ARCHIVES

La loi littoral

La loi littoral
Publié le 27/10/2017 à 15:38

La loi relative à la protection, l’aménagement et la mise en valeur du littoral du 3 janvier 1986 est l’aboutissement d’une longue évolution juridique qui commence en 1681 avec l’ordonnance de Colbert sur la Marine. Si la loi littoral affecte de nombreux domaines du droit – les pouvoirs de police, le régime des extractions ou encore la servitude d’accès au rivage de la mer, elle est plus connue pour ses dispositions en matière d’urbanisme.


Aujourd’hui codifiées aux articles L. 121-1 et suivants du Code de l’urbanisme, ces dispositions organisent l’usage du sol sur le territoire des communes littorales. L’objectif principal de la disposition est de préserver le paysage littoral et de lutter contre le mitage de l’espace.


À cette fin, la loi littoral comporte plusieurs dispositions qui posent des règles d’autant plus strictes que le rivage de la mer est proche. En dehors des espaces urbanisés, elle protège ainsi une bande de cent mètres dans laquelle seules sont autorisées les constructions ou installations liées aux activités économiques ou aux services publics qui exigent la proximité immédiate de l’eau (Art. L. 121-16 à 20 du Code de l’urbanisme).


Dans les espaces proches du rivage (Art. L. 121-13), qui, selon la jurisprudence, sont délimités en fonction de critères de distance, de covisibilité ou de nature des espaces (CE, 3 juin 2009, Commune de Rognac, req. numéro 310587), seules des extensions limitées de l’urbanisation sont possibles. Ce principe permet d’éviter la réalisation de grandes opérations d’aménagement dont l’impact sur le paysage de bord de mer serait important.


La loi protège aussi les espaces naturels en imposant aux documents d’urbanisme, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriale (SCOT) de prévoir des coupures d’urbanisation entre les espaces bâtis (Art. L. 121-22). Il s’agit ici d’éviter que par contagion, le littoral ne forme, à terme, qu’un front bâti continu.


Pour protéger les sites les plus sensibles, la loi impose également la préservation des espaces terrestres ou marins remarquables et caractéristiques du littoral (Art. L. 121-23). Seuls des aménagements légers y sont autorisés. Ces aménagements sont définis par un décret (article R. 121-5 du Code de l’urbanisme) qui fixe une liste limitative des installations autorisées.


Toutes ces règles sont aujourd’hui bien définies par la jurisprudence et, si quelques contentieux peuvent naturellement survenir, leur application ne suscite guère de débat.


Le consensus est en revanche plus difficile à obtenir sur la règle la plus contraignante de la loi littoral, l’obligation de n’étendre l’urbanisation qu’en continuité des agglomérations ou des villages existants ou sous forme de hameau nouveau intégré à l’environnement (Art. L. 121-8) La jurisprudence, probablement consciente du rôle clé joué par cette règle dans le dispositif de protection du littoral, en livre une interprétation stricte qui n’est pas sans poser de difficulté.


Il convient tout d’abord de rappeler que le principe de continuité s’applique sur l’ensemble du territoire communal, sans considération de distance par rapport à la mer. Il s’applique ensuite à toute construction, dès lors qu’elle a quelque importance, ce qui conduit le juge à censurer des projets d’éoliennes, de bâtiments agricoles, de bâtiments liés aux cultures marines ou même de simples abris de jardin, s’ils ne sont pas situés en continuité d’une agglomération ou d’un village.


Ces deux dernières notions sont pour leur part définies par la jurisprudence depuis 2006. Il n’y a agglomération ou village, dit le Conseil d’État, que si l’espace en cause comporte « un nombre et une densité significative de constructions ». En pratique, seuls les espaces comportant une cinquantaine de constructions groupées pourront prétendre à cette qualification (CE, 9 novembre 2015, B. c/ commune de Porto-Vecchio, req. numéro 372531). Le « considérant » de principe posé par le Conseil d’État est aujourd’hui systématiquement repris par les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Cette apparente constance de la jurisprudence ne doit toutefois pas occulter une très grande hétérogénéité des situations d’espèce, au point qu’il est aujourd’hui très difficile de porter un jugement sûr à propos de la qualification de tel ou tel espace. C’est probablement une première critique qui doit être portée à la manière dont cette disposition est appliquée.


Il y en a d’autres. Jusqu’en 2013, la pratique administrative tant des collectivités locales que de l’État (circulaire du 14 mars 2006) admettait que dans les espaces qui ne sont pas des agglomérations ou des villages, les constructions étaient néanmoins possibles à l’intérieur du périmètre bâti, en « dent creuse » pour reprendre l’expression consacrée. Cette analyse reposait sur l’idée qu’une construction qui n’étend pas le périmètre d’un espace urbanisé n’étend pas l’urbanisation au sens de la loi et n’est, par conséquent, pas assujettie au principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants.


La jurisprudence récente a toutefois mis à mal cette logique et aujourd’hui, les tribunaux annulent systématiquement les permis de construire délivrés dans des espaces qui ne sont pas des agglomérations ou des villages, et ce, alors même que le projet se situe au cœur de l’espace bâti (CAA Nantes, 11 octobre 2013, commune de LANDEDA, req. numéro 12NT01355).


C’est pour contrer cette jurisprudence que certains jugent trop sévère que les parlementaires ont souhaité définir la notion d’extension de l’urbanisation dans le projet de loi relatif à l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique. La rédaction proposée pourrait toutefois créer plus de difficultés qu’elle n’en règle…


Ce même projet de loi s’intéresse aussi aux activités agricoles et de cultures marines. Ces dernières, cela a été dit, doivent respecter le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants. En pratique, cela veut dire qu’un hangar agricole doit être construit en continuité du bourg. La solution peut surprendre. C’est la raison pour laquelle, en 1999, la loi littoral a été modifiée pour soustraire à l’obligation de continuité, en dehors des espaces proches du rivage et avec l’accord du préfet, les constructions agricoles incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Ce sont principalement les bâtiments d’élevage qui sont concernés.


Un paradoxe apparaît ici, car si les installations qui génèrent le plus de nuisances peuvent être autorisées sur le territoire d’une commune littorale, ce n’est pas le cas des constructions agricoles qui n’ont pas d’impact sur l’environnement.


Les cultures marines ne sont pas mieux traitées. Puisqu’elles ne génèrent pas de nuisances, elles ne bénéficient pas de la dérogation votée en 1999. Leur installation est donc fortement contrainte au nom d’une loi qui a pourtant pour objectif « la préservation et le développement des activités économiques liées à la proximité de l’eau, telles que la pêche, les cultures marines » (art. L 321-1 du Code de l’urbanisme).


Le régime applicable aux cultures marines et aux activités agricoles est lui aussi revu par le projet de loi.


 


Loïc Prieur,

avocat et maître de conférences
de droit public à Paris IV Sorbonne


 


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles