Ainsi que le propose un rapport du
conseil économique pour le développement durable (CEDD) de février 2010, l’adaptation au changement climatique peut être définie comme « l’ensemble des évolutions d’organisation, de
localisation et de techniques que les sociétés devront opérer pour limiter les
impacts négatifs du changement climatique et en maximiser les effets bénéfiques
(1) ».
Qu’il s’agisse du réchauffement
des températures moyennes constatées, de la transformation du régime des
précipitations, de la montée du niveau des mers ou encore du développement de
situations de stress hydrique, une myriade de manifestations naturelles
nouvelles résultant des phénomènes de changements climatiques impacte d’ores et
déjà la France comme le reste du monde (2).
Les effets attendus dans les
vingt à trente prochaines années ne pouvant quasiment plus être endigués (3),
cette situation nécessite aujourd’hui le développement d’une politique
d’adaptation ambitieuse au vu des risques environnementaux et sanitaires, dont
l’enjeu a pu être résumé par certains comme ayant pour objet de « gérer l’inévitable (4) ».
Bien que l’état actuel du dernier projet de réforme
constitutionnelle n’ait à ce jour l’ambition d’inscrire à l’article 1er
de la Constitution française que l’action « contre les changements
climatiques (5) », l’adaptation
au changement climatique (qui en est le complément) est néanmoins en passe de
s’élever du rang de simple défi à celui d’une réelle politique, faisant évoluer
les éléments de cette dernière d’un rang de soft law à celui
d’obligations juridiquement contraignantes.
Afin d’expliciter une telle lecture, le présent
article se propose de
présenter brièvement les sources internationales de cette politique
d’adaptation au changement climatique (I.), avant de démontrer en quoi les
objectifs d’une telle politique sont aujourd’hui en passe de pouvoir être
considérés comme revêtant un certain caractère contraignant (II.).
Les sources
internationales de la politique d’adaptation au changement climatique
Les sources en
droit international
Sujet global s’il en est car affectant l’ensemble de
la communauté internationale, l’adaptation au changement climatique comme son
complément, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, trouvent
naturellement leurs sources premières dans le droit international.
Ainsi, dès 1992, la
Convention-Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques (CNUCC) (6) s’accordait sur le principe selon lequel il
incombe aux États de « prendre des
mesures de précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des
changements climatiques et en limiter les effets néfastes », tout en
soulignant que « pour atteindre ce but,
il convient que ces politiques et mesures [...] comprennent des mesures
d’adaptation et s’appliquent à tous les secteurs économiques » (article
3§3).
La planification constituait déjà
un outil à privilégier puisque la Convention devait ensuite préciser
qu’il appartient aux États d’établir et de mettre en œuvre des « programmes
nationaux et, le cas échéant, régionaux, contenant [...] des mesures visant à faciliter l’adaptation
voulue aux changements climatiques » (article 4§1).
Au titre de l’Accord de Paris en date du 12 décembre 2015, les États
signataires, dont la France, se sont en outre engagés à « renforcer leurs capacités d’adaptation aux effets néfastes des
changements climatiques » (article 2§1. b).
Tout en réaffirmant « l’objectif mondial en matière d’adaptation,
consistant à renforcer les capacités d’adaptation, à accroître la résilience
aux changements climatiques et à réduire la vulnérabilité à ces changements, en
vue de contribuer au développement durable et de garantir une riposte adéquate
en matière d’adaptation dans le contexte de l’objectif de température », l’article 7 de l’Accord de
Paris précise encore les contours des engagements des États en matière d’adaptation,
en leur imposant de se fixer des objectifs transversaux d’adaptation,
d’entreprendre des processus de planification de l’adaptation, de mettre en
place ou renforcer des plans et politique d’adaptation, et d’en assurer le
suivi, l’évaluation et la communication.
Enfin, son article 13§8 prescrit aux États d’inscrire leurs actions en
matière d’adaptation dans un cadre de transparence renforcée, leur imposant
notamment de « communiquer des informations sur les effets des changements
climatiques et sur l’adaptation à ces changements », afin de permettre à
l’ensemble de la communauté internationale d’échanger utilement sur les
stratégies et bonnes pratiques à privilégier.
Les sources en
droit de l’Union européenne
En droit de
l’Union européenne, le régime juridique de l’adaptation au changement
climatique, destiné à « améliorer la
capacité de résilience de [l’Union européenne] face aux effets du changement
climatique » semble avoir pris naissance en 2009 avec la publication d’un
premier livre blanc consacré à la préparation d’une stratégie communautaire
globale d’adaptation (7).
Dans ce
document, la Commission soulignait notamment l’importance d’intégrer
l’adaptation dans l’ensemble des politiques de l’Union européenne en adoptant « une approche transversale fondée sur la
résilience des écosystèmes, la protection des habitats et de la biodiversité
ainsi que les services rendus par les écosystèmes, et d’assurer une synergie et
une cohérence entre les mesures à prendre au niveau de toutes les politiques
sectorielles concernées (8) ».
En avril
2013, l’Union européenne adoptait ensuite une « Stratégie de l’Union européenne relative à l’adaptation au changement
climatique (9) », prévoyant la réalisation de trois objectifs principaux :
1/ Favoriser l’action au niveau
des États membres en les incitant à opter pour des stratégies d’adaptation
globales et à renforcer l’action en faveur de l’adaptation ;
2/ Favoriser une prise de
décision éclairée, en améliorant les connaissances sur l’adaptation ;
3/ Intégrer la résilience au
climat dans l’action de l’Union européenne et des États, en promouvant
l’adaptation dans les secteurs les plus vulnérables, tels que l’énergie et les
transports.
En outre, le Règlement (UE)
n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 créait en son article 15 une obligation pour les États membres de rendre compte à
la Commission européenne de leurs actions mises en œuvre au niveau national en
matière d’adaptation au changement climatique :
« Au plus tard le 15 mars 2015, et tous les quatre ans
par la suite, les États membres déclarent à la Commission, en s’alignant sur le calendrier des déclarations à la CCNUCC, des informations sur
leur planification et leurs stratégies d’adaptation nationales, en indiquant
les actions qu’ils ont mises en œuvre ou qu’ils ont l’intention de mettre en
œuvre pour faciliter l’adaptation au changement climatique.
Ces informations comprennent les principaux objectifs
et la catégorie d’incidence liée au changement climatique visée, telle que
l’inondation, l’élévation du niveau de la mer, les températures extrêmes, les
épisodes de sécheresse et autres phénomènes météorologiques extrêmes ».
Cette stratégie a fait l’objet
d’une évaluation en décembre 2018, générale et pays par pays, aux termes de
laquelle la Commission rappelait la nécessité pour les États membres d’agir en
matière d’adaptation, et de renforcer leurs efforts en matière de mise en œuvre
et de suivi des plans d’adaptation.
La mise en
œuvre de la politique d’adaptation en droit interne
Une politique
originellement conduite par la seule planification
En France,
la loi énonce dès 2001 que « la lutte
contre l’intensification de l’effet de serre et la prévention des risques liés
au réchauffement climatique sont reconnues priorité nationale (10) ».
Si le terme
« d’adaptation » n’est ainsi pas encore juridiquement consacré à cette époque,
une telle préoccupation est toutefois déjà bel et bien présente à travers
l’ambition de prévenir les effets négatifs du réchauffement climatique.
La mise en
place de mesures d’adaptation au changement climatique se poursuit ensuite par
l’adoption d’une « Stratégie nationale
d’adaptation au changement climatique », validée par le Comité
interministériel pour le développement durable réuni le 13 novembre 2006. L’enjeu
de ce premier document de 97 pages était alors d’exprimer « le point de vue de l’État sur la manière
d’aborder la question de l’adaptation au changement climatique, [afin] de
préparer le territoire à affronter les bouleversements nés d’une dérive climatique
planétaire qui affecteront aussi bien les modes de vie des Français que
l’ensemble des secteurs ».
Un premier «
plan national d’adaptation au changement climatique » était ensuite présenté le
20 juillet 2011 par la ministre de l’Écologie, conformément à l’obligation
fixée au cinquième alinéa de l’article 42 de la loi 2009-967 du 3 août 2009 de
programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (11).
Créé par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à
la transition énergétique pour la croissance verte, l’article L. 222-1 b) du Code
de l’environnement rappelle aujourd’hui que la stratégie nationale de
développement à faible intensité de carbone « complète le plan national
d’adaptation climatique prévu à l’article 42 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de
l’environnement ».
Annoncé par l’Axe 19 du Plan Climat publié le 6 juillet 2017, un second
plan d’adaptation au changement climatique (PNACC-2) était ensuite adopté le
20 décembre 2018 dernier.
Couvrant la période 2018-2022, le
PNACC-2 a pour ambition de mettre en œuvre 58 actions
différentes sur cinq années, et contient plusieurs évolutions par rapport
au premier PNACC notamment en matière de traitement du lien entre les
différentes échelles territoriales, du renforcement de l’articulation avec
l’international et de solutions fondées sur la nature.
Comme le précisait le ministère
de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement dans une
question écrite du Sénat n° 19968, les PNACC ne traitent « que des
mesures qui relèvent du niveau national ».
Ainsi, au niveau local, la
politique d’adaptation est quant à elle planifiée au moyen des schémas
régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires
(SRADDET) et des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), ainsi que par
nombre d’autres documents et plans qu’un autre article de ce numéro évoquera plus en détail (12).
Une politique
de plus en plus déclinée par des intégrations sectorielles
Alors qu’elle n’était
originellement mise en œuvre qu’au moyen d’outils de planifications, nationaux
et locaux, la politique d’adaptation au changement climatique tend aujourd’hui
à se voir déclinée directement dans de nombreux domaines sectoriels, en
particulier s’agissant de ceux les plus exposés aux risques induits par les
phénomènes de changements climatiques.
Ainsi, depuis la loi
n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur
l’eau et les milieux aquatiques, le Code de l’environnement prévoit-il en son
article L. 211-1 que
l’objectif de gestion équilibrée et durable de la
ressource en eau « prend en compte les
adaptations nécessaires au changement climatique (...) ».
De même, en
matière d’agriculture, l’article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime
prévoit depuis le 15 octobre 2014 que « la
politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation, dans ses dimensions
internationale, européenne, nationale et territoriale » a notamment pour
finalités de contribuer « à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du
changement climatique ».
L’article L.
121-1 du Code forestier prévoit également, depuis cette même date, que l’État
veille « au maintien de l’équilibre et de
la diversité biologiques et à l’adaptation des forêts au changement climatique ».
Si de telles
dispositions ressemblent davantage à des principes généraux qu’à des
obligations contraignantes, des lois plus récentes ont toutefois commencé à
inscrire dans le droit positif des objectifs plus précis dont il reviendra à la
jurisprudence d’apprécier la portée juridique.
Ainsi la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la
biodiversité [...] indique que la perte de « biodiversité ultramarine doit être
stoppée afin de préserver son rôle en faveur de l’adaptation des territoires au
changement climatique », quand la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de
programmation relative à l’égalité réelle outre-mer vient d’inscrire la prise
en compte de la vulnérabilité face au changement climatique dans les plans de convergence.
De même, en matière d’urbanisme, l’adaptation à l’augmentation des
températures saisonnières a déjà fait l’objet de mesures spécifiques dans
différents Plan local d’urbanisme (PLU) en vigueur sur le territoire national,
via notamment des dispositions tendant à lutter contre le phénomène des « îlots
de chaleur urbains (13) ». Ainsi, à Paris où la différence peut parfois
dépasser les 10°C à l’échelle journalière entre le centre de la ville et la
campagne la plus froide, le Règlement du PLU en vigueur depuis sa modification
générale de juillet 2016 comporte des dispositions obligeant, sauf exception,
la création de surfaces végétalisées en cas de construction nouvelle ou de
surélévations de bâtiments existants (14).
Enfin, certaines obligations contraignantes conçues originellement pour
contribuer à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, telles que
les obligations en matière d’isolation du bâti (15), peuvent aujourd’hui être
lues comme participant également de l’action pour l’adaptation au changement
climatique, en ce qu’elles permettent non seulement la réalisation d’économies
d’énergie, mais également un meilleur confort thermique de leurs occupants lors
des saisons chaudes sans avoir forcément recours à la climatisation (appelé
aussi « confort d’été »).
Décliné
principalement au travers d’outils de planification, le droit de l’adaptation
au changement climatique est appelé à se développer fortement dans
les différents domaines sectoriels les plus exposés aux effets négatifs des phénomènes
de changement climatique, tels que l’eau, l’agriculture, l’urbanisme et
l’aménagement du territoire (en particulier en zones littorales ou
montagneuses), la construction et l’habitation, ou encore les transports.
Le fait que les contours des
dispositions applicables à ce jour soient encore assez peu définis ne saurait
tromper à notre sens sur l’analyse qui pourrait être donnée quant à leur portée
juridique : bien qu’encore générales et assez peu chiffrées, elles
revêtent néanmoins un réel caractère contraignant en ce qu’elles imposent
principalement aux autorités publiques, au niveau national et local,
l’obligation de mettre en œuvre une politique d’adaptation ambitieuse.
Au regard des principes protégés
par la Charte de l’environnement, il n’est du reste pas à exclure d’envisager
dans un proche avenir que puisse être recherchée la responsabilité des
autorités qui auraient échoué à mettre en œuvre des mesures d’adaptation
suffisantes, notamment au regard du principe de prévention prévu en son article 3.
Avant la réalisation d’un tel
scénario et en toute hypothèse, la politique d’adaptation au changement
climatique ne pourra faire l’impasse, afin d’être à la hauteur des enjeux et de
permettre une meilleure mise en évidence de risques multiples et pour certains
encore difficilement appréhendables, sur la mise en œuvre dans une large mesure
des principes protégés par les articles 7 (information), 8 (éducation et
formation) et 9 (recherche et innovation) de la Charte de l’environnement.
Aussi n’est-ce pas un hasard si,
complétant en cela une politique de recherche initiée depuis 2001 avec la création de l’observatoire national sur les
effets du réchauffement climatique (ONERC) (16), figurent notamment parmi les
actions dans le PNACC-2 le besoin d’identifier les territoires et milieux à
risque par la publication d’un ouvrage de référence sur les impacts du
changement climatique attendus en France, le développement d’un centre de
ressources sur l’adaptation pour faciliter le partage de bonnes pratiques, ou
encore l’intégration de la thématique du changement climatique et de
l’adaptation dans les cursus scolaires, de l’école à l’enseignement supérieur.
NOTES
1)
Économie de l’adaptation au changement climatique, conseil économique pour le
développement durable de février 2010.
2) Pour
un exposé synthétique des manifestations déjà visibles en France, voir
notamment Rapport d’information du Sénat n° 511 sur
l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050, par
Monsieur Ronan Dantec et Monsieur Jean-Yves Roux, pp. 19 à 36.
3)
Ibid., p. 28 : « Quoi qu’on fasse maintenant pour réduire les
émissions de gaz à effet de serre (GES), compte tenu de l’inertie des systèmes
climatiques, l’accumulation passée et présente de ces gaz détermine en effet
largement ce qui va se passer d’ici à 2050 ».
4) Ibid.,
p. 7.
5) Selon
un article du journal Le
Monde paru vendredi 30 mai 2019, le nouveau projet de loi de révision
constitutionnelle propose d’inscrire à l’article 1er de la
Constitution que la République « agit pour la préservation de
l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements
climatiques ».
6)
CNUCC, signée le 9 mai 1992,
entrée en vigueur le 21 mars 1994.
7)
Commission européenne, livre blanc, « Adaptation au changement
climatique : vers un cadre d’action européen », COM
(2009/2152(INI).
8) Ibid.,
point 19.
9)
Stratégie de l’UE relative à l’adaptation au changement climatique
COM/2013/0216, 16 avril 2013.
10)
Article 1° de la Loi n° 2001-153 du 19 février 2001 tendant à conférer à la lutte contre l’effet de serre
et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique la qualité de
priorité nationale et portant création d’un Observatoire national sur les
effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les
départements et territoires d’outre-mer, JORF n° 43 du
20 février 2001 page 2783,
aujourd’hui codifié à l’article L. 229-1 du Code de l’environnement.
11)
« Un plan national d’adaptation climatique pour les différents secteurs
d’activité sera préparé d’ici à 2011 ».
12) Voir
l’article Les collectivités locales face au changement climatique, par
Corinne Lepage et Roxane Sageloli, p.7 de ce numéro.
13)
Selon le rapport Dantec et Roux (voir note 2), l’expression désigne « la
différence de température entre les milieux urbains et les zones rurales
environnantes », et peut s’expliquer « par la conjonction de
multiples facteurs : formes urbaines qui limitent la circulation de l’air
et l’évacuation de la chaleur par rayonnement ; forte proportion de
surfaces minéralisées et faiblesse de la couverture végétale ; forte
concentration d’activités génératrices de chaleur qui s’ajoute à la chaleur
naturelle ; utilisation de matériaux qui retiennent la chaleur ; etc. »
14) Voir
notamment l’article UG.13.1 – « Obligations
en matière de réalisation d’espaces libres, de plantations et de végétalisation
du bâti » du Règlement du PLU de Paris.
15)
Voir, par exemple, l’article 14 de la loi relative à la transition énergétique pour la
croissante verte du 17 août 2015.
16) L’article L. 229-3 du Code
de l’environnement prévoit que cet observatoire a pour mission d’élaborer
chaque année « un rapport d’information [pouvant] comporter des
recommandations sur les mesures de prévention et d’adaptation susceptibles de
limiter les risques liés au réchauffement climatique ».
Théophile Begel,
Avocat à la cour,
Huglo Lepage Avocats