La loi relative à la protection, l’aménagement et la mise en valeur du
littoral du 3 janvier 1986 est
l’aboutissement d’une longue évolution juridique qui commence en 1681 avec l’ordonnance de Colbert sur la Marine. Si la loi littoral affecte
de nombreux domaines du droit – les pouvoirs de police, le régime des
extractions ou encore la servitude d’accès au rivage de la mer, elle est plus
connue pour ses dispositions en matière d’urbanisme.
Aujourd’hui codifiées aux articles L. 121-1 et suivants du Code de
l’urbanisme, ces dispositions organisent l’usage du sol sur le territoire des
communes littorales. L’objectif principal de la disposition est de préserver le
paysage littoral et de lutter contre le mitage de l’espace.
À cette fin, la loi littoral comporte plusieurs dispositions qui posent
des règles d’autant plus strictes que le rivage de la mer est proche. En dehors
des espaces urbanisés, elle protège ainsi une bande de cent mètres dans
laquelle seules sont autorisées les constructions ou installations liées aux
activités économiques ou aux services publics qui exigent la proximité
immédiate de l’eau (Art. L. 121-16 à 20 du Code de l’urbanisme).
Dans les espaces proches du rivage (Art. L. 121-13), qui, selon la
jurisprudence, sont délimités en fonction de critères de distance, de
covisibilité ou de nature des espaces (CE, 3 juin 2009,
Commune de Rognac, req. numéro 310587),
seules des extensions limitées de l’urbanisation sont possibles. Ce principe
permet d’éviter la réalisation de grandes opérations d’aménagement dont
l’impact sur le paysage de bord de mer serait important.
La loi protège aussi les espaces naturels en imposant aux documents
d’urbanisme, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence
territoriale (SCOT) de prévoir des coupures d’urbanisation entre les espaces
bâtis (Art. L. 121-22). Il s’agit ici d’éviter que par contagion, le littoral
ne forme, à terme, qu’un front bâti continu.
Pour protéger les sites les plus sensibles, la loi impose également la
préservation des espaces terrestres ou marins remarquables et caractéristiques
du littoral (Art. L. 121-23). Seuls des aménagements légers y sont autorisés.
Ces aménagements sont définis par un décret (article R. 121-5 du Code de l’urbanisme) qui fixe une liste limitative
des installations autorisées.
Toutes ces règles sont aujourd’hui bien définies par la jurisprudence
et, si quelques contentieux peuvent naturellement survenir, leur application ne
suscite guère de débat.
Le consensus
est en revanche plus difficile à obtenir sur la règle la plus contraignante de
la loi littoral, l’obligation de n’étendre l’urbanisation qu’en continuité des
agglomérations ou des villages existants ou sous forme de hameau nouveau
intégré à l’environnement (Art. L. 121-8) La jurisprudence, probablement
consciente du rôle clé joué par cette règle dans le dispositif de protection du
littoral, en livre une interprétation stricte qui n’est pas sans poser de
difficulté.
Il convient
tout d’abord de rappeler que le principe de continuité s’applique sur
l’ensemble du territoire communal, sans considération de distance par rapport à
la mer. Il s’applique ensuite à toute construction, dès lors qu’elle a quelque
importance, ce qui conduit le juge à censurer des projets d’éoliennes, de
bâtiments agricoles, de bâtiments liés aux cultures marines ou même de simples
abris de jardin, s’ils ne sont pas situés en continuité d’une agglomération ou
d’un village.
Ces deux dernières notions sont pour leur part définies par la
jurisprudence depuis 2006. Il n’y a agglomération ou village, dit le Conseil
d’État, que si l’espace en cause comporte « un nombre et une densité
significative de constructions ». En pratique, seuls les espaces
comportant une cinquantaine de constructions groupées pourront prétendre à
cette qualification (CE, 9 novembre
2015, B. c/ commune de Porto-Vecchio, req. numéro 372531). Le « considérant » de principe posé par le
Conseil d’État est aujourd’hui systématiquement repris par les tribunaux
administratifs et les cours administratives d’appel. Cette apparente constance
de la jurisprudence ne doit toutefois pas occulter une très grande
hétérogénéité des situations d’espèce, au point qu’il est aujourd’hui très
difficile de porter un jugement sûr à propos de la qualification de tel ou tel
espace. C’est probablement une première critique qui doit être portée à la
manière dont cette disposition est appliquée.
Il y en a d’autres. Jusqu’en 2013, la pratique administrative tant des
collectivités locales que de l’État (circulaire du 14 mars 2006) admettait que dans les espaces qui ne sont pas des
agglomérations ou des villages, les constructions étaient néanmoins possibles à
l’intérieur du périmètre bâti, en « dent creuse » pour
reprendre l’expression consacrée. Cette analyse reposait sur l’idée qu’une
construction qui n’étend pas le périmètre d’un espace urbanisé n’étend pas
l’urbanisation au sens de la loi et n’est, par conséquent, pas assujettie au
principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants.
La jurisprudence récente a toutefois mis à mal cette logique et
aujourd’hui, les tribunaux annulent systématiquement les permis de construire
délivrés dans des espaces qui ne sont pas des agglomérations ou des villages,
et ce, alors même que le projet se situe au cœur de l’espace bâti (CAA Nantes,
11 octobre 2013, commune de LANDEDA, req. numéro 12NT01355).
C’est pour
contrer cette jurisprudence que certains jugent trop sévère que les
parlementaires ont souhaité définir la notion d’extension de l’urbanisation
dans le projet de loi relatif à l’adaptation des territoires littoraux au
changement climatique. La rédaction proposée pourrait toutefois créer plus de
difficultés qu’elle n’en règle…
Ce même
projet de loi s’intéresse aussi aux activités agricoles et de cultures marines.
Ces dernières, cela a été dit, doivent respecter le principe de continuité avec
les agglomérations et les villages existants. En pratique, cela veut dire qu’un
hangar agricole doit être construit en continuité du bourg. La solution peut
surprendre. C’est la raison pour laquelle, en 1999, la loi littoral a été
modifiée pour soustraire à l’obligation de continuité, en dehors des espaces
proches du rivage et avec l’accord du préfet, les constructions agricoles
incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Ce sont principalement les
bâtiments d’élevage qui sont concernés.
Un paradoxe apparaît ici, car si les installations qui génèrent le plus
de nuisances peuvent être autorisées sur le territoire d’une commune littorale,
ce n’est pas le cas des constructions agricoles qui n’ont pas d’impact sur
l’environnement.
Les cultures marines ne sont pas mieux traitées. Puisqu’elles ne
génèrent pas de nuisances, elles ne bénéficient pas de la dérogation votée en
1999. Leur installation est donc fortement contrainte au nom d’une loi qui a
pourtant pour objectif « la préservation et le développement des
activités économiques liées à la proximité de l’eau, telles que la pêche, les
cultures marines » (art. L 321-1 du Code de
l’urbanisme).
Le régime applicable aux cultures marines et aux activités agricoles
est lui aussi revu par le projet de loi.
Loïc
Prieur,
avocat et
maître de conférences
de droit public à Paris IV Sorbonne