L’Assemblée
nationale a adopté en lecture définitive, le 16 juillet dernier, la loi
d’exception pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame
de Paris, établie en dérogation du droit commun, en l’occurrence du Code du
patrimoine. Une loi d’exception est une loi établie en dérogation du droit
commun que l’on doit à des circonstances exceptionnelles.
Pour fonder
l’adoption rapide de ce texte d’exception, le gouvernement a avancé plusieurs motifs
: d’une part la nécessité de donner un cadre juridique à la souscription
nationale lancée pour le financement de cette restauration, et d’autre part la volonté
du président de la République, exprimée le soir même de l’incendie, d’achever les
travaux de restauration de la cathédrale dans un délai très court de cinq années.
L’article
9 de ce texte, qui traite de l’habilitation donnée au gouvernement pour mener
le chantier de restauration par ordonnances est controversé. L’article 9
précise que :
« Dans
les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le gouvernement est autorisé
à prendre, par ordonnances, dans un délai de deux ans à compter de la publication
de la présente loi, toutes dispositions relevant du domaine de la loi de nature
à faciliter la réalisation, dans les meilleurs délais et dans des conditions de
sécurité satisfaisantes, des travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame
de Paris et à adapter aux caractéristiques de cette opération les règles
applicables à ces travaux et aux opérations connexes, comprenant notamment la réalisation
des aménagements, ouvrages et installations utiles aux travaux de restauration ou
à l’accueil du public pendant la durée du chantier, ainsi que les travaux et transports
permettant l’approvisionnement de ce chantier et l’évacuation et le traitement
de ses déchets.
Dans la mesure strictement
nécessaire à l’atteinte de cet objectif, ces ordonnances peuvent prévoir des adaptations
ou dérogations :
1°) Aux règles en matière d’urbanisme,
d’environnement, de construction et de préservation du patrimoine, en particulier
en ce qui concerne la mise en conformité des documents de planification, la délivrance
des autorisations de travaux et de construction, les modalités de la participation
du public à l’élaboration des décisions et de l’évaluation environnementale, ainsi
que l’archéologie préventive ;
2°) Aux règles en matière de
commande publique, de domanialité publique, de voirie et de transport. »
C’est
sur cet article qu’a achoppé l’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Après deux lectures à l’Assemblée et au Sénat – qui avait adopté le projet en
première lecture après avoir notamment supprimé l’article 9 –, entrecoupées de
l’échec d’une Commission mixte paritaire, le dernier mot est revenu aux
députés.
Les
sénateurs ont notamment reproché à l’article 9 :
le fait que la mise en place de telles dérogations ne soit pas utile si
elle ne vise qu’à accélérer les délais de délivrance des autorisations
administratives. Les délais prévus par les différents Codes sont des plafonds.
Les demandes d’autorisation concernant Notre-Dame peuvent parfaitement être
traitées de manière prioritaire par les services de l’État, moyennant des
instructions en ce sens ;
le fait que de telles dérogations ne manqueront pas de faire peser des
doutes sur l’exemplarité
du chantier de Notre- Dame, qui sera particulièrement observé, tant en France
qu’à l’étranger ;
le fait que la
mise en place de telles dérogations constitue un danger réel pour la crédibilité
de notre législation, déjà mise à mal par les dérogations prévues par la loi
Elan votée le 23 novembre 2018. Elles ne seraient également pas comprises par
les autres propriétaires de monuments historiques, collectivités territoriales (circonscriptions
administratives, dotées d’une personnalité morale, qui disposent d’une certaine
autonomie de gestion) en tête, qui lancent quotidiennement des chantiers dans le
cadre des lois en vigueur.
Le gouvernement avait, pour ce
texte, lancé une procédure accélérée, qui permet qu’un projet de loi ne fasse
l’objet que d’une lecture par chambre du Parlement (Assemblée nationale puis
Sénat) avant d’être adopté.
En l’espèce, les deux chambres n’ayant pas réussi
à s’accorder après lecture du texte par chacune, et la Commission mixte
paritaire n’étant pas parvenue à un compromis, c’est l’Assemblée nationale qui
a dû trancher. Celle-ci a adopté le texte, finalement à peine modifié, le 19
juillet 2019.
La sénatrice Catherine Morin-Desailly
(UC-Seine-Maritime), présidente de la Commission de la culture, a regretté le
choix du gouvernement consistant à s’opposer par principe à l’ensemble des
amendements parlementaires déposés sur le texte et à s’obstiner, en vain, à
rétablir le texte établi par l’Assemblée nationale. Elle s’est félicitée que le
Sénat « ait pris la défense de la démocratie patrimoniale », a affirmé qu’il
fallait « faire preuve d’humilité, d’expertise et de méthode dans le cadre du
chantier qui s’annonce », l’appelant « à renoncer à rétablir des dispositions
d’exception aussi inutiles que dangereuses ».
Dans le sillage de l’incendie de Notre- Dame
de Paris, le ministère de la Culture a réalisé un état des lieux des systèmes
de sécurité des 89 édifices cultuels (dont 86 cathédrales) dont il est
propriétaire.
Il en résulte un plan d‘action « sécurité
cathédrales » de deux millions d’euros, inscrits dans le projet de loi de
finances 2020 qui vise à dépasser les simples exigences réglementaires et
s’assurer que ces monuments emblématiques de notre patrimoine disposent tous
d’un niveau de sécurité incendie satisfaisant tant dans le domaine de la
protection des personnes que dans celui de la préservation du patrimoine,
adapté aux activités qui s’y déploient. Il permettra également d’assurer un
suivi de l’ensemble des cathédrales, de maintenir un contact étroit avec les
DRAC (Direction Régionale des affaires culturelles) et les UDAP (Unité
départementale de l’architecture et du patrimoine) sur ces sujets sensibles.
L’équipe des Journées Juridiques
du Patrimoine