Cet été, le CMAP a présenté la 11e édition
du baromètre de la médiation, un outil de mesure unique qui permet de faire chaque
année le bilan des principales tendances et évolutions en matière de médiation.
Gain de temps, confidentialité, maîtrise des coûts, pérennisation des relations
contractuelles, maîtrise de la solution : il semble que la médiation en France
gagne de plus en plus la confiance des acteurs du monde de l’entreprise.
Processus
amiable alternatif au contentieux judiciaire, la médiation a fait son entrée
dans le Code de procédure civile en 1995. Les gouvernements successifs n’ont eu
de cesse d’en faire la promotion, notamment par la loi de modernisation de la
Justice du XXIe siècle en novembre 2016, ou encore, plus
récemment, par la loi de programmation de la Justice 2018-2022.
« Les
entreprises, pour rester compétitives, doivent être réactives dans la gestion
de leurs contentieux, particulièrement avec leurs partenaires commerciaux et
clients pour lesquels elles souhaitent préserver leurs relations. D’où la
nécessité de privilégier la voie d’une solution négociée. On note également
cette année une nette augmentation des enjeux financiers dans les dossiers.
Cela démontre qu’aujourd’hui, la médiation est prise en considération, au même
titre que l’arbitrage, par tous les acteurs économiques pour permettre la
résolution des dossiers complexes » déclare Sophie Henry, déléguée générale du
CMAP, dans un document présentant les résultats du baromètre 2019 de la médiation.
LES
AVANTAGES DE LA MÉDIATION
Pour les
entreprises, la médiation constitue un outil d’avenir pour résoudre les
conflits. En effet, celle-ci se prête – par nature – à la gestion des conflits
en entreprise, qu’ils soient hiérarchiques ou au sein d’une équipe, car elle
présente de nombreux avantages.
Un des
principaux d’entre eux, a indiqué Sophie Henry à l'occasion de la présentation
du baromètre du CMAP, en juillet dernier, est la durée de la médiation. En
effet, alors que les délais judiciaires dans les cours d’appel et les
prud’hommes sont d’environ trois ans, la durée moyenne d’une médiation au
CMAP, « qui ne bouge pas au fil des ans », équivaut à une
quinzaine d’heures.
Ce nombre d’heures peut se faire d’affilé, ou être étalé sur plusieurs
mois. « On a prévu au CMAP qu’une médiation dure environ deux mois
renouvelables » a précisé la déléguée générale. Quoi qu’il en soit,
dans le processus de médiation, le médiateur doit « donner l’impulsion »
tout en se calant sur le rythme des parties.
Un autre avantage a trait aux coûts de la médiation par rapport à ceux
d’un contentieux judiciaire. Ainsi, le coût moyen d’une médiation est d’environ
6 000 euros, une somme tout à fait acceptable pour une entreprise qui
devra verser des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros, pour un
procès.
Certes, « le coût de la médiation est proportionnel aux enjeux
du litige » a admis Sophie Henry, mais « par rapport à un
contentieux judiciaire, cela reste très accessible » a-t-elle ajouté,
et n’empêche ainsi nullement les sociétés d’y recourir, même pour des gros
litiges. D’ailleurs, globalement, les montants en litiges sont de plus en plus
importants.
Ainsi, depuis
2012, année de création du baromètre, les montants en litige supérieurs à
3 millions d’euros ont gagné 13 points.
En outre, en
2018, 72 % des dossiers avaient un enjeu supérieur à
150 000 euros, contre 58 % en 2017. Quant aux dossiers aux
enjeux supérieurs à 1 et
3 millions d’euros, ils ont augmenté respectivement de 5 et 7 points par rapport à
l’année dernière (31 % à 36 % et 15 % à 22 %).
« Nous
avons eu à traiter dernièrement un dossier à 80 millions d’euros »
s’est félicité la déléguée générale de la CMAP. Preuve que la médiation n’est
pas seulement réservée aux petits litiges, comme ce fut le cas pendant de
nombreuses années, mais qu’elle est devenue « un outil à part entière
en cas de contentieux, une vraie solution ».
Confidentialité,
maîtrise des coûts, pérennisation des relations contractuelles et de la
solution : « la médiation possède de nombreux atouts, contrairement au
contentieux judiciaire qui, parfois, n’aboutit même pas », a estimé
Sophie Henry.
QUI SONT LES MÉDIATEURS ?
Alors qu’il y a quelques années, l’essentiel des médiateurs désignés
provenait du monde juridique, aujourd’hui, 51 % des médiateurs sont issus
des professions juridiques, contre 49 % du monde de l’entreprise. Au
total, 130 sont inscrits au CMAP, avec des profils très différents.
« On a vraiment de tout, et c’est ça qui est passionnant et très riche »
a affirmé Sophie Henry.
Il reste que la fonction de médiateur est en constante évolution. C’est
pourquoi il faut sans cesse former aux techniques de la médiation. Au CMAP, la
formation de médiateur est sanctionnée par un examen. Le Centre a établi un
partenariat avec l’ESCP Europe. À l’issue de leur formation, les médiateurs
doivent s’entraîner pendant trois jours, puis passer devant un jury.
« C’est un examen assez difficile, car on a seulement 50 % de
réussite. Ceux qui réussissent figurent ensuite sur nos listes » a
expliqué la déléguée générale du CMAP.
Une question se pose cependant. Lors du choix d’un médiateur, celui-ci
doit-il être un spécialiste du secteur dans lequel évolue l’entreprise ou bien
un généraliste ?
Pour les parties, il peut être rassurant de voir qu’il s’agit d’un
spécialiste, car celui-ci connaît alors leur environnement de travail. Cela est
également une demande des magistrats quand ils doivent choisir un médiateur.
Cependant, les médiateurs pensent de leur côté que le plus important est de
bien connaître les relations entre les individus en conflit.
Plus généralement, comment s’effectue le choix d’un médiateur ?
« Le CMAP propose trois noms aux parties » a expliqué Sophie
Henry. En médiation judiciaire, lorsque c’est le juge qui saisit le CMAP, le
Centre sélectionne également trois noms qu’il soumet au magistrat, chargé de
trancher.
« Parfois, il soumet ce choix aux parties, mais la plupart du
temps, il le fait lui-même » a précisé Sophie Henry. « Le choix du médiateur
est en tout cas le plus important ». Certes, ce dernier n’a aucun
pouvoir, « mais les parties ont besoin d’avoir confiance en la
personnalité du médiateur pour lui confier des informations
confidentielles » a-t-elle ajouté.
LE RÉSULTAT DES MÉDIATIONS
Concernant l’issue des médiations, depuis dix ans, en moyenne,
70 % des dossiers aboutissent à un accord après une quinzaine d’heures, et
le maintien des accords se situe à 30 %.
Cependant, « on constate une baisse des accords cette année »
a déclaré Sophie Henry. Cette dernière a expliqué cette diminution par
l’augmentation actuelle des médiations judiciaires.
On note en effet un taux d’accord en médiation conventionnelle supérieur
de 14 points à celui de la médiation judiciaire (69 % contre
55 %), car les juges eux-mêmes « poussent de plus en plus, de
manière assez incitative », les parties à recourir à la médiation
judiciaire, et il est très difficile pour ces derniers de refuser. En outre,
depuis mars 2019, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice a étendu le pouvoir du juge d’enjoindre
aux parties de rencontrer un médiateur.
Or, « Quand on pousse des gens à aller en médiation alors qu’ils
n’en ont pas envie, cela fait baisser le taux d’accords, car le juge ne peut
pas forcer les parties à trouver une solution » a expliqué Sophie
Henry. Pour celle-ci, cette baisse des accords constatée par le CMAP plaide en
faveur d’une médiation qui doit rester un processus volontaire.
L’AVENIR DE LA MÉDIATION
Enfin, Sophie Henry s’est exprimée sur sa vision de la pratique de la
médiation. Selon elle, si l’exercice de la médiation est très enrichissant pour
un professionnel du droit ou de l’entreprise, celle-ci doit rester « une
fonction accessoire dans sa carrière ». D’ailleurs, la plupart des
médiateurs exercent un métier en parallèle. La déléguée générale du CMAP craint
en effet que si cela devient un métier à temps plein, les médiateurs perdent
« leur côté neutre et indépendant ».
« En faire une profession réglementée » lui semble donc
être une « très mauvaise idée ».« Nous n’aurons plus
les mêmes médiateurs » a-t-elle certifié. En outre, « on
risque de créer une tension chez eux et donc sur les parties », comme
en Angleterre, où il existe des médiateurs notés et pratiquent des tarifs
exorbitants.
Bref, pour Sophie Henry, développer la médiation sans l’accord des
parties, cela équivaut à « un déni de justice. » Il n’est en effet pas question pour elle que les magistrats s’en
servent pour désengorger les tribunaux : « La médiation est un outil
stratégique pour une entreprise, qu’elle doit utiliser quand elle veut. »
À l’occasion de la présentation du baromètre 2019 de la médiation, Sophie Henry a
donc instamment demandé à ce que la loi Justice ne remette pas en cause ce pour
quoi elle se bat depuis plus de 20 ans.
Maria-Angélica Bailly