à outrance, synonyme de « déshumanisation des services publics », est également dénoncée par l’institution.

C’est un constat d’inquiétude que formule la Défenseure des droits (DDD) dans son rapport d’activité pour l’année 2023 paru ce mardi 26 mars. Claire Hédon a dénoncé « une fragilisation des droits qui contribue à affaiblir l’État de droit », passant par des « atteintes concrètes aux droits fondamentaux des personnes ». En témoigne un nombre de réclamations, informations et orientations auprès de l’institution de près de 138 000 en 2023, en hausse de 10 % sur un an.

Une situation qui ne semble pas en voie d’amélioration, bien au contraire. Selon l’ancienne présidente du mouvement ATD Quart monde, la détérioration de l’État de droit s’accélère, posant « la question de la santé de notre démocratie ».

Le rapport pointe du doigt la digitalisation comme l’un des marqueurs de ce délitement, le processus conduisant à une « mise à l’écart de dix millions de personnes », n’ayant pas accès à Internet. « On constate une déshumanisation des services publics », déplore Claire Hédon, reconnaissant tout de même que « pour une partie de la population, la dématérialisation des démarches est une chance ». « On peut entendre ici ou là que la situation s’améliore, mais nous constatons plutôt que ça s’aggrave. »

La Défenseure des droits a réalisé entre septembre et novembre 2022 une évaluation de l’accueil téléphonique des services publics. Et les chiffres sont accablants : sur les 1 500 appels passés, 40 % n’ont pas abouti, et 40 % de ceux qui ont abouti ont fourni une information incomplète ou fausse. « Parfois, l’appel renvoyait vers le site internet des gens qui avaient justement dit ne pas savoir se servir d’un ordinateur », constate la DDD.

Le rapport demande à ce titre que « la dématérialisation des procédures administratives soit une offre complémentaire, non substitutive au guichet, au courrier papier et au téléphone, afin de garantir un accès équitable aux services publics ».

La loi immigration « ne favorise pas l’intégration »

Claire Hédon insiste également sur diverses réformes gouvernementales mettant en danger l’État de droit, « rompant des équilibres existant parfois de longue date », comme la conditionnalité du RSA à 15 heures d’activité par semaine, qui selon elle  « risque de priver un certain nombre de personnes de ce droit ». Pour l’heure, il n’y a pas d’augmentation de ce type de réclamation. Mais la Défenseure des droits craint que les populations concernées « ne connaissent pas forcément l’institution et n’aient pas l’idée de la saisir ».

La loi immigration est aussi dans le viseur de la Défenseure des droits. Claire Hédon estime que la demande du gouvernement auprès du Conseil constitutionnel de sanctionner des dispositions adoptées malgré leur inconstitutionnalité manifeste « instaure une opposition délétère entre les institutions élues et les contre-pouvoirs chargés de les contrôler ».

La loi, visant selon son titre à « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », impacte grandement l’institution de défense des citoyens. Le droit des étrangers représente depuis de nombreuses années la première cause des réclamations auprès de la DDD (28 %), en premier lieu pour les renouvellements de cartes de séjour. « Dans cette loi, rien ne favorise l’intégration », regrette Claire Hédon. « Qu’il faille que les personnes étrangères améliorent leur français pour obtenir une carte pluriannuelle, je n’ai pas de doute là-dessus, mais le fait de mettre un niveau augmente les difficultés. »

Pire, « la loi fragilise cette population plutôt que de lui donner les moyens d’accéder à ces droits », dénonce celle qui est à la tête de l’institution depuis 2020. Pour cette dernière, cette situation « est un révélateur de l’état des droits dans notre pays et témoigne d’un mouvement de fragilisation des services publics et des droits qui dépasse la question de l’immigration ». « Sans réaction, mon institution risque l’embolie, et de ne plus pouvoir répondre aux personnes qui s’adressent à elle », redoute Claire Hédon.

La protection des lanceurs d’alerte renforcée

L’institution permet aussi aux lanceurs d’alertes de faire des réclamations. Celles-ci sont d’ailleurs en forte hausse en 2023 (+128 %), à la suite de la réforme du droit des lanceurs d’alerte en 2022. 306 personnes ont ainsi fait une demande d’orientation ou de protection durant l’année. Une cellule dédiée créée en 2023 permet de répondre à ces demandes. Près de 80 d’entre elles sont des demandes d’avis sur la qualité de lanceur d’alerte, une possibilité nouvelle pour la DDD qui vise à certifier que la personne qui la saisit est bien lanceur d’alerte au sens de la loi, et qu’elle peut bien être protégée comme telle. 160 demandes ont concerné une protection contre les représailles (blâme, avertissement, licenciement, etc.).

En parallèle, la DDD a mis en place un réseau pour recueillir et traiter les alertes, en collaboration avec 41 autorités administratives, notamment l’Agence française anticorruption et la Commission nationale informatique et libertés. Un guide à destination des lanceurs d’alerte rédigé par la DDD publié en mars 2023 rencontre un grand succès, se hissant au rang de document le plus téléchargé sur le site de l’institution. « Je pense qu’il répond à un véritable besoin pour les personnes intéressées », estime Cécile Barrois de Sarigny, adjointe à la Défenseure des droits en charge des lanceurs d’alerte. L’été prochain, l’institution publiera un premier rapport sur l’application de la loi sur les lanceurs d’alerte.

Alexis Duvauchelle

 

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