Jean-Bernard Mateu,
directeur des services financiers mobiles Europe et France d’Orange, et Olivier
Klein, directeur général de la BRED, ont coécrit l’ouvrage « Les banques face à leur avenir proche », qui regroupe pas moins de 21 collaborations. Ensemble,
les auteurs ont décrit le 25 septembre dernier, les métamorphoses de la banque
et le futur métier qui prend forme peu à peu.
Jean-Bernard
Mateu pose la question : « Que vient donc faire Orange dans
l’univers impitoyable de la banque ? » Depuis trente ans, les
marges ont diminué en raison d’une concurrence accrue et d’une réglementation
consumériste galopante. Le passage à l’euro, par exemple, a effacé le marché profitable
des commissions de change entre européens. Conjointement à la baisse des
recettes, les coûts ont augmenté, pour se conformer à la réglementation
(reporting, sécurité, traçabilité, etc.). Afin de s’adapter, des économies ont
été réalisées. Seul le coût du réseau d’agences continue à croître alors que
paradoxalement, les clients n’y vont plus.
En effet, les usages changent. En une dizaine d’années, les banques
numériques avec une interface sur téléphone mobile sont apparues. Elles
proposent des services immédiats, performants, que les clients utilisent sans
aide. Avant cela, dans les années 90, tout avait été fait pour sortir les
clients des agences. Leur format était changé, avec des automates, des
présentoirs de prospectus, une frontière physique entre l’accueil du public et
les conseillers de l’agence, une barrière téléphonique… les réseaux se sont
restreints. Au même moment, Orange considère sa puissance dans le domaine des
nouvelles technologies, son réseau de boutiques qui génère quasiment un million
d’actes commerciaux par mois. Sachant que l’application mobile, depuis deux
ans, est devenue le premier média de contact client/banque, l’opérateur
téléphonique a conçu d’investir ce métier. Moyens technologiques, réseau de
vente, portefeuille de 28 millions de clients, solidité reconnue sont autant
d’atouts qui portent ses intentions.
Parmi les
modèles économiques des banques, on trouve ceux de flux et ceux de stock.
Les néobanques offrent des produits de paiement, elles se rémunèrent à chaque
opération avec ledit produit. C’est un fonctionnement sur le principe des flux,
immédiatement rentable. Pour diminuer les délais de mise en œuvre de sa banque
et simplifier le processus, Orange a choisi d’en racheter une traditionnelle.
La compagnie se classe dans le modèle de stock. Les coûts d’acquisition de
clientèle sont élevés. Les recettes ne se font qu’après plusieurs années avec
des clients fidèles.
Les
différences entre l’univers des télécoms et celui des banques ne manquent pas.
Avec un opérateur téléphonique, on a l’avantage de parler en euro, avec un
banquier on parle en pourcentage. Ainsi, pour vendre à crédit un smartphone
d’une valeur de 600 euros, le
vendeur propose un échéancier de règlements de 62 euros sur dix mois. C’est une
formule qui, présentée de la sorte, plaît au client. Toutefois, si on l’informe
du pourcentage de crédit que cela représente (4 %), le charme n’opère plus. Autre
différence, dans le milieu bancaire, le bilan est l’outil d’évaluation
permanent. Les sociétés commerciales ont d’autres réflexes. La philosophie
réglementaire change aussi. D’un côté, tout ce qui n’est pas interdit est
autorisé, de l’autre, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Malgré
toutes ces difficultés, les premiers mois du modèle stratégique d’extension de
l’activité d’Orange vers la banque semble fonctionner (100 000 clients).
Mondialisation
et digitalisation incitent à penser que l’emploi est fragile dans la banque de
détail. Ce propos trivial répété à l’envie dans les médias professe que les
banques doivent diminuer leur quantité d’agences, et leur personnel afin que
leur schéma s’inspire du service en ligne.
Les banques mutualistes et coopératives n’adhèrent pas à cette vision. Elles
représentent 70 % des parts
de marché. Globalement, depuis quatre ans, le produit net bancaire concernant
la banque de détail diminue en France. Cette baisse n’est pas imputable à la
digitalisation mais à l’écrasement des taux d’intérêt et à la politique de la
banque centrale.
Des applications sans grande valeur ajoutée ont été développées depuis
plus de 20 ans dans les banques traditionnelles. Mises à la disposition du
client, elles lui permettent de disposer d’informations ou de faire des
opérations à distance de toute agence.
À cette première activité essentielle, il convient d’ajouter l’accompagnement
des projets des clients : acquisition immobilière, création d’entreprise,
achat de véhicule, etc. Leur traitement réclame trois choses : épargner
pour bénéficier d’un crédit, accéder à des assurances adaptées, recevoir des
conseils. Si une banque voulait réduire de moitié son réseau d’agences, le
portefeuille moyen de ses conseillers passerait de 800 clients au double, entraînant automatiquement méconnaissance des
dossiers et baisse de qualité. Olivier Klein en est persuadé, il faut maintenir
le contact humain et le nombre de conseillers.
Les banques
en ligne fleurissent, certes, mais elles ne gagnent pas d’argent. Leur budget
publicitaire est de l’ordre de 50 millions par an. Elles sont contraintes de tout offrir gratuitement
à des consommateurs qui considèrent cela normal. Elles abondent les ouvertures
de compte. Bref, elles font beaucoup de concessions à une clientèle volage
parce que non accompagnée (ou alors contre rétribution). Tant que les banques
en ligne ne proposent pas de conseillers, elles ne peuvent pas s’attacher leur
portefeuille. En le faisant, elles augmentent leurs charges et s’écartent de
leur politique à bas coûts.
Les Fintechs qui travaillent en B2C finissent par se vendre parce que
l’accès aux clients est trop cher. Celles qui sont en B2B apportent des
services complémentaires. Si les GAFA avaient accès aux données des banques,
elles auraient un potentiel de vente accru. Cependant, en tant que tiers de
confiance, aucun établissement n’est prêt à céder ses données. D’autre part,
les GAFA ne souhaitent vraisemblablement pas s’immiscer dans le marché bancaire
et se retrouver assujettis à sa réglementation, notamment sur la traçabilité
des fonds.
Somme toute,
les clients sont devenus plus exigeants. Ils attendent de la banque de demain
de la rapidité, de la praticité mais aussi une relation durable avec un
conseiller.
C2M