Vingt ans
après la naissance de la chambre internationale du tribunal de commerce de
Paris (3e chambre), sa grande sœur, la chambre internationale de la cour
d’appel de Paris (« CICAP »), vient de voir le jour.
Cette
création ne résulte pas d’une loi, mais de l’un des deux protocoles signés le 7
février dernier en présence du garde des Sceaux, entre les présidents du
tribunal de commerce et de la cour d’appel de Paris d’une part, et le bâtonnier
de l’ordre des avocats de Paris d’autre part. Le premier portait sur la
procédure applicable devant la chambre internationale du tribunal de commerce
de Paris. Seul le second porte sur la procédure devant la CICAP (le «
Protocole»).
Il s’agit
selon nous d’un bel exemple d’innovation à droit constant, obtenue au moyen
d’une coopération de qualité entre les différents acteurs du secteur
judiciaire.
Les
premières audiences de procédure de la CICAP se sont tenues au début du mois de
juin, et les premières audiences au fond sont prévues pour septembre prochain.
On
envisagera successivement le contexte de cette création (I), les limites de la
compétence dévolue à la CICAP (II), puis les spécificités de la procédure devant
cette nouvelle formation (III).
I. Le contexte de la création
L’idée de
créer des juridictions particulièrement compétentes en matière de litiges
internationaux n’est pas nouvelle. Ainsi Dubaï, Singapour ou Doha en ont déjà
institué.
L’idée
sous-jacente est, d’une part, de fournir un système de règlement des litiges de
qualité à des opérateurs ayant une activité particulièrement complexe
(notamment en matière de finance, de propriété intellectuelle, ou de transport
international) et, d’autre part, d’attirer sur le territoire national une
activité de résolution de litiges à haute valeur ajoutée.
Si la
création de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris a été
décidée spontanément par celui-ci, notamment en sollicitant le vivier abondant
de juges consulaires issus des directions juridiques de grandes entreprises
internationales, la CICAP a quant à elle été mise en place à la suite de
l’annonce du Brexit. L’idée sous-jacente est que la compétitivité de la place
londonienne pourrait s’éroder du fait du Brexit. Lorsque le Royaume-Uni aura
effectivement quitté l’Union européenne, les décisions de ses juridictions
seront traitées comme n’importe quelle décision émanant d’un pays tiers et
devront donc être exequaturées pour pouvoir donner lieu à des mesures
d’exécution forcée dans un pays de l’U.E., contrairement aux décisions émanant
d’États membres.
Le pari
consiste à considérer que ce désavantage incitera de nombreux justiciables à
préférer se tourner vers les juridictions d’un État membre. Dans ce contexte,
la création de la CICAP vise à renforcer l’aura de la place de Paris comme lieu
où traiter des opérations internationales complexes ainsi que les litiges y
afférents.
II. Les limites de la compétence
dévolue à la CICAP
Paris a
désormais un double degré de juridiction spécialisé dans le traitement des
litiges commerciaux internationaux et ayant vocation à développer une expertise
de haut niveau en matière de contentieux complexes. Les formations de jugement
sont composées de juges spécialement affectés à ces chambres en raison de leurs
compétences linguistiques et de leur connaissance des affaires. Il est prévu
qu’elles soient renforcées ponctuellement par des magistrats d’autres chambres
de la cour d’appel pouvant apporter une expertise utile lorsque le besoin s’en
fera sentir.
La CICAP
constitue désormais la 16e chambre du pôle 5 de la cour d’appel de Paris (le
pôle en charge des dossiers économiques).
L’article 1
er du protocole prévoit que la CICAP a compétence « pour connaître des litiges qui
mettent en jeu les intérêts du commerce international », soit tous les «
recours formés contre les décisions prononcées dans les litiges de nature
économique et commerciale à dimension internationale, et [les] recours exercés
contre les décisions prononcées en matière d’arbitrage international » . Il est également spécifié qu’elle sera la
juridiction d’appel des décisions prononcées en première instance par la
chambre internationale du tribunal de commerce de Paris. Une liste de matières
pouvant être de la compétence de la CICAP est également incluse au même
article, sans qu’une unité très nette n’apparaisse : les contentieux en matière
de contrats commerciaux et de rupture de relations commerciales, de transports,
de concurrence déloyale, de réparation liée à des pratiques
anticoncurrentielles, et d’opérations sur instruments financiers,
conventions-cadres de place, de contrats, d’instruments et de produits
financiers.
Les règles
résultant du protocole ne sont cependant pas aussi claires que leur rédaction
pourrait le laisser penser.
En premier
lieu, il apparaît que l’attribution d’un contentieux donné à la CICAP ne sera
pas une obligation pour la cour d’appel de Paris, en l’état des textes
applicables.
En droit
français, la décision d’attribution est une mesure d’administration judiciaire,
discrétionnaire et insusceptible de recours. Le protocole semble, quant à lui
et à première analyse, dépourvu de tout caractère obligatoire, de la même
manière que les autres accords de procédure signés dans le passé entre un
barreau et une juridiction. On peine en effet à concevoir qu’un tel accord
entre un bâtonnier et un président de juridiction, même en présence du garde
des Sceaux, puisse déroger aux textes légaux et règlementaires ou imposer des
obligations aux justiciables.
En
conséquence, la cour d’appel ne nous semble pas pouvoir être réputée à renoncer
à son pouvoir d’attribuer l’affaire à une autre de ses chambres et les parties
ne pourront pas se prévaloir des stipulations du protocole pour exiger que leur
affaire soit jugée par la CICAP.
Les parties
ne peuvent pas, à notre avis, suppléer cette carence du protocole à l’heure
actuelle en stipulant une clause attributive de juridiction donnant directement
compétence à la CICAP. Celle-ci n’est en effet pas une juridiction au sens du
droit français et il apparaît difficile d’imaginer qu’une clause lui attribuant
compétence puisse être considérée valable par la jurisprudence (celle-ci ne
s’est pas encore prononcée à notre connaissance). L’absence de tout moyen juridique
de contraindre la cour d’appel à attribuer leur affaire à la CICAP ne devra pas
empêcher les parties d’essayer d’influencer le choix du greffe central de la
cour, par exemple en signalant le caractère international du litige dans leur
clause attributive de juridiction ou dans leurs actes de procédure. Il est
probable que la cour d’appel se montre accueillante à l’égard de telles
indications, au moins dans un premier temps, pour mieux comprendre les attentes
des justiciables à l’égard de la CICAP.
Autre limite
: il apparaît que la CICAP ne pourra pas devenir immédiatement la référence
française des litiges internationaux.
En effet, le
protocole ne peut avoir d’effet que dans les limites des attributions actuelles
de la cour d’appel de Paris. Par exemple, les appels contre les jugements des
juridictions ayant développé une compétence de premier plan en France en
matière de transport maritime international (telles que les tribunaux de
commerce de Marseille et du Havre) resteront donc de la compétence des cours
d’appel respectivement d’Aix-en-Provence et de Rouen.
La CICAP ne
sera donc pas, au moins dans un premier temps, le point de convergence des
contentieux purement internationaux en matière de transport international,
d’arbitrage et de propriété intellectuelle qu’avaient espéré les membres du
Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris.
III. Les spécificités
procédurales
La nature
non contraignante du protocole a également une incidence en matière de
procédure devant la CICAP. Le protocole prévoit deux innovations principales à
cet égard.
La première
est de faciliter le recours à la langue anglaise, que ce soit dans les pièces,
dans les plaidoiries ou dans les auditions de tiers. Le protocole ne pouvait
cependant déroger aux règles prévues par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de
1539. L’ensemble des actes de procédure devront donc être rédigés en français
(déclarations d’appel, conclusions, ordonnances et arrêts). Il est d’ores et
déjà prévu que les arrêts seront rendus accompagnés d’une traduction jurée.
La seconde
est d’accroître, si les parties le désirent, leur rôle ainsi que celui de
l’oralité, dans le contexte d’une procédure d’appel qui demeure écrite. Pour ce
faire, il est prévu que le conseiller de la mise en état convoque les parties à
une première audience de mise en état dès le début de la procédure, afin de
décider avec elles des modalités selon lesquelles leur affaire sera jugée.
L’idée est de se rapprocher des standards internationaux en donnant leur plein
effet aux nombreuses dispositions du Code de procédure civile qui ne sont pas
utilisées aujourd’hui, par manque de temps des juridictions et en l’absence de
demande des plaideurs.
Il s’agit
notamment de :
-
convenir
d’un calendrier de procédure obligatoire, qui comprenne ab initio l’ensemble
des étapes de la procédure, notamment celles où la comparution des parties est
requise, celles de l’audition des experts éventuels, celles des plaidoiries et
celle du délibéré ;
- débattre
contradictoirement des témoignages et des auditions de techniciens, sur le
modèle de la cross examination anglo-saxonne;
- plaider la répartition
des frais et dépens.Toujours dans le souci de rapprocher la CICAP des standards
internationaux, notamment anglo-saxons, les conseillers affectés à la CICAP ont
déjà fait savoir qu’ils feraient un effort de pédagogie dans leurs décisions,
tout en respectant la tradition française de synthèse. Ces quelques
aménagements ont trouvé leur place à droit constant.
D’autres innovations procédurales ne pouvaient être mises en place
au moyen du protocole. La nature de celui-ci ne permet par exemple pas aux
parties de déroger aux délais dits Magendie de production des conclusions
d’appelant et d’intimé. Si elles entendent y déroger, il leur faudra trouver un
autre moyen juridique, par exemple une convention de procédure participative.
De même, certaines innovations ne pourront être mises en œuvre
qu’en présence d’un accord exprès des parties à leur sujet, par exemple en
matière de production de témoignages dactylographiés et non manuscrits.
Au regard de ce qui précède, il apparaît que la bonne volonté des
praticiens qui a conduit à la création de la CICAP devra perdurer si l’on veut
que cette chambre devienne ce que ses promoteurs imaginaient.
Il appartiendra aux avocats de faire vivre ce nouveau double degré
de juridiction international, et de s’approprier tout ce que le Code de
procédure civile leur permet déjà, en renouvelant leurs habitudes et pratiques.
Il reviendra aux magistrats qui y sont affectés de ne pas céder à
la tentation de retrouver leurs habitudes d’exclure l’oral de la procédure et
de tenir les parties à l’écart des aspects purement administratifs de la
gestion de leur affaire (fixation du calendrier, organisation des audiences et
des auditions, etc.)
Il conviendra également d’être attentif aux moyens accordés à la
CICAP par la cour d’appel de Paris. Si la chambre internationale du tribunal de
commerce de Paris peut recourir aux services de juges consulaires rompus à la
pratique en anglais de dossiers complexes soumis à des droits étrangers, il
faudra être attentif aux nominations à la CICAP et au recrutement de greffiers
et de juristes assistants qualifiés. Les premières audiences au fond prévues
pour septembre 2018 nous réservent sans doute déjà de belles surprises!
Jean-Fabrice Brun,
Avocat associé,
CMS Francis Lefebvre Avocats
Contentieux et Arbitrage
*
Édouard Vieille,
Avocat,
CMS Francis Lefebvre Avocats,
Contentieux et Arbitrage
*
Laura Bourgeois,
Avocat,
CMS Francis Lefebvre Avocats,
Contentieux et Arbitrage