JUSTICE

La juridiction unifiée du brevet officiellement opérationnelle

La juridiction unifiée du brevet officiellement opérationnelle
Publié le 02/06/2023 à 18:19

La juridiction rassemblant pour l’heure 17 États européens et visant à simplifier la gestion des brevets pour les entreprises a vu officiellement le jour jeudi 1er juin, au palais de justice de Paris. La capitale accueille par ailleurs le siège de la division centrale de la JUB.

Dix ans après la signature de l’accord prévoyant sa création, la juridiction unifiée du brevet (JUB) est enfin devenue opérationnelle, jeudi 1er juin. À cette occasion, la prestation de serment des juges de la première instance a eu lieu au sein du palais de justice de Paris, en présence du garde des Sceaux. Éric Dupond-Moretti s’est réjoui d’un « jour historique », après de nombreuses années de préparation à ce lancement. Le ministre a d’ailleurs pu citer Victor Hugo lors de son discours : « Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »

88 juges originaires des 17 pays de l’accord

Ce sont donc 88 juges qui ont intégré la juridiction unifiée du brevet. Des juges qui exerceront au siège de la division centrale à Paris présidée par la Française Florence Butin, dans une section de cette division à Munich, dans des divisions locales (comme à Bruxelles, Copenhague ou Hambourg), ou à la cour d’appel à Luxembourg dirigée par l’Allemand Klaus Grabinski. 81 d’entre eux, affectés au tribunal de la première instance, ont ainsi prêté serment à Paris ce 1er juin.

Et qui dit nouvelle juridiction dit nouveau texte de prestation de serment qui a dû s’adapter au droit de chaque pays. La voici telle qu’elle a pu être prononcée, selon chaque juge, en français, en anglais ou en allemand conformément aux langues officielles de la JUB : « Je jure que j'exercerai mes fonctions en toute impartialité et conscience, et que je préserverai le secret des délibérations de la juridiction, conformément à l'accord et au statut de la juridiction unifiée du brevet, au droit de l'Union européenne et aux principes du droit généralement reconnus dans les États membres contractants. » Certains juges ont également pu terminer leur prestation de serment par la phrase « avec l'aide de Dieu » ; des mots que l’on n’a plus l’habitude d’entendre en France, où la laïcisation du serment judiciaire est en vigueur depuis plus de 50 ans.

Une procédure plus rapide et moins coûteuse

Avant cette prestation de serment, Éric Dupond-Moretti a également vanté les avantages du brevet européen à effet unitaire qui accompagne la nouvelle juridiction : « Plus de simplicité, plus de rapidité, plus d’efficacité aux entreprises et à moindre coût », a-t-il assuré.

Ces quatre atouts devraient en effet, au moins sur le papier, être au rendez-vous, puisqu’un seul brevet pourra dorénavant servir pour protéger une même invention dans 17 pays différents de l’Union européenne, avec un coût réduit. De plus, chaque décision de la JUB devra être rendue dans un délai maximal d’un an, par des juges spécialisés dans des domaines précis (par exemple, les juges de Paris sont spécialisés entre autres dans l’électricité, le transport, le papier et la construction, et ceux de Munich dans l’armement et l’éclairage). En outre, la procédure devant la JUB sera entièrement dématérialisée. « C'est indispensable alors que vous êtes répartis sur tout le territoire de l'Union », a affirmé Éric Dupond-Moretti auprès des tout premiers juges de cette juridiction. La Commission européenne considère que l’obtention d’un brevet unitaire et son maintien pendant une durée standard coûtera près de six fois moins cher.

Un nouvel outil bien utile pour la lutte contre la contrefaçon et qui devrait bénéficier principalement aux secteurs à forte activité en propriété intellectuelle qui représentent 45 % du PIB européen et 30 % des emplois.

La France, très active dans le processus de lancement de la JUB

La juridiction unifiée du brevet voit le jour à Paris, siège de la division centrale. Un lieu qui ne doit rien au hasard, d’après Isabelle Jégouzo, conseillère aux Affaires européennes et internationales au ministère de la Justice : « La France a joué un rôle de soutien politique qui ne s’est jamais démenti, avec une diplomatie française très active pour aboutir à la naissance de cette juridiction. » L’ancienne magistrate affirme par ailleurs que le garde des Sceaux est un fervent partisan de la JUB, lui qui a exprimé sa « fierté » de voir la juridiction s’installer dans la capitale : « Il est investi dans ce projet depuis 2020 et a régulièrement évoqué ce sujet avec des intermédiaires européens. »

La France met également à disposition des locaux à proximité du palais de justice, ainsi que du personnel. Mais« le pays contribue aussi au budget en tant que deuxième pays en termes de dépôts de brevets, en étant également le deuxième contributeur financier de la JUB », précise Isabelle Jégouzo.

L’aboutissement d’un long processus semé d’embûches

Ce lancement est l’achèvement de 50 ans de construction d’un brevet uniformisé. Ses fondations remontent à 1973, lorsque la Communauté économique européenne a souhaité renforcer l’intégration des différents pays qui la composent. L’Office européen des brevets et le brevet européen ont donc été créés. « Ils n’était qu’un achèvement très parcellaire », tempère Isabelle Jégouzo. Car s’il « a permis la mise en place d’un guichet unique », ajoute le ministre de la Justice, le brevet éclatait en plusieurs brevets nationaux au moment de sa délivrance, chacun possédant ses propres règles. En cas de contentieux là aussi, les décisions des juridictions nationales, que l’on devait saisir dans chaque pays, pouvaient varier, et parfois être totalement opposées selon les pays.

Les réflexions à propos de la création d’une juridiction unifiée du brevet avaient démarré au début des années 90, au moment de la mise en place du marché unique. Mais il a fallu attendre 2013 pour que l’accord sur la JUB entre en vigueur, signé par 24 des 27 membres de l’UE de l’époque. La Croatie, qui ne faisait pas partie de l’Union européenne au moment de la signature, n’a pas pu participer à l’accord. L’Espagne et la Pologne, qui ont exprimé leurs réticences (notamment, pour l’Espagne, en raison de l’absence de la langue espagnole dans les langues utilisées par la juridiction) ont refusé d’y adhérer, transformant ce qui devait être un accord européen en une coopération renforcée entre certains États membres.

Il a finalement fallu dix années supplémentaires pour que le nombre minimum requis de pays ayant ratifié l’accord soit atteint (soit 13 États dont l’Allemagne et la France), aboutissant ce 1er juin 2023 à son application dans 17 pays : Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède. Les sept pays restants (Chypre, République tchèque, Grèce, Hongrie, Irlande, Roumanie et Slovaquie) pourront toujours le ratifier dans les années à venir.

Alexis Duvauchelle

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